Quelle fin de carrière tristounette pour Billy Wilder dans les années 1970 ! Celui qui était en quelque sorte le roi de la comédie sophistiquée à Hollywood une vingtaine d’années plus tôt n’a absolument pas su s’adapter au vent de renouveau qui soufflait sur l’industrie du cinéma à ce moment-là. Pour être tout à fait équitable, il n’était pas le seul. Loin de là, puisque la plupart de ses contemporains étaient d’ores et déjà partis à la retraite forcée pour laisser la place à une nouvelle génération de réalisateurs aux noms de Spielberg, Coppola et Scorsese. Et pour ceux qui s’accrochaient coûte que coûte au peu de réputation restant encore à ces pionniers du cinéma américain d’après-guerre, ils devaient se disputer de misérables miettes. Spéciale première est indubitablement de celles-là : la deuxième adaptation d’une pièce de théâtre du début des années ’30 au sujet de laquelle tout avait déjà été dit lors du remake magistral par Howard Hawks en 1940, La Dame du vendredi.
Cette supposée comédie autour du battage médiatique qui accompagne la pendaison imminente d’un communiste se démarque en effet désagréablement par son anachronisme criant. Le décalage dans le temps n’y a pas du tout servi de prétexte à la mise à jour astucieuse d’une trame probablement pas complètement imperméable à quelques références bien senties à l’actualité américaine, alors en pleine fièvre du Watergate. Non, tout le projet a plutôt l’air d’un numéro de grand-guignol, présenté par des vieillards entièrement déphasés. Rien ne sonne ainsi réellement juste au cours d’une intrigue, de surcroît entachée par une vision du monde et de la société américaine horriblement misogyne et homophobe. Ce qui rend d’autant plus incompréhensible la participation de Susan Sarandon, au tout début de sa carrière, et de Carol Burnett, guère inspirée dans ses choix de rôles de cinéma tandis qu’elle attirait chaque semaine des foules de spectateurs devant leur écran de télévision.
Or, le point d’attrait principal de Spéciale première, ce sont censées être les retrouvailles de Jack Lemmon et de Walter Matthau, huit ans après leur première rencontre chez Wilder dans La Grande combine et six ans après leur collaboration restée la plus mythique dans Drôle de couple de Gene Saks. Hélas, la magie entre les deux comédiens a décidément dépassé sa date de péremption ici, puisqu’ils se livrent essentiellement à des délires de cabotinage sonnant aussi faux que le propos désuet du récit. Les étincelles qui fusaient auparavant entre Cary Grant et Rosalind Russell dans la version de Hawks sous forme de répliques jubilatoires ne sont désormais plus qu’une compétition fatiguée de quolibets névrosés. Une source presque inépuisable d’exagérations hystériques qui a eu la mauvaise idée de se prolonger jusque dans les seconds rôles sans saveur. Ceux-ci sont interprétés d’une manière étonnamment exsangue par des comédiens ayant fait preuve ailleurs d’élégance, dans le cas de Harold Gould, et d’intensité, dans celui de Charles Durning.
Peut-être ferait-on mieux de découvrir ou revoir en priorité les chefs-d’œuvre incontestables du cinéma qui pullulent sur la plateforme MUBI, avant de fouiller dans les profondeurs des archives, afin d’y trouver des films qui auraient mieux fait de tomber dans l’oubli. Spéciale première, proposé sans sous-titres français, est de ceux-là. Puisqu’il est toujours plus plaisant de voir le verre à moitié plein, disons que cette comédie assez pénible nous permettra d’apprécier encore plus les nombreux sommets à l’humour réellement acerbe dans la carrière de Billy Wilder. Des coups de génie intemporels qui s’appellent La Scandaleuse de Berlin, Sabrina, Certains l’aiment chaud, La Garçonnière et Un deux trois !