Regards sur courts : un festival en luttes et en luth 1/4

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Hubert Laot, Luce Fillaud, Marcel Ramakers et Michel Mollaret

La 56ème édition du Festival de l’Image à Épinal, rebaptisé cette année Regards sur courts à l’occasion de sa tranquille évolution/révolution, s’est achevé le dimanche 10 septembre après trois journées intenses de projections d’un media pour le moins méconnu en dehors des quelques spécialistes. Un festival en lutte, à en juger par les principaux films récompensés et les défis qui s’annoncent pour les organisateurs.

Le jury international de la compétition photos a eu l’incroyable audace de récompenser mes œuvres préférées, me privant éhontément de la possibilité de me plaindre du palmarès. Pour la peine, je cite leurs noms en espérant ainsi les livrer à la vindicte populaire : Luce Fillaud, membre du club Objectif Image à Paris ; Hubert Laot, en charge de l’auditorium du musée de l’Orangerie et auparavant programmateur émérite à l’Auditorium du musée Guimet et le réalisateur Marcel Ramakers qui a marqué le milieu des diaporamistes par ses œuvres d’une grande originalité. Nous avons pu à l’occasion de sa présence en découvrir trois beaux spécimens, avec ses textes poétiques et ses belles images. Monde parallèle co-signé avec Michel Neuwels, Grand Prix Epinal (Coupe de l’Europe en 1991), est un conte au texte irréel et d’une ambiance qui n’est pas sans évoquer Twin Peaks, la petite fille au coeur du récit agissant sur nous comme une cousine proche de Laura Palmer. Il n’y a pas d’autobus le dimanche aborde l’attente d’une femme aimée et s’achève sur ce titre qui «rassure» un narrateur aveuglé par la douleur du chagrin amoureux. Dans un tout autre genre L’Enfant fou est une œuvre politique forte sur une manifestation filmée dans toute sa noblesse. Ce geste engagé ressemble au palmarès imaginé par ce jury. Découvrir cette œuvre puis ses lauréats juste à la suite a du sens.

Hubert Laot, Luce Fillaud, Marcel Ramakers et Michel Mollaret

Leurs trois premiers prix, et d’autres encore, interrogent comment nos sociétés traitent ses exclus venus d’ici ou d’ailleurs. Ici le but est de partir a obtenu la Coupe de l’Europe 2017. L’italien Claudio Tuti dépeint avec une sécheresse implacable et sans détourner le regard les traversées mortelles de ceux qui partent entassés sur des véhicules d’infortune à travers les déserts. Ces voyages sur des montagnes de bagages surmontées de candidats à l’exil forcé ne sont que des fuites illusoires. Le risque de mourir de faim et de soif, ou d’être stoppé en route puis jeté en prison, voire exécuté, étant quasiment inéluctable, comme le montre la conclusion de ces images choquantes agencées avec un style implacable qui nous force à affronter les conséquences (in)humaines de ces exodes.

Le mur de Jean Paul Petit a obtenu le deuxième prix le plus important. Il dénonce la barricade en tôle « anti-intrusions » construit en octobre 2016 de part et d’autre de la rocade menant au port de Calais pour empêcher les migrants de monter clandestinement dans des camions qui, espèrent-ils, peuvent les mener vers l’Angleterre, terre promise. Il est bon d’entendre les paroles de la chanson énervée « Why we build the wall » de Anaïs Mitchell interprétée avec la voix grave et posée de Greg Brown qui dénoncent tous ces remparts contre «l’ennemi» livré en pâture aux bonnes populations inquiètes : la pauvreté contagieuse de «l’autre». Mirages de ceux qui pensent pouvoir cacher la misère sous un tapis, celle de ceux qui n’ont rien et de ceux qui ont encore moins. Deux films réactifs tournés des deux côtés d’un périple vers une vie espérée meilleure, comme s’il s’agissait d’un diptyque. Les deux films ont été présentés dans le cadre de la thématique Mirages, séparés de quelques minutes qui ne nous ont guère laissé le temps de nous remettre entre l’un puis l’autre.

Enfin, le troisième prix est revenu à Violence, charge anti capitaliste illustrée par d’authentiques discours cyniques de cols blancs pour qui la seule variable d’ajustement, au nom du «cash», restera toujours l’être humain. Corentin Le Gall leur oppose des cris d’insoumission et de résistance sur du Metallica et leur fait un très beau doigt d’honneur que nous empressons de relayer ci-dessous.

Malgré le message engagé de ces films, il ne s’agit pas strictement d’un palmarès politique. La forme de ces brûlots est soignée, avec une rigueur dans le montage et un accompagnement musical et/ou sonore adéquat pour accompagner le poids des images et ce qu’elles expriment. La part artistique n’est pas négligée, loin de là.

Parmi les autres œuvres primées, La maison de Michèle Ogier et Claude Souchal a reçu un prix de la bande sonore fort bien vu (décidément, j’adore ce jury). La maison en question est celle de Thierry Ehrmann, sculpteur plasticien qui a transfiguré un ancien relais de poste du XVIIe siècle à Saint-Romain-au-Mont-d’Or, devenu musée d’art contemporain un poil déviant, surtout pour les esprits chagrins. Deux camps s’affrontent depuis des années, via pétitions et combats juridiques lourds entre ceux qui veulent préserver ce lieu de culture et ceux qui veulent le détruire au nom de leur tranquillité. Le film ne rentre pas dans ces détails judiciaires mais en fait la toile de fond d’un pamphlet en images et en chant de combat, le contenu littéral du texte importe ici moins que l’effet qu’il suscite sur notre inconscient par ses sons répétés et entrecroisés. Le manque d’explications est certes frustrant, mais au détour d’affichettes posées sur les «quatre quatre murs» répétés en boucle sous forme de canon, on ressent une profonde injustice et l’envie d’en savoir plus. C’est déjà beaucoup.

Après autant de films en colère, un peu de détente dans ce long compte-rendu (j’espère que vous avez pris vos précautions avant de vous être engagé sur ce texte). Parmi les 58 titres de la compétition, quelques comédies nous ont été proposées, à commencer par Les carottes sont cuites d’un habitué d’Epinal, Jean-Louis Terrienne, diaporamiste éco-responsable, à qui revient le prix mérité de l’humour, avec une blague desprogienne, cité sans détour, il ne cache pas ses sources. Il reçoit à ce titre un chien de porte, un trophée choisi avec soin par l’équipe ! On rit aussi avec le centenaire qui voit bien mais est limité par sa mémoire dans Mirage au golf de Patrick Rottiers, gag à la chute parfaite ou grâce à Bas les manettes de Ricardo Zarate et Gilles Lucas-Leclin, tentative d’évasion d’un drone relatée façon fait divers avec multiplicité de points de vue. Un petit-fils du Rashomon d’Akira Kurosawa, toutes proportions gardées. Dans ces trois cas, les auteurs jouent avec des textes qu’on peut qualifier de marrants et l’agencement de leurs photos pour créer des effets comiques simples mais efficaces. On n’est pas loin de la blague de potache à chaque fois mais ces instants de dérision étaient les bienvenus.

Le jury international a aussi honoré Christian Crapanne pour l’émouvant Les cinq saisons de mon cœur. Ses magnifiques images illustrent superbement le délicat poème qu’il a écrit, mis en valeur par de beaux fondus enchaînés certes très visibles mais travaillés avec une réelle maestria. Mon coup de… coeur… sentimental pour ma première venue dans la ville des Vosges connue pour son rapport historique avec les images (je glisse ici au passage un lien vers l’Office de tourisme). Le jury jeunes a lui aussi apprécié Le Mur mais a clairement été séduit par le travail d’Annie Logeais en lui attribuant non seulement une mention pour le portrait de Suzanne Valadon sobrement intitulé Suzanne mais aussi leur deuxième prix pour Le Petit Prince de Maduraï.

Parmi les absents du palmarès, signalons encore L’éternité de Philippe de Lachèze-Murel, évocation universelle du temps qui passe ou les trois œuvres envoûtantes de Diana Belsagrio (L’hiver appelle mes yeux ; Rêve récurrent et Portrait d’une solitude), si douée pour créer des atmosphères et des histoires qui laissent libre cours à l’imagination du spectateur tout en l’aiguillant savamment et nous rappellent, elle aussi, notre fascination pour l’univers de David Lynch (il sera encore cité dans ces lignes, un peu plus bas, vous êtes prévenus). Trois voyages sensoriels à travers des photos sublimes bleutées, cotonneuses ou dans des teintes de vert, qui convoquent des souvenirs d’absence et d’un passé qui heurte le présente, avec des réminiscences qui surgissent comme des rêves.

Sans renier ce qui fait leur essence, c’est à dire l’agencement réfléchi d’images fixes avec montage pertinent et musique ad hoc, éventuellement agrémentées de quelques passages mouvants en numérique ou vidéo, les diaporamas ont encore une marge de développement artistique qui dépend de la volonté des auteurs et de leurs moyens. Cette mue a pourtant déjà été amorcée depuis longtemps, Monde parallèle de Marcel Ramakers et Michel Neuwels, évoqué plus haut, n’aurait pas démérité dans une compétition internationale de courts-métrages tels qu’on espère en découvrir aujourd’hui dans les grands festivals. Une telle ambition créative est la principale raison pour laquelle on voyage dans toute la France d’un festival à l’autre.

D’autres auteurs n’ont évidemment pas cette ambition, le diaporama restant pour nombre d’entre eux un divertissement, chronophage certes, notamment pour faire des recherches documentaires ou trouver la photo ou le montage qui leur convient afin de partager le fruit de leurs réflexions avec des confrères et de simples spectateurs. Tous se sont révélés curieux de faire partager leur façon de travailler.

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