Et si l’on vous demandait là, comme ça, à l’improviste, qui était la plus grande vedette du cinéma muet ? Après un moment de réflexion plus ou moins long, ce sont sans doute les noms de Charles Chaplin et de Buster Keaton qui vous viendraient à l’esprit, ces maîtres incontestés de la comédie ayant plutôt bien survécu dans la mémoire collective. Pour les esprits les plus romantiques, le premier bourreau des cœurs Rudolph Valentino pourrait également être cité, même si près d’un siècle après sa disparition, c’est sa légende qui prévaut aisément sur la notoriété et avant tout la visibilité de ses films. Ou bien, de façon entièrement légitime, votre choix se porterait sur Douglas Fairbanks, le champion absolu du box-office américain et international des années 1920.
Or, le fait de connaître le nom de ce premier grand aventurier de l’Histoire du cinéma n’équivaut point à une familiarité accrue avec sa filmographie abondante. Car contrairement au Kid de Chaplin ou au Mécano de la Générale de Keaton qui ont le privilège de défiler encore régulièrement sur les écrans des salles de répertoire, les films qui avaient autrefois fait la fortune et la célébrité planétaire de Douglas Fairbanks demeurent largement invisibles. Heureusement pour les férus de cinéma muet et autres nostalgiques d’une époque révolue depuis très longtemps, la Fondation Jérôme Seydoux-Pathé est là pour palier à cette zone d’ombre que le temps a fait planer sur ce pan important du cinéma populaire américain !
C’est donc depuis aujourd’hui et encore jusqu’au vendredi 14 janvier 2022 que vous pourriez découvrir les films avec Douglas Fairbanks du côté des Gobelins, dans le 13ème arrondissement de Paris. Cinq semaines et une vingtaine de films, restaurés et majoritairement projetés en DCP, pour vous laisser émerveiller par les films majeurs de l’acteur. Cerise sur le gâteau : les séances se dérouleront sous forme de ciné-concert, c’est-à-dire que les élèves issus de la classe d’improvisation de Jean-François Zygel du Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Paris accompagneront chacun des longs-métrages proposés au piano.
Le mardi 4 janvier 2022, il y aura même un ciné-concert jazz exceptionnel à l’occasion de la projection du Métis de Allan Dwan, accompagné à la clarinette par Louis Sclavis et au piano par Benjamin Moussay. La semaine prochaine, le vendredi 17 décembre, c’est l’éminent historien du cinéma Bernard Eisenschitz, à l’origine d’un texte sur Fairbanks publié dans « L’Anthologie du cinéma » à la fin des années 1960, qui animera une conférence autour de la relation artistique entre l’acteur-acrobate et son réalisateur préféré Allan Dwan.
Que reste-t-il aujourd’hui de Douglas Fairbanks (1883-1939) ? Le souvenir certes lointain de la première vedette plus grande que nature de l’Histoire du cinéma. En effet, en dehors de ses succès retentissants avec des films tels que Le Signe de Zorro et Les Trois mousquetaires de Fred Niblo, Robin des Bois de Allan Dwan et Le Voleur de Bagdad de Raoul Walsh, c’est le parcours hors normes de Fairbanks qui subjugue encore et toujours. Après avoir travaillé d’abord sous la direction de D.W. Griffith, il s’était rapidement affranchi de cette influence pour devenir un producteur à part entière.
Ainsi, il avait fondé en 1919 la société de production indépendante United Artists en collaboration avec Mary Pickford, Charles Chaplin et Griffith. L’année suivante, il avait épousé Pickford, la petite fille adorée des spectateurs américains, formant dès lors le tout premier couple vedette de l’Histoire du cinéma. Tandis que le passage au cinéma parlant allait infliger un coup d’arrêt brutal à sa carrière – un sort partagé avec bon nombre de ses contemporains –, il avait néanmoins su faire durer un peu son influence en participant à la fondation de l’Académie du cinéma américain, voire en en devenant le premier président jusqu’en 1929.
Le panache unique avec lequel Douglas Fairbanks avait ébloui les écrans de cinéma du monde entier pendant une dizaine d’années avait trouvé un hériter tant soit peu digne en la personne de son fils Douglas Fairbanks Jr. (1909-2000), à la carrière tout de même sensiblement plus modeste. Et puis, il serait hautement injuste de ne pas reconnaître quelques traits de caractère à la Fairbanks père dans le personnage principal de The Artist de Michel Hazanavicius, pour lequel Jean Dujardin avait gagné l’Oscar du Meilleur acteur en 2012.