Première étape de notre parcours nostalgique à travers les films disponibles sur la plateforme par abonnement Disney+. On ne s’attend certainement pas à des chefs-d’œuvre cinématographiques, mais plutôt à des films grand public qui reflètent à leur façon l’époque à laquelle ils ont été produits. Et qui sait, peut-être aurons-nous établi un cahier des charges idéologique et formel à la fin de ce panorama de la marque Disney sur grand écran ? Dans le meilleur des cas, ce sera donc un véritable travail d’orfèvre, en lieu et place d’une déclaration de fanatisme à l’égard d’un studio légendaire, dont l’avenir reste a priori aussi flou que celui de ses concurrents, crise économique mondiale due au coronavirus oblige. Quoi de mieux, par conséquent, que de se changer les idées avec une comédie romantique plutôt bien ficelée comme 10 bonnes raisons de te larguer ?
Comment se fait-il que la réception d’un film estampillé Disney se fait presque sans exception à travers un filtre de considérations morales ? Il y a tout de même quelque chose d’impressionnant dans la façon avec laquelle la maison de Mickey a su créer au fil du temps une image de marque aussi reconnaissable qu’inimitable. Ainsi, en termes de comédies romantiques ciblées public adolescent, qui étaient clairement à la mode au tournant du siècle, le film de Gil Junger se situe quelque part entre la gentillesse inoffensive de Elle est trop bien de Robert Iscove et le ton plus acerbe de la satire Lolita malgré moi de Mark S. Waters.
Ce qui ne veut pas dire que ce film-ci s’adonne à un tsunami d’eau de rose indigeste, aux situations et aux personnages ennuyeusement aseptisés. Il arrive au contraire à occuper pas sans adresse le terrain du milieu, c’est-à-dire l’endroit où le divertissement familial consensuel n’a pas encore complètement asphyxié toute réflexion en dehors des sentiers battus.
En l’occurrence, 10 bonnes raisons de te larguer s’amuse à jouer avec le feu, mais ne prend jamais le risque de s’y brûler sérieusement. La feuille de route opportuniste est habilement rédigée d’entrée de jeu, avec le personnage secondaire – que l’on ne reverra d’ailleurs plus par la suite – de la proviseure à qui Allison Janney confère un mélange très efficace entre la coquetterie et l’autorité. Dès lors, il devient évident que le danger n’émanera pas des générations aînées. Le seul potentiel de conflits se situera du côté des cliques d’adolescents, un grand classique des comédies de lycée.
Et comme pour mieux enfoncer le clou, notre porte d’accès à ce microcosme, qui doit en même temps ressembler à notre perception sommaire de toutes les écoles américaines, est le personnage de Cameron, un jeune Joseph Gordon-Levitt qui s’acquitte très bien de cet emploi de passeur, moins désireux de rejoindre le groupe des gamins populaires que de conquérir le cœur de son élue inatteignable. Sa mission se voit compliquée par un dispositif scénaristique un peu tiré par les cheveux ou bien tout droit sorti d’un conte de fées désuet. Ce qui revient essentiellement au même … Avant de pouvoir prétendre à sortir avec Bianca, qui n’a au demeurant d’yeux que pour le bellâtre Joey, c’est la sœur de celle-ci, la précocement acariâtre Kat, qui devra trouver un petit ami. Se met en place alors un stratagème digne de Shakespeare, et sans doute au moins en partie emprunté à lui, quoique exécuté avec moins d’adresse théâtrale. Il s’agit désormais de museler tant soit peu l’ambition d’indépendance intellectuelle chez Kat, au profit de passages obligés du côté de la comédie romantique aussi conventionnels que le premier baiser ou le bal de bachelier.
De quoi nous concocter un désastre sirupeux de la pire espèce, n’est-ce pas ? Sauf que le cœur du récit bat au fond pour deux personnages ayant le droit d’au moins flirter avec un anticonformisme assumé. La reine éphémère du genre Julia Stiles navigue avec une assurance admirable à travers les invraisemblances de son rôle, tandis que Heath Ledger joue à la perfection le mauvais garçon / tombeur de filles malgré lui. C’est grâce à eux que le film tient encore la route, voire qu’il a su préserver tout son charme de bluette, dont les différentes parties nous paraissent à présent si familières qu’on n’ose plus y distinguer quelque originalité que ce soit.
Alors oui, bien sûr, 10 bonnes raisons de te larguer accuse son âge par certains aspects, comme le bêtisier en fin de générique ou le traitement lâchement moqueur de l’homosexualité. Mais dans l’ensemble, nous n’avons pas boudé notre plaisir de retrouver l’innocence factice à laquelle ressemblait, il y a une vingtaine d’années, l’amour à la sauce Disney plutôt discrète.