Sauvage
France, 2018
Titre original : –
Réalisateur : Camille Vidal-Naquet
Scénario : Camille Vidal-Naquet
Acteurs : Félix Maritaud, Eric Bernard, Nicolas Dibla, Philippe Ohrel
Distribution : Pyramide Films
Durée : 1h40
Genre : Drame
Date de sortie : 29 août 2018
Note : 3/5
La sauvagerie n’est pas vraiment là où on pourrait l’attendre dans ce premier film poignant, présenté dans le cadre de la Semaine de la Critique au Festival de Cannes. Dans Sauvage, ce sont moins les rencontres sordides qui choquent que les sentiments à fleur de peau, cette naïveté affective par laquelle se distingue le protagoniste en quête perpétuelle d’amour. Le pessimisme qui va traditionnellement de pair avec le milieu misérable de la prostitution y livre une bataille coriace contre le revers de la médaille, la conviction que parmi ces clients aux pratiques plus ou moins perverses il y aura bien un en mesure de donner plus que du fric et du sperme. Un espoir maintes fois déçu, soit, mais auquel le réalisateur Camille Vidal-Naquet et son acteur remarquable Félix Maritaud croient dur comme fer, quitte à se faire avoir encore et encore, une passe à la fois. Mais même dans ces moments d’une solitude parfois insoutenable, le personnage principal – et à travers lui le film dans son ensemble – s’accroche contre toute raison. Qu’un tel idéalisme romantique est forcément voué à l’échec, le scénario nous le laisse supposer pendant la majeure partie du récit. Car même la pirouette à peu près finale, lorsque le rendez-vous chez le médecin n’est plus synonyme de jeux de rôles érotiques ou de mise en question existentielle, se solde par le constat amer que ce jeune homme à la fois si désireux et si désirable n’assouvira jamais son fantasme enfantin d’un sentiment de sécurité sans faille.
Synopsis : Léo se prostitue en banlieue strasbourgeoise. Il n’a aucune attache et, contrairement aux autres hommes qui font le tapin à son endroit de drague habituel en lisière de forêt, cela ne le gêne pas d’embrasser ses clients. Lors d’un plan à trois avec un homme handicapé, il fait la connaissance de Ahd, un confrère involontaire, qui, lui, n’embrasse pas et qui reste évasif face aux avances de Léo.
Regarder les avions décoller
Il y a quelque chose de profondément avilissant dans la prostitution, de surcroît lorsque elle se pratique en plein air, où les hommes et les femmes déambulent comme de la chair fraîche devant les yeux des clients potentiels, assis confortablement tels des voyeurs suprêmes dans leur voiture. Ce déséquilibre des forces matérielles et sociales, Sauvage y revient à plusieurs reprises sur le ton éprouvant de la résignation, atténué uniquement par la volonté indécrottable de Léo de se soumettre aux pires vices de ses partenaires, en échange d’un peu de tendresse provisoire. Ce pari s’avère rarement gagnant, surtout quand le décalage des attentes en termes de manipulation des sentiments et accessoirement des jouets sexuels extrêmes débouche sur une incompatibilité pour laquelle le fournisseur de services érotiques assez glauques payera toujours le prix fort. Alors que ce héros des plans foireux a l’air de prendre au moins superficiellement son pied lors de ces rencontres sans lendemain, leur accumulation résulte par une identité et une volonté complètement abîmées. Aussi atypiques ses raisons pour se prostituer soient-elles, sous réserve que son passé reste entièrement flou pour ses michetons et le spectateur, Léo n’y voit que le moyen détourné pour rencontrer d’autres mecs aussi déboussolés et seuls dans leur âme que lui.
Envie de câlins, besoin d’amour
Dans ce marasme des corps masculins dénudés sans trop de sensualité, Camille Vidal-Naquet aborde le dilemme de son personnage principal avec beaucoup d’humanité et très peu de poncifs misérabilistes. Mieux encore, sa narration fait preuve d’une pudeur appréciable dans les moments les plus délicats. La capitulation prévisible mais néanmoins tragique face à la tentation toxique du mal absolu roulant en Jaguar se solde ainsi non pas par une séquence de torture irregardable, mais par l’élégance d’une ellipse qui laisse sous-entendre tout ce que nous préférions de toute façon pas voir. De même, la méchanceté que pourrait inspirer l’inexpérience et l’indécision – pour ne pas dire la bêtise toutefois attachante – de ce jeune adulte, dont la santé physique n’est pas la seule source d’inquiétude, se transforme comme par miracle, ou plutôt grâce à la sympathie sincère que le réalisateur semble porter à ces garçons qui vendent leur corps, en un point de vue dépourvu de jugement moral. Léo est ce qu’il est, un cœur d’artichaut très chaud, incapable de canaliser les exigences paradoxales de sa libido et de sa soif d’affection afin d’aboutir, pourquoi pas, à une relation stable et convenable. Par voie de ce refus catégorique du bonheur, Sauvage acquiert une cohérence interne d’autant plus bluffante qu’elle est le fruit d’un premier film des plus prometteurs.
Conclusion
On espère que nos quelques lignes précédentes ont été suffisamment claires pour faire comprendre que le premier long-métrage de Camille Vidal-Naquet n’est pas fait pour les âmes sensibles et encore moins pour les éternels homophobes, qui découvriraient certaines pratiques homosexuelles par son biais. Pour tous les autres, Sauvage pourrait être une révélation, à la fois grâce à l’interprétation intense de Félix Maritaud et à la franchise avec laquelle son réalisateur aborde un sujet potentiellement épineux.