Suite et fin de notre petit calvaire auto-imposé de films de Alexandre Arcady sur OCS avec son quinzième long-métrage Comme les 5 doigts de la main. Et s’il faut bien reconnaître une chose, c’est que le réalisateur y maîtrise l’art de faire un film parfaitement mauvais. Comprenons-nous bien, cela nous a presque fait plaisir de revoir cette saga familiale sur fond de traque à l’homme entre Marseille et Paris, puisque toutes les lacunes remarquées dans les trois films du réalisateur vus dans un laps de temps rapproché y sont condensées d’une façon hautement divertissante. Pas sûr d’ailleurs que l’humour y soit volontaire ! Mais au lieu de nous arracher les cheveux face à tant de complaisance avec les clichés sur la communauté juive et les codes du film de gangster, nous avons préféré appliquer au film la grille de lecture de la dérision. Vu à travers le filtre comique de l’univers de La Vérité si je mens, où les personnages appliquent avec une hypocrisie sidérante le code de conduite de la religion juive, il y a donc quelques rires jaunes à tirer de cette épopée grandiloquente sur l’honneur de la famille.
La première partie de Comme les 5 doigts de la main s’emploie ainsi à camper le décor d’une famille dysfonctionnelle, tant bien que mal reliée par le cycle contraignant des fêtes juives. Entre les enterrements, les shabbats et les autres occasions de festivités collectives – ah, qu’elles nous manquent quand même pendant ce confinement qui s’éternise ! – , les personnages ne paraissent guère avoir un moment pour eux. C’est tout juste qu’ils revêtent les habits stéréotypés de leur profession : Patrick Bruel, dont le jeu a contre toute attente gagné en sobriété avec l’âge, est le chef de famille par substitution, un patron de restaurant ambitieux et époux infidèle seulement en pensée / Pascal Elbé campe le pharmacien type, angoissé au point de se réfugier corps et âme dans les préceptes de sa religion / Eric Caravaca a pu faire abstraction de ces derniers, grâce à la laïcité de l’enseignement républicain qu’il perpétue dans un lycée de banlieue / le plus jeune, Mathieu Delarive, a hérité d’un rôle de bon-vivant superficiel et irresponsable, qui nous fait mieux comprendre pourquoi l’acteur évolue principalement sur le petit écran.
Tout ce beau monde mène une vie sans souci sérieux dans son microcosme parisien, chacun se montrant parfaitement conforme au rôle qui lui est attribué au sein de cette fratrie pas plus bancale qu’une autre. C’est du niveau des comédies communautaires qui peuvent parfois faire le petit bonheur commercial du cinéma français, quoi, rien de plus, rien de moins. Bien entendu, la brebis galeuse, sous les traits pathologiquement préoccupés de Vincent Elbaz, ne tarde pas à dérégler ce mécanisme familial qui s’était fait une raison depuis des années d’être amputé d’un membre. Ce retour au bercail s’accompagne de toutes sortes d’opérations musclées, au cours desquelles les frères, en apparence si différents, devront unir leurs forces pour sauver le nom des Hayoun.
Même si la gestion narrative de ce basculement collectif vers la criminalité de circonstance se montre toujours aussi hasardeuse que dans les films précédents de Alexandre Arcady, la mise en scène de ce dernier fait au moins preuve de cohérence en termes de trait forcé jusqu’à la parodie. Elle sait en plus s’abstenir d’une surabondance de retours en arrière, censés expliquer le potentiel explosif des rapports entre les frères. Car une fois de plus, l’enjeu du récit est réduit à son expression la plus basique et hélas également assez simpliste : faire en sorte que tout le monde prenne soin de son prochain, en respect total des lois archaïques sur lesquelles se basent jusqu’à ce jour les familles juives les plus traditionnelles. Sans surprise, une quelconque ouverture d’esprit y est autant aux abonnés absents qu’une logique saisissante du côté de l’intrigue policière, grossièrement bâclée.
Et puis, l’aspect sans doute le plus enrageant de Comme les 5 doigts de la main, c’est la nonchalance avec laquelle Alexandre Arcady y gâche un personnage féminin après l’autre. Tandis qu’une poignée de gueules du cinéma français apporte le coloris nécessaire pour rendre tant soit peu crédible le milieu de la pègre, du regretté Philippe Nahon à Michel Aumont, en passant par Amidou et Etienne Chicot, la distribution prestigieuse du côté des actrices ne sert à rien pour diversifier, ne serait-ce qu’un tout petit peu, l’optique machiste du récit. Passe encore que l’immense Françoise Fabian y soit reléguée au cliché ambulant de la mère juive, assez forte pour entendre même les pires horreurs sur sa progéniture, les rôles de Caterina Murino, Judith El Zein et Lubna Azabal sont pratiquement inexistants, quand il s’agit de fournir un contre-poids d’envergure au nombrilisme masculin de ces cinq frères caricaturaux.
A quoi cela nous a-t-il servi de nous plonger, le temps de quatre œuvres à la qualité fort discutable, dans la filmographie de Alexandre Arcady ? Pour rester positifs, disons que cette mini-rétrospective nous aura permis de déceler quelques préoccupations récurrentes dans le travail de ce réalisateur, étroitement attaché à ses origines juives et pied-noir. De même, il serait injuste de ne pas lui reconnaître un certain style, aussi tape-à-l’œil soit-il. Néanmoins, cela restera un grand mystère pour nous de comprendre, comment un réalisateur au talent cinématographique si facile à mettre en question aura trouvé les moyens, pendant près de quarante ans, de tourner des films au budget conséquent et, surtout, au propos tendancieux, dépourvu de la moindre finesse.