Silvio et les autres
Italie, France, 2018
Titre original : Loro
Réalisateur : Paolo Sorrentino
Scénario : Paolo Sorrentino & Umberto Contarello
Acteurs : Toni Servillo, Elena Sofia Ricci, Riccardo Scamarcio, Kasia Smutniak
Distribution : Pathé
Durée : 2h31
Genre : Biographie filmique
Date de sortie : 31 octobre 2018
Note : 3/5
Ce n’est pas un règlement de compte baroque comme l’a été le magistral Il divo et ce n’est pas non plus un pamphlet provocateur. En tout cas dans sa version internationale quelque peu tronquée, Silvio et les autres nous a laissés passablement perplexes quant à son positionnement par rapport à cette figure mythique des temps modernes que Silvio Berlusconi reste en Italie, voire en Europe. Plutôt que de décrire en des termes cinglants celui qui ne nous avait donné finalement qu’un avant-goût des despotes populistes à venir pendant cette fin de décennie politiquement mouvementée, Paolo Sorrentino dresse le portrait presque flatteur d’un vieillard certes narcissique, mais pas non plus perdu corps et âme à sa propre mégalomanie. L’ancien chef de file d’une droite italienne à l’ancienne, machiste et entièrement vouée à l’enrichissement personnel, traverse ici une série d’épreuves qui n’en feront pas non plus le papi attachant d’une nation, soit, mais qui lui confèrent une aura tragique, basée sur son incapacité invétérée de lâcher prise. Face à ce vieux qui s’accroche, coûte que coûte et presque avec une noblesse désuète, la nouvelle génération, symbolisée par un petit parvenu provincial, peine sérieusement à convaincre, comme s’il fallait avoir un certain âge et une certaine notoriété pour traverser indemne les frasques et les excès d’une vulgarité assumée, qui ne sont au demeurant que la partie visible de l’héritage berlusconien.
Synopsis : Le jeune Sergio Morra n’a qu’une ambition dans sa vie : approcher l’univers clinquant de son idole Silvio Berlusconi. Pour ce faire, il monte à Rome et organise toutes sortes de soirées avec des belles filles peu vêtues, censées attirer l’attention de l’homme d’affaires et politicien charismatique. Son calcul semble porter ses fruits, quand Berlusconi lui demande de réunir des dizaines de filles dans sa demeure à la campagne. Or, ce ne sont pas tellement ces fêtes débridées qui préoccupent l’esprit du vétéran de la vie publique italienne que ses tentatives infructueuses de reconquérir les faveurs de son épouse Veronica, voire ses stratagèmes pour renverser le gouvernement actuel, afin de devenir une fois de plus, à 70 ans, le dirigeant de son pays.
Rien à savoir, tout à comprendre
S’il ne s’était pas fait usurper le rang de leader mondial le plus honteux par un certain Donald Trump, Silvio Berlusconi serait resté le triste sommet de la politique bling-bling, inefficace et même dangereuse au possible, mais au moins vue avec du recul terriblement divertissante. En somme, depuis ce règne rocambolesque, l’Italie est passée à autre chose, peut-être encore plus dévastateur de tout ce qui faisait l’attrait de ce beau pays auparavant. Comme toutes les figures historiques hors normes, l’homme au sourire figé avait alors droit à son reflet cinématographique, au détail près que ce personnage était à la fois si haut en couleur et si peu fréquentable qu’aucun film ne pourra lui rendre justice. La voie choisie par Paolo Sorrentino s’apparente du coup à une relecture complexe et donc contradictoire des dernières années de Berlusconi sur la scène politique, avant qu’il ne soit obligé à prendre sa retraite. Complexe, parce que cette bête du monde médiatique était autant un fin stratège qu’un opportuniste sans vergogne. Contradictoire, à cause du manque de volonté de Silvio et les autres à choisir clairement son camp dans cette fresque, qui dit au moins autant de bien que de mal de ce personnage pas encore prêt à devenir crépusculaire. Il s’agit par conséquent moins du décryptage sans état d’âme d’un phénomène de société démesuré que de la création d’une nouvelle légende, où tout est vrai et faux à la fois, selon la volonté manifeste de Berlusconi de brouiller les lignes entre son insuffisance personnelle et l’ampleur du rôle qu’il cherchait maladivement à s’attribuer lui-même.
Pizza et champagne
Au début du film, le protagoniste est au creux de la vague : il s’amuse à tuer les intrus animaliers dans sa villa à petit feu et ne cultive plus aucune ambition politique. Pire encore, Silvio et les autres lui-même démarre de façon assez bancale, en accompagnant le petit profiteur minable, interprété outrancièrement par Riccardo Scamarcio, dans ses combines pour se rendre intéressant aux yeux de l’idole de toute une génération. Heureusement, ce côté réellement vain d’une époque est rapidement évacué, grâce à la version internationale, au profit du portrait infiniment plus nuancé d’une bête de foire sur laquelle on pensait déjà tout savoir. Mieux vaut en effet réviser votre jugement sur le maître du bunga bunga, si vous souhaitez laisser sa chance au trait moins catégoriquement défavorable du réalisateur. Sous les traits toujours aussi intenses de Toni Servillo, Berlusconi, l’incorrigible, aura droit à ce que l’on n’hésiterait pas trop d’appeler un traitement de faveur. En tout cas, l’acteur s’emploie magnifiquement à chercher de l’humanité dans l’âme d’un homme que l’opinion publique a d’ores et déjà mis sur la décharge de l’Histoire. Et surprise, il en trouve plus qu’un peu, comme la plupart des séquences le démontrent, de petits joyaux filmiques en phase avec la dimension narcissique de l’homme ! Car comment comprendre autrement ces fêtes qui se terminent souvent sur une note amère, ces coups de fil nocturnes au cours desquels le vieillard croit devoir se prouver encore ses talents redoutables de vendeur, ces chansons si mal chantées qui sont pourtant l’expression d’une volonté incommensurable d’être aimé ?
Conclusion
Présenté en séance spéciale au Festival de La Roche-sur-Yon, Silvio et les autres constitue un habile jeu de dupes qui ne remplit cependant pas toutes ses promesses. Moins le constat d’une débauche morale et culturelle que la tentative de trouver quelque trait de caractère positif que ce soit chez un individu irrécupérable depuis longtemps, le huitième long-métrage de Paolo Sorrentino fascine autant qu’il déroute. Ce qui n’est nullement la faute de son brillant acteur principal, dont on qualifierait presque le jeu de retenu, en comparaison avec un bref double rôle d’associé de longue date de Berlusconi, plus proche de la caricature que le ton ambivalent du film dans son ensemble.