Hitchcock sera toujours Hitchcock. Même dans ses films les plus modestement bons, comme La Taverne de la Jamaïque, il y aura toujours des éléments de sa patte d’artiste suprême de la perversion à distinguer. Les bons y sont d’une fadeur consternante. Les méchants brillent par leur flamboyance. Et le rôle des femmes y relève d’un degré d’ambiguïté toujours aussi passionnant à déchiffrer. Car Alfred Hitchcock compte parmi ces réalisateurs de génie extrêmement rares, qui savent s’approprier même les sujets les plus ingrats.
Ainsi, à lui seul, son dernier film britannique n’aurait certainement pas suffi à lui ouvrir les portes d’Hollywood. En tant que point final provisoire de l’activité créative dans son pays natal, en attendant l’infiniment plus cynique Frenzy trente-trois ans plus tard, il laisse par contre d’ores et déjà entr’apercevoir quelques pistes prometteuses du futur propos sur la tâche complexe de l’identification avec des personnages aux facettes morales équivoques.
En effet, il nous paraît difficile d’imaginer un réalisateur attaché à rendre la répartition des rôles encore moins manichéenne que Hitchcock. Or, l’apologie du crime pure et simple n’est pas son truc. Pour cela, il œuvre dans les sphères d’une expression cinématographique beaucoup trop subtile. Non, le positionnement moral de sa narration, par rapport aux brutes et autres truands mettant en péril le monde si gentiment rangé, surtout sur le continent américain, consiste à leur laisser le bénéfice du doute quant aux démons, psychiques et sociaux, qui les hantent.
Dans ce film-ci, le grand seigneur qui manigance en secret des affaires louches, campé avec un formidable goût pour la démesure piteuse par Charles Laughton, appartient certainement à cette catégorie des ogres malgré eux. Les exemples ne manquent pas, d’ailleurs, pour rendre à nos yeux plus sympathique, voire attachant cet homme au raisonnement de toute évidence détraqué.
Comme c’est souvent le cas dans les films de Hitchcock, la beauté crépusculaire des anti-héros se nourrit ici, tel un magnifique parasite, de l’absence d’attrait des protagonistes plus conventionnels. Cette fois-ci, le maintien de la loi est assuré dans ce qu’il a de plus ennuyeux par le pauvre Robert Newton. Son rôle manque en effet tellement de relief, que la relation conflictuelle qu’il est censé entretenir avec sa compagne de fuite ne produit aucune étincelle.
Il serait plutôt injuste de mettre ce faible capital romantique sur le compte de la jeune Maureen O’Hara. Dans son premier film, l’actrice pose d’emblée les bases vigoureuses des personnages qu’elle jouera pendant les quarante ans à venir : des femmes au caractère fort et intempestif. Le fait que sa nièce, fraîchement débarquée d’Irlande, est parfois inclinée à l’exagération théâtrale au service d’une innocence innée lui pose une certaine difficulté pour s’intégrer dans la galerie d’héroïnes au charme plus érotique, dont Hitchcock détient le secret discutable.
Malgré la profusion de l’offre de films, récents ou plus anciens, disponibles sur les plateformes de vidéo en ligne en ces temps de confinement allégé, l’illustre filmographie de Alfred Hitchcock y est assez chichement représentée. Sautez donc sur l’occasion de voir ou revoir cette adaptation de Daphne Du Maurier joliment rétro sur le Vidéo Club Carlotta ! Il ne s’agit certes pas du meilleur point de départ pour bâtir une admiration sans bornes pour le travail du réalisateur. Mais si vous savez déjà en déceler les petites touches malicieuses, le plaisir de l’analyse éclairée sera d’autant plus grand.
Hichtcok restera l’un des meilleurs !!
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