Mon gâteau préféré
Iran, France, Suède, Allemagne, 2024
Titre original : Keyke mahboobe man
Réalisateurs : Maryam Moghaddam et Behtash Sanaeeha
Scénario : Maryam Moghaddam et Behtash Sanaeeha
Acteurs : Lily Farhadpour, Esmail Mehrabi, Khosro Abbasi et Meraj Abtahi
Distributeur : Arizona Distribution
Genre : Comédie dramatique
Durée : 1h37
Date de sortie : 5 février 2025
3/5
Alors que le régime des mollahs exerce fermement son contrôle sur le cinéma iranien, de temps à autre, il y a quand même des films ayant osé défier cette chape de plomb qui arrivent jusque sur les écrans de nos salles obscures. Des cinéastes comme Jafar Panahi et Mohammad Rasoulof tendent ainsi un miroir nullement flatteur à leur pays, déchiré entre l’être et le paraître, dans un labyrinthe écœurant de contradictions collectives et intimes. Par contre, il est extrêmement rare de voir une œuvre filmique au ton moins empreint de gravité essayer de nous faire croire que le quotidien du côté de Téhéran puisse aussi être joyeux et insouciant.
Jusqu’à un certain point, Mon gâteau préféré est cette licorne inattendue, un improbable rayon de soleil et d’espoir dans le marasme ambiant, qui dépasse hélas largement le cadre strictement iranien.
Le succès que le film de Maryam Moghaddam et Behtash Sanaeeha a remporté en festival, à Berlin, à Cabourg et plus récemment au Festival de Sarlat, témoigne de ce nouveau vent de fraîcheur et d’insouciance initiale que l’on n’associe normalement guère aux productions venues de leur pays d’origine. Par conséquent, c’est cet aspect-là du film qui nous a le plus touchés, voire conquis. A savoir sa souscription presque fanatique à une conception adorablement romantique de l’amour, peu importe à quel âge il s’évertue à frapper à la porte des uns et des autres.
Ce coup de foudre venu de nulle part, les deux acteurs Lily Farhadpour et Esmail Mehrabi lui donnent vie de la plus désarmante des manières : avec une candeur d’une grande authenticité, faisant de cette soirée enchantée à la fois le plus beau moment de leur vie et une très belle séance de cinéma pour nous.
Synopsis : A 70 ans, dont trente en tant que veuve, l’infirmière à la retraite Mahin n’attend plus grand-chose de la vie. Sa routine terne et solitaire commence tous les jours après midi, à cause de ses insomnies nocturnes, et consiste à arroser les plantes dans son jardin et à faire les courses. Avec ses amies, globalement dans le même état de sécheresse affective qu’elle, elle n’arrive plus à se voir qu’une ou deux fois par an. Désabusée de cette existence sans amour, Mahin décide de provoquer le destin. Elle finit par croiser le chemin du chauffeur de taxi Faramarz, lui aussi profondément lassé par son quotidien dépourvu de chaleur humaine.
Il n’est jamais trop tard
Pourquoi le cinéma ne s’intéresse-t-il que très rarement au destin des personnes âgées, les laissés-pour-compte d’une civilisation mondiale qui ne voue son culte qu’à la jeunesse ? En effet, il y aurait d’innombrables histoires à conter sur ces femmes et ces hommes, arrivés plus ou moins intacts à la fin de leur vie, sans pour autant s’avouer encore vaincu et prêt à disparaître. Sur ce champ scénaristique beaucoup trop peu exploré, Mon gâteau préféré fait des merveilles, tant il fait sien le point de vue de cette femme, Mahin, tristement lucide sur sa situation de veuve abandonnée par toutes et tous. Chaque interaction sociale lui renvoie en fait l’image de sa solitude et de son âge. Ce cocktail toxique la rend au mieux risible dans un monde ayant évolué vers un semblant de modernité, simultanément à son propre déclin.
Ses tentatives pour trouver malgré tout un dernier Roméo, susceptible de la faire vibrer comme les feuilletons à l’eau de rose qu’elle regarde tous les soirs à la télévision – cruellement seule sur son canapé –, ne sont d’abord point couronnées de succès. Cependant, elles servent à nous faire découvrir depuis un angle différent la société iranienne, ses espaces publics conçus avec de la pompe, quoique vides de gens qui pourraient leur insuffler un peu de vie. Un problème qui résulte également de l’emploi du temps en décalé de Mahin, toujours pas levée alors que ses copines veulent déjà se plaindre de leurs tracas de santé. En somme, c’est un personnage qui évolue en dehors de la vie active, voire en dehors de la vie tout court, vers laquelle il tend néanmoins avec tout son être.
Une urgence
Il sied à la sobriété à hauteur d’homme ou de femme de la part des réalisateurs que ce statu quo lénifiant ne soit pas renversé du jour au lendemain. A peu de choses près, Mahin aurait très bien pu finir comme le personnage emblématique de Margo Martindale dans l’épisode de Alexander Payne dans Paris je t’aime, même près de vingt ans plus tard toujours la solitude féminine incarnée à nos yeux. Ainsi, ses maladresses sont certes touchantes, mais c’est presque par hasard qu’elle finit par toucher le gros lot. Avec à chaque instant une place importante laissée au doute et à l’incrédulité, comme si ces deux tourtereaux n’osaient pas croire en le bonheur romantique qui leur arrive. Une liesse des sentiments que Maryam Moghaddam et Behtash Sanaeeha traduisent à travers des termes cinématographiques d’une efficacité redoutable.
Avant que le récit ne bascule, forcément, vers des tons plus sombres et lugubres. Tandis que l’on comprend tout à fait le besoin dramatique de ne pas permettre aux amoureux faussement jeunes de voguer vers un avenir heureux et épanoui, le revirement majeur qui arrive dix, quinze minutes avant la fin de Mon gâteau préféré dirige irrémédiablement ce dernier vers l’impasse déprimante dans laquelle l’ensemble des films iraniens semblent actuellement pris au piège. Une décision narrative d’autant plus discutable que le deus ex machina maléfique ne trouve pas vraiment son origine du côté des restrictions draconiennes qui musellent depuis longtemps la vie quotidienne en Iran. Il s’agit juste d’une bifurcation radicale d’autant plus regrettable, qu’elle succède à l’un des moments les plus hilarants du film.
Conclusion
En Iran, les personnes âgées n’ont pas du tout la vie plus facile que leurs pendants occidentaux. Bien au contraire, puisque les contraintes d’une forme d’état totalitaire les poussent encore davantage vers l’insignifiance sociale. De ce point de vue-là, Mon gâteau préféré opère avant tout comme un conte de fées prodigieux, qui croit encore en l’amour et ses nombreux bienfaits. Que le réveil d’une nuit d’ivresse y soit traité avec autant de tristesse et de cynisme n’est peut-être que logique, dans un pays qui semble mettre un point d’honneur à interdire à sa population de jouir des plaisirs humains les plus indispensables … En tout cas, par son allégresse et par la sobriété avec laquelle il nous présente un fantasme romantique quasiment impossible d’arriver dans la vraie vie, le deuxième long-métrage de Maryam Moghaddam et Behtash Sanaeeha a bien plus tendance à nous subjuguer qu’à nous faire désenchanter sans crier gare.