En ces temps de crainte virale collective, certains se sont résignés à regarder en boucle Contagion de Steven Soderbergh, afin de savoir ce qui peut nous attendre, dans l’hypothèse la plus pessimiste. Pour notre part, on a préféré revoir le téléfilm Les Soldats de l’espérance, produit par HBO et disponible sur la plateforme de vidéo par abonnement OCS, qui revient sur une épidémie infiniment plus mortelle et aux implications sociales et culturelles plus ambiguës que la crise à traverser coûte que coûte en ce moment. A partir du début des années 1980, ce qui ne s’appelait alors pas encore le sida a commencé son parcours ravageur à travers la communauté gaie pour commencer, puis dans le monde entier, tuant jusqu’à ce jour des millions de personnes. Le profil médical de cette affectation du système immunitaire est certes assez différent de celui du coronavirus. La chronique de la lutte désespérée contre cette pandémie, chassée de la conscience du grand public avec une préméditation proprement criminelle, résonne par contre amèrement, au moment où le monde entier a été mis en quarantaine à cause d’une maladie, dont le taux de mortalité est – heureusement – dérisoire par rapport à l’arrêt de mort que représentait à l’époque un diagnostique de séropositivité.
Les spécificités du contexte historique mis à part, le téléfilm de Roger Spottiswoode montre en effet avec une efficacité appréciable à quel point la recherche médicale a toujours un train de retard sur la progression impitoyable d’une maladie meurtrière. Un décalage qui est moins dû à l’incapacité scientifique de nos chers chercheurs qu’aux bâtons qui sont mis dans leurs roues par l’alliance néfaste et hélas observée à chaque nouveau cas de figure semblable entre des médias initialement incrédules et une classe politique frileuse au point de devenir cruellement inopérante. Après, la vitesse de la prise de conscience dans les années ’80 n’a plus rien à voir avec la réactivité actuelle, qui permet de confiner une part importante de l’humanité en quelques jours à peine. Au détail près qu’il y a quarante ans, seulement, le fait de voir de loin quelques pauvres pédés crever misérablement dans leur ghetto n’était pas le genre d’information qui alarmait outre mesure l’élite politique d’un pays aussi à cheval sur ses valeurs puritaines que les États-Unis d’Amérique. Or, entre l’ère Reagan et ce que l’on craint voir devenir l’ère Trump, les similitudes sont tristement nombreuses, entre les choix budgétaires en faveur de la défense militaire et au détriment de la santé publique, tout comme en termes de cafouillage du discours officiel et des mesures de lutte sanitaire prises à reculons.
La séquence finale mise à part, où le montage d’images de personnalités mortes du sida sur fond d’une chanson mélancolique de Elton John lorgne un peu trop du côté du chantage sentimental, Les Soldats de l’espérance réussit assez brillamment à marier en toute sobriété l’aspect plus bureaucratique de la crise du sida aux destins individuels qui ont été irrémédiablement touchés par elle. Le récit accomplit en fait l’exploit hautement hasardeux de donner un visage, et même plusieurs visages, à un phénomène collectif passablement abstrait. Chacun des personnages y est traité sur un pied d’égalité narrative, à l’exception du docteur Don Francis, interprété avec une verve finement maîtrisée par Matthew Modine. Ce qui ne veut pas dire que la mise en scène lui permettrait de tirer la couverture de l’identification privilégiée vers lui. Bien au contraire, l’impression d’un ensemble d’acteurs homogène dans son effort de servir la cause de la vulgarisation des coulisses médicales d’un traumatisme majeur des années ’80 y est particulièrement saisissante.
Par où commencer alors pour chanter les louanges d’un ensemble d’acteurs acquis corps et âme à un projet d’autant plus engagé qu’au début des années ’90, le courage d’Hollywood – certains diraient son opportunisme – de se saisir de sujets ayant trait au sida n’en était qu’à ses balbutiements ? A titre d’exemple, Philadelphia de Jonathan Demme, célébré à l’époque comme l’un des premiers films grand public à oser aborder cette thématique épineuse, était sorti au cinéma trois mois après la première diffusion de Les Soldats de l’espérance ! Essayons de les regrouper en activistes de la cause LGBTQ d’ores et déjà confirmés (Lily Tomlin, Ian McKellen et B.D. Wong), en représentants attachants du personnel médical en quête de pistes sérieuses pour débusquer l’ennemi mystérieux (Saul Rubinek, Charles Martin Smith et Richard Masur) ou à la pointe de la recherche internationale, où l’égo l’emporte parfois sur le bien commun (Alan Alda en méchant quelque peu caricatural d’un côté et la vaillante équipe française de l’autre avec Nathalie Baye, Patrick Bauchau et Tchéky Karyo) et enfin des vedettes de l’époque, dont le cachet a dû faire plus pour la notoriété du téléfilm que la durée globalement très courte de leur présence à l’écran (Richard Gere, Anjelica Huston et Steve Martin).
Que du beau monde, en somme, au service d’un film, sorti au cinéma dans bon nombre de pays y compris la France, dont ni le sujet épidémiologique, ni le traitement mi-ludique, mi-engagé n’ont hélas rien perdu de leur pertinence en ces temps de confinement général pour cause de Covid-19 … !