Critique : Saint Laurent (beaucoup pour)

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388785.jpg-r_640_600-b_1_D6D6D6-f_jpg-q_x-xxyxxSaint Laurent

France : 2014
Titre original : –
Réalisateur : Bertrand Bonello
Scénario : Bertrand Bonello, Thomas Bidegain
Acteurs : Gaspard Ulliel, Jérémie Rénier, Helmut Berger, Louis Garrel
Distribution : Europacorp Distribution
Durée : 2h30
Genre : Biopic, Drame
Date de sortie : 01 octobre 2014

Note : 3,5/5

Quelques mois à peine après l’autre biographie du célèbre couturier signée Jalil Lespert avec Pierre Niney dans le rôle-titre et Guillaume Gallienne dans celui de son mécène et compagnon Pierre Bergé, Bertrand Bonello signe une biographie non officielle en attribuant les mêmes rôles à Gaspard Ulliel et Jérémie Rénier.

Synopsis : La vie du célèbre styliste Yves Saint Laurent entre 1965 et 1976.

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L’homme qui aimait les hommes et habillait les femmes

Deux films, deux visions différentes sont donc sortis cette année sur l’un des créateurs de mode emblématiques du vingtième siècle. Bertrand Bonello raconte lui aussi donc les très hauts et les très bas du couturier qui ne veut pas être ‘le mouton de Bergé’ en se concentrant sur la période située entre 1967 et 1976 considérée comme l’apogée de sa créativité. L’approche est moins ‘romantique’ et plus éthérée, presque poétique tout en montrant le travail du maître et là encore ses rapports avec l’homme de sa vie important dans les coulisses. Ce n’est pourtant pas l’histoire d’un couple mais plus d’un artiste mis en valeur en tant que tel et d’un homme qui aimait les hommes et habillait les femmes.

La performance de Pierre Niney a marqué les spectateurs mais Gaspard Ulliel n’est pas moins fascinant (au contraire). Il s’est approprié comme par magie le corps et la voix de son modèle. Il le joue avec un côté espiègle, enfantin et caractériel, touchant malgré ses penchants pour les paradis artificiels. Il se meut, parle, pose son regard sur le monde qui l’entoure comme s’il était YSL. Fragile en solitaire, rugueux avec son personnel, il n’est pas épargné, il est même cruel avec une employée qui tombe enceinte et veut avorter ou d’autres qui deviennent mères de famille.

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Son caractère ténébreux ne s’accommode pas des contraintes du quotidien que lui évite Pierre Bergé qui n’est pas croqué avec un regard aussi critique qu’on pouvait l’imaginer. Même s’il est plus malmené que chez Jalil Lespert, il reste le protecteur posé de l’homme et de la marque. La scène avec Brady Corbet lors d’une négociation d’affaires suffit à poser son rôle sans s’appesantir plus que de raison sur cette dimension qui intéresse manifestement beaucoup moins le cinéaste. ‘J’ai créé un monstre et il faut que je vive avec’ dit Pierre Bergé interprété avec une retenue bienvenue par Jérémie Rénier.

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L’autre belle surprise du film est la rencontre passionnelle de Saint Laurent avec Jacques de Bascher, un modèle de Karl Lagerfeld incarné avec sensualité (oui, c’est possible) par Louis Garrel fascinant de séduction malgré une dazzling moustache à la Freddie Mercury. Leur couple est une évidence, jusque dans ses contradictions et ses errements, voire sa douleur. Les personnages féminins sont plus anecdotiques, Betty Catroux (Aymeline Valade), Loulou de la Falaise (Léa Seydoux) et Anne-Marie Munoz (Amira Casar) restant dans l’ombre des passions masculines du maître, au moins dans la représentation de Bonnello. Valeria Bruni Tedeschi crée néanmoins un très joli portrait de femme transformée par YSL.

Léa Seydoux, Gaspard Ulliel et Aymerine Valade
Léa Seydoux, Gaspard Ulliel et Aymerine Valade

Assumer l’héritage de Visconti

Le cinéma reprend ses droits dans la dernière partie avec le côté évanescent de la mise en scène de Bonello qui redevient personnelle et s’éloigne alors plus nettement des contraintes de la biographie filmée après les avoir embrassées. Saint Laurent devient alors particulièrement émouvant aussi grâce au retour surprise de Helmut Berger en YSL vieilli (dont la voix reste celle d’Ulliel). Le mythe échappé du cinéma de Visconti, dont les dernières apparitions marquantes étaient Les Prédateurs de la Nuit de Jess Franco en 1988 et un peu Le Parrain 3 de Coppola en 1990, apporte une émotion soudaine et inattendue, par sa place dans l’Histoire du cinéma, comme un clin d’oeil au cinéma élégant et décadent du maître italien. Devenu comme un fantôme lui-même, il incarne un Saint Laurent absent, reclus comme pouvait l’être Howard Hughes. Il se regarde dans Violence et passion de Visconti dans un jeu entre réalité de fiction et distance cinéphilique. Une autre ‘créature viscontienne’ fait une apparition, l’inoubliable Dominique Sanda dans le rôle de la mère de Saint Laurent.

Le lien avec Visconti, assumé comme une source d’inspiration, se ressent aussi dans la description d’un monde qui s’ignore comme étant en bout de course, le montage parallèle avec d’un côté des défilés éloignés de toute réalité et de l’autre des images d’actualités illustre cet aveuglement. Certes, le procédé facile est plus démonstratif que chez Visconti qui n’avait pas besoin de cet artifice mais le temps de cette brève séquence, Bertrand Bonello remet en perspective la vision du couturier dans son époque.

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Visuellement, le film possède une réelle élégance grâce à l’art du costume vivant d’Anaïs Romand et à la belle photo signée Josée Deshaies qui met en valeur les visages des comédiens, les décors sobres ou ceux plus chargés comme l’antre d’YSL avec le bouddha imposant, un lieu qui évoque les salons de cauchemar de la Loge Noire de Twin Peaks comme si l’on passait derrière le rideau rouge. Le film a été tourné en 35mm et on ne peut que saluer cette initiative qui se raréfie dans le cinéma français. Le choix de Bonello est avant tout d’ordre esthétique mais il est aussi historique et presque politique alors que beaucoup d’auteurs y renoncent par contraintes économiques.

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Bertrand Bonello se met en scène en journaliste chargé d’écrire une nécrologie de Saint Laurent (encore vivant!) comme pour critiquer ce projet de l’intérieur, lui-même étant sceptique sur le concept de biopic. Lorsqu’il se pose la question de comment parler de lui, de ce qu’il est possible de dire sur sa vie privée et de ses paradis artificiels, il admet les errances toujours possibles de ce genre bâtard et autorise son sujet à se dérober à son enquête cinématographique. Il signe par ailleurs quelques thèmes musicaux parmi une très riche bande sonore sélectionnée avec soin, avec des morceaux pop, de variétés ou du répertoire classique qui s’agencent parfaitement en illustration sonore.

Résumé

La guerre des Saint Laurent n’aura finalement pas eu lieu : les films de Jalil Lespert et Bertrand Bonello sont très différents, le premier a connu un succès immédiat, celui du second sera plus progressif et devrait être aidé par le fait qu’il vient d’être choisi pour représenter la France lors de la prochaine édition des Oscars dans la catégorie du meilleur film en langue étrangère. Si le scénario ne s’exonère que peu des contraintes de la biographie filmée, la mise en scène de Bertrand Bonello s’autorise de jolies échappées peut-être trop rares mais suffisamment belles pour séduire juste ce qu’il faut…

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