Héritière directe de ceux qui voulaient affranchir le cinéma de ses chaînes en 1968, la Quinzaine célèbre cette année sa 50e édition. L’occasion d’une promenade à son image – en toute liberté, et forcément subjective – dans une histoire chargée de découvertes, d’audaces, d’enthousiasmes, de coups de maîtres et de films devenus incontournables.
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Maître d’oeuvre des trente premières éditions de la Quinzaine, Pierre-Henri Deleau est considéré comme «l’âme» de la Quinzaine, celui qui a su donner une identité à cette section marquée par son éclectisme et ses choix aventureux et un goût sur sur pour un cinéma audacieux, dénué du conservatisme qui plombait les premières années de la sélection officielle du Festival de Cannes.
Merci à lui pour le temps qu’il nous a accordé pour ce long entretien que nous dévoilerons sur plusieurs journées.
La quinzaine a mis du temps à trouver son lieu de prédilection
La première année, on a retenu 65 films, présentés chacun une seule fois dans l’un des deux cinémas aujourd’hui disparus?: le Rex (une salle de quartier dégueulasse) et l’Olympia. L’année d’après j’ai choisi la meilleure salle de la rue d’Antibes possible. Au fil des ans, on a changé plusieurs fois. Il y a eu le Français, le Star puis l’ancien palais dont j’ai hérité lorsque la sélection officielle s’est installée dans le bunker actuel. Cette salle était magnifique. J’avais supplié Jack Lang [alors ministre de la Culture] de le classer mais il m’a dit qu’Anne Marie Dupuy [alors maire de Cannes] était couverte de dettes avec la construction du nouveau palais et donc devait vendre le bâtiment. Ça a été un bonheur, pendant cinq ou six ans. Une salle de 1200 places, pas une seule mauvaise, même au balcon ou sur les côtés. Et vous sortiez sur la mer tout d’un coup ! Quand l’ancien palais a été détruit pour faire un hôtel, j’ai exigé du festival qu’ils m’hébergent dans la salle Debussy. Je ne vous dis pas les tractations. Je n’avais plus de salle pour la Quinzaine. Je ne pouvais pas retourner dans une des salles de la rue d’Antibes après, les salles avaient changé et ce n’était plus la même configuration. C’est pour ça que j’ai exigé d’avoir la salle Debussy et nous avons eu quelques entrevues pour l’obtenir. Les réunions se passaient en présence d’un représentant de la SRF, Serge Leroy, membre du conseil d’administration du festival, de Pierre Viot, le président du festival, de Gilles Jacob et de moi. Serge Leroy était présent pour arbitrer car la SRF ne voulait pas rompre les ponts avec le festival et Francis Girod, alors président de la SRF l’avait missionné. Mais il n’avait pas le droit d’intervenir car je lui ai dit que le patron de la quinzaine, c’est moi. Donc moi, je discutais, lui, rapportait nos paroles.
Il y a eu trois réunions qui ont duré deux heures. Alors au début on nous proposait deux séances par jour pour la Quinzaine, puis trois et je refusais car avec deux films par jour, un ne passerait qu’une fois et l’autre deux ! Finalement, j’en ai obtenu quatre, ce qui a fait diminuer Un Certain Regard. Mais ça a été à l’arrachée. Lors de notre troisième séance de discussions, j’ai prévenu Francis Girod en lui disant, «vire-moi Serge Leroy, et viens car tu es le président en exercice. Et j’ai l’intention de claquer la porte ! Et on arrête la quinzaine ! ». Francis me dit qu’on ne peut pas faire ça mais évidemment, c’était un coup de bluff. Quand Pierre Viot a vu Francis Girod arriver, il a cru qu’on était d’accord pour trois séances pour Un Certain Regard et trois pour la Quinzaine, à égalité. Et je leur ai dit : «j’ai fait venir Francis pour vous prévenir que voilà, trois ça le faisait pas. On a décidé qu’il ne pouvait plus y avoir de Quinzaine et que je vous en rendrai responsable. Nous allons faire une tribune dans Le Monde, c’est tout ce que j’ai à vous dire. Au revoir, monsieur le président». Je me lève, Girod me suit et on a marché dans le couloir, lentement. Il s’est écoulé une minute – on marchait vraiment très lentement – et d’un seul coup la porte s’est rouverte et Viot a dit « quatre, quatre, ça va, ça va ? ». La peur du scandale ! Sans la complicité de Girod, je n’aurais pas pu le faire.
Vous pensez que la Quinzaine a permis de faire évoluer le festival de Cannes ?
Ah oui, s’il n’y avait pas eu la Quinzaine, elle n’aurait pas évolué comme ça. Aucune raison puisque personne ne la remettait en cause ! Elle a d’abord été contestée par les réalisateurs, en 68, pas uniquement parce que la France était en grève, mais aussi parce qu’ils trouvaient les sélections académiques. Mais c’est sur que la Quinzaine, ça a été comme une pierre dans la chaussure du festival qu’il a fait évoluer en disant « on est ridicule si on continue comme ça ». Finalement la Quinzaine a été une bonne chose pour le festival. Et on a profité et de l’un et de l’autre. Moi j’ai évidemment profité énormément du festival. Si j’avais fait la Quinzaine ailleurs dans une autre ville, même avec cette programmation là, il aurai fallu que j’ai un budget triple pour inviter les journalistes du monde entier. Là, je les détournais d’une manifestation existante. Il y avait des papiers dans le New York Times par exemple et dans de journaux du monde entier.
Propos recueillis par Pascal Le Duff de Critique-Film