En France, chaque communauté a les chroniqueurs filmiques qu’elle mérite. Ou plutôt, chaque reflet identitaire au sein d’une société riche en cultures diverses et variées se voit forcément rapporté au talent de son défenseur attitré. Dans le cas des pieds-noirs, on reconnaît qu’ils auraient pu mieux tomber, comme par exemple les Roms qui voient depuis des années leur cause mise en images avec insistance et intelligence par Tony Gatlif. La filmographie de Alexandre Arcady, par contre, se démarque, pas forcément en bien, par le trait outrancier avec lequel elle tente de garder vivante la mémoire de la terre d’Algérie, perdue à jamais. Dans L’Union sacrée, disponible encore pendant deux semaines sur le replay d’OCS comme trois autres films du réalisateur, le cadre géographique a beau être en léger décalage par rapport aux films les plus emblématiques d’Arcady, il y est néanmoins sans cesse question d’une guerre idéologique que se livreraient les juifs et les arabes sur le sol français.
Le quota des préjugés à peu près supportable est en effet rapidement atteint dans ce policier, où un flic de la brigade des stups survolté, très fier de ses racines juives, devra faire équipe contre son gré avec un collègue aux origines arabes et aux méthodes tout en douceur. Plus de trente ans après la sortie de L’Union sacrée, osons espérer que pareille prémisse laborieuse et surtout extrêmement tendancieuse ne se prêtera plus qu’au versant le plus grossier de la comédie populaire. Mais bon, les mentalités n’étaient pas les mêmes à la fin des années ’80, une décennie elle aussi marquée par la gangrène du terrorisme islamiste. Les stéréotypes vont par conséquent bon train, depuis la maman juive qui couve encore son fils adulte jusqu’à l’étouffement affectif – un rôle ingrat avec lequel Marthe Villalonga ne peut pas faire de miracle – jusqu’à l’attaché d’ambassade, un djihadiste larvé à qui l’acteur Saïd Amadis confère une souche épaisse de fanatisme, aussi manichéenne que difficilement pardonnable, puisqu’il a également participé à l’écriture du scénario.
Cependant, la collaboration chahutée entre les deux policiers que tout devrait opposer forme le cœur nerveux pas dépourvu d’efficacité d’un récit, qui tourne en rond au bout d’une heure et demie de film. Abandonné à lui-même, Patrick Bruel sombre tristement dans la grandiloquence, son personnage de grand enfant impétueux ayant constamment le réflexe narcissique d’attirer l’attention sur lui. Ses accomplissement professionnels paraissent de surcroît tirés par les cheveux, ce qui rend son duo gagnant avec l’inspecteur Hamida d’autant plus boiteux. Ce dernier bénéficie toutefois de toute la subtilité de jeu dont était encore capable Richard Berry à ce moment-là de sa carrière. Il s’acquitte en effet sans trop de peine des aspects les plus ahurissants de son personnage, y compris cet air mielleux de premier de la classe qui n’est en fait qu’une couverture. Or, sa tâche principale consiste à canaliser tant soit peu les excès répétitifs de Bruel, l’exemple parfait d’un acteur en roue libre.
On ne s’en souvenait pas trop, mais on a déjà dû voir ce film vers la fin de notre douce et tendre adolescence, probablement sur la chaîne de promotion de la francophonie TV5 Monde. Et quelle belle image de la France L’Union sacrée colporte-t-il … ! Un pays où d’un côté pullulent les flics obnubilés par leur propre importance, s’ils ne sont pas des hauts fonctionnaires sans pouvoir, des emplois très conventionnels confiés ici à Bruno Cremer et Claude Brasseur, et où de l’autre l’embrigadement islamiste recrute ses futurs martyrs au grand jour. On espère de tout cœur que l’humanité s’offrira le luxe de s’affranchir de cette vision du monde, dangereusement binaire et hélas toujours d’actualité, au moment de la sortie de cette longue période d’hibernation qu’est le confinement mondial !