3D. Un chiffre et une lettre qui font rêver les uns et cauchemarder les autres. Nos cinémas pullulent désormais de ces mentions bizarres, qui laissent certains d’entre nous totalement pantois: VF 2D, VOST 3D, VO 2D, VF 3D… Pour peu que vous préfériez la salle 5 plutôt que la 2 de votre multiplexe vous pourriez même faire votre petite popote. Nous allons nous intéresser dans ce dossier à ce phénomène, appelons-le comme ça, des films en 3D. Annoncé comme une révolution, elle semble parfois tourner au vinaigre quand il s’agit d’analyser la qualité intrinsèque d’une « œuvre ». Nous ne rentrerons pas dans des détails techniques trop poussés sur la technologie en elle-même, intéressons-nous plutôt à analyser ce phénomène.
Les débuts du cinéma en 3D
Contrairement à ce que vont penser naïvement nos petites têtes blondes, Avatar n’a pas été -et de loin- le 1er film projeté en relief, ni James Cameron son inventeur! Si le principe est connu depuis fort longtemps (l’anaglyphe, les fameuses images de couleurs complémentaires visibles avec des filtres rouge et cyan, a été inventé en 1853) les méthodes de visionnages ne permettaient pas, jusqu’à il y a peu de temps, de rendre l’effet possible en salles. Au tout début des années 1950 des films ont été tournés et diffusés en 3D. Le crime était presque parfait de maître Hitchcock a lui même bénéficié de ce traitement à l’époque. Mais les conditions de visionnages étaient si catastrophiques et la complexité des installations en salle si homérique (et coûteuse) que ce système fut totalement enterré. Dites vous bien qu’à l’époque les images numériques n’existaient pas, il fallait donc deux projecteurs distincts capables de diffuser l’intégralité d’un film chacun et des conditions très précises en cabine. Et dans les années 50 on n’avait pas le matériel d’aujourd’hui ! Le cinéma en relief connu un nouvel essor dans les eighties avec des studios cherchant tant bien que mal à utiliser cette technologie.
Qui se souvient des « Dents de la mer 3 »?
Malgré un succès public la 3D disparut à nouveau, devant des coûts monstrueux aussi bien pour le tournage que pour le visionnage, et à cause d’une technologie encore balbutiante, les fameuses petites lunettes en carton bicolores n’étant pas assez efficaces.
La technologie évolua énormément en peu de temps – notamment grâce au fameux format Imax qui apporta une vraie technicité et une vraie qualité de visionnage, mais le gros point noir de ce format, qui le resta pendant très longtemps, étaient encore et toujours les coûts d’une telle entreprise. Seules certaines productions spécialisées, notamment des documentaires, se permettaient de l’utiliser.
Concernant James Cameron, son film Avatar fut le gros déclic concernant ce format. Les moyens financiers et techniques ont été colossaux pour faire avancer les choses en très peu de temps. Des caméras haute définition 3D furent même crée pour le tournage de ce film. Les salles se sont équipées en masse, et celles qui ne l’ont pas fait ont fini par céder devant la manne de spectateurs à perdre. La 3D était lancée.
Petit état des lieux
Nous vivons dans une société si mercantile qu’on voit le profit financier de partout. Les producteurs l’ont bien compris au point même d’annoncer très rapidement l’après Avatar : la sortie de leurs prochains films se ferait en 3D. Et les films déjà tournés ou en tournage ? Qu’à cela ne tienne, ils seront converti en 3D ! En 2010 ce ne sont pas moins d’une trentaine de films qui ont déferlé dans nos salles. Alice au pays des merveilles, Dragons, Le choc des Titans, Shrek 4, Toy Story 3, Le dernier maître de l’air, Resident Evil Afterlife… Et en 2011, quarante quatre : Green Hornet, Sanctum, Rio, Thor, Pirates des caraïbes 4, Kung Fu Panda 2, Transformers 3… Il est intéressant de noter qu’une grosse moitié de ces films ont été converti en 3D en postproduction. Argument marketing ou volonté du réalisateur de rendre son film plus immersif ? Et sur l’autre moitié, plusieurs films sont des films d’animations ce qui rend le travail sur la 3D très différent, les films étant pour ainsi dire crées en Digital 3D. Ce sont d’ailleurs bien souvent les films d’animations qui sont le plus réussi dans ce domaine !
En 2010 il était compréhensible que les producteurs modifient leurs films en postprod : après tout le film était déjà tourné, ils n’allaient pas tout recommencer avec les caméras spécifiques ! Aujourd’hui il est très simple de convertir son film à l’aide d’un ordinateur. On définit l’image de l’œil gauche et celle de l’œil droit en différenciant sur les images du films ce qu’on souhaite au premier plan, au plan intermédiaire et à l’arrière -pas plus il ne faut pas que ça coûte trop cher ! Après tout le spectateur sera content de recevoir des objets filmés dans la figure, la profondeur de chant et la subtilité c’est si surfait de nos jours ! Et force est de constater que la qualité de ces films d’un point vu purement visuel est très disparate : si les films d’animations tirent souvent leur épingle du jeu, d’autres en revanche affichent une 3D au mieux inexistante ou raté, au pire elle vous vaudra un bon mal de crâne. C’est d’ailleurs le cas de presque tous les films sortis en 2010 notamment l’horrible Choc des Titans. En 2011 un effort a été fait, et plusieurs films sont de grande qualité visuelle : Tronet Transformers 3 en tête.
Pourquoi en 2011, alors que les producteurs avaient le temps de voir venir, autant de films ont été convertis ? La logistique a un coût ma bonne dame ! Mettre en place un tournage en 3D oblige le réalisateur et son équipe à penser dans ce format, en faisant attention aux champs et ce qu’ils souhaitent y mettre. Il nécessite en plus un matériel très coûteux.
Les caméra RED Epic font partie des plus pointues au monde en matière de HD 3D. C’est ce type de caméra qui est utilisé sur le tournage du « Hobbit », attendu fin 2012, et tourné en 48 fps (full 5k) pour un rendu d’image optimal, supprimant la persistance rétinienne et les fameux artéfacts de dédoublement assez désagréable dans certains films 3D, préfigurant le futur de cette technologie. Les suites d’Avatar seront elles tournées en 60 fps. A noter qu’une seule de ces merveilles coûte la bagatelle de $20.000!
L’arrivée de cette technologie a un coût matériel: pour le spectateur il est en moyenne de 2€. Comptez 1€ pour rentabiliser l’investissement de l’exploitant, et 1€ en frais de lunette. Si on pourra comprendre le coût lunettes (que vous pouvez garder après la séance en projection passive), le coût rentabilité est beaucoup plus poussif. S’il n’y a nul doute que l’investissement de départ est conséquent, particulièrement pour les petits circuits indépendants, on peut penser qu’en deux ans les sommes investies ont été rentabilisées. Si on prend l’exemple d‘Avatar, faisons un petit calcul tout simple. En France le film a dépassé les 14 millions d’entrées, ce qui représente 14 millions d’euros pour les salles en investissement matériel. Et 30 films sortis en 2010 dans ce format… Vous avez saisi ? Bien sûr c’est une argumentation un peu réductrice qui ne prend pas en compte d’autres considérations financières mais la 3D ne peut plus expliquer à elle seule -et justifier !- le prix de la place.
Devant le nombre de métrages sortant en 3D il semble qu’on ne puisse pas y échapper. Pourtant le public boude de plus en plus ces films au grand dam de financier chafouins. Ainsi les spectateurs privilégient de plus en plus les copies 2D d’un film s’ils ont le choix. Les études ont montré que l’argument de la 3D n’est plus suffisant pour que les gens mettent la main au porte-monnaie, il leur faut être ébloui, que le divertissement soit à la hauteur de l’investissement et pas simplement un écusson collé en bas d’une affiche. D’ailleurs dans un récent sondage allociné, 80% des personnes interrogées ont déclaré après avoir vu un film en 3D qu’elles auraient préféré le voir à plat. Dans leurs statistiques d’études, les distributeurs font à présent le distingo entre nombre d’entrées (en France; les américains sont moins hypocrites et comptent directement en millions de dollars) entre les salles proposant le film en 2D et celles le diffusant en relief. Et le résultat est bien souvent effarent. Saviez-vous par exemple que le dernier Harry Potter sorti au cinéma a fait beaucoup plus recette sur ses copies 2D que sur les 3D ? Les spectateurs n’ont visiblement pas compris l’intérêt de cette deuxième partie en 3D quand le restant de la saga ne l’était pas. Et ce n’est pas étonnant vu la communication hasardeuse autour du film : « Les reliques de la mort 1 et 2 » étaient annoncé en 3D (convertis a posteriori), mais peu de temps avant la sortie du premier film on annonça que finalement il ne sortirait pas en 3D faute de temps et de pertinence. Pourquoi alors avoir choisi ce procédé pour la deuxième partie, tout en ayant le même laps de temps pour la finaliser ? La question est rhétorique bien sûr.
D’autres films sont totalement boudés en 2D comme en 3D, ce fut le cas cet été de plusieurs grosses productions américaines: Green Lantern (3D), Conan (3D), Cowboys et Envahisseurs (2D) firent de vrais fours; Thor (3D), X-Men Origins (2D), Captain America (3D) des déceptions. Et c’est un film 2D qui a le plus attiré de monde dans cet période: le très bon La planète des Singes: les origines.
Les films de 2012
Pour 2012 les studios tirent les leçons des vestes qu’ils ont reçu en 2011. Moins de films en 3D, plus de films tournés directement dans ce format, une plus grande écoute des réalisateurs quand à leurs envies. Ils semblent avoir compris que 3D n’est pas synonyme de succès commercial. Cependant on pourra ricaner en voyant que 26 films sont déjà prévu dont des reprises. Ainsi on pourra retrouver dés le mois de février prochain : Star Wars épisode 1 3D, puis en avril Le Roi Lion 3D et Titanic 3D. La Belle et la bête 3D sort en début de mois prochain chez nos amis américains et sans date de sortie pour nous, Le monde de Némo 3D prévu en 2012 et La petite sirène 3D est prévu pour 2013. On parle d’autres conversions de prestige à l’image de la grosse rumeur du moment qui concernerait la trilogie du Seigneur des Anneaux. Assagis ? Pas si sûr. Il n’empêche qu’un des films les plus attendus de l’année The Dark Knight Rises sortira en 2D selon la volonté de Christopher Nolan. Prometheus et Le Hobbit: Un voyage inattendu, deux autres gros morceaux, ont été totalement tournés avec les Red Epic directement au format 3D et sortiront en IMAX 3D. Cela préfigure du bon. D’ailleurs sur les 26 sorties prévues à ce jour, 12 ont été tournées avec un matériel spécifique 3D HD. The Avengers de Marvel feront parti des films convertis qui se casseront probablement les dents sur leur format. 2012 s’annonce comme une année riche et on peut espérer de qualité (technique en tout cas), les producteurs semblant prêt à faire un effort.
« Prometheus », le prochain film de Ridley Scott a été entièrement tourné en 3D
ET POUR DEMAIN?
Comme c’est dans les vieux pots qu’on fait les meilleures soupes, il se pourrait que le cinéma moderne actualise d’autres procédés anciennement utilisés. Connaissez-vous par exemple l’odorama ? Cette méthode expérimentale qui visait à gratter de petites pastilles pendant le visionnage du film, pastilles qui exhalaient des odeurs précises suivant ce qu’on voyait à l’écran. On peut imaginer une modernisation de cette technique.
La 3D auto-stéréoscopique arrive également, une 3D se passant de lunettes et capable d’être générée directement par l’écran, la dernière console portable de Nintendo est entièrement basée sur ce concept. Et de futurs portables utilisant le même principe seront commercialisés prochainement. Encore plus tard on pourra sûrement être projeté directement dans le film grâce à une technique d’hologrammes. Et peut-être que dans un futur encore plus lointain on se préoccupera davantage du film en lui-même, de l’histoire que l’on va raconter, des acteurs… plutôt que de se concentrer sur le format qui rapportera le plus d’argent, avant toute autre considération.
Sources des données: BoxOfficeMojo, IMDb
La RED EPIC n’est pas une camera 3D (d’ailleurs celle en photo est en configuration normale donc 2D).
Quant à son prix (inexact) sachez que cela représente 1/10 du prix d’une camera film traditionnelle et que les autres cameras numériques coutent elles aussi bien plus cher.
Bien à vous