Critique : Plus jamais seul

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Plus jamais seul

Chili, 2016
Titre original : Nunca vas a estar solo
Réalisateur : Alex Anwandter
Scénario : Alex Anwandter
Acteurs : Sergio Hernandez, Andrew Bargsted, Jaime Leva, Antonia Zegers
Distribution : Epicentre Films
Durée : 1h22
Genre : Drame
Date de sortie : 3 mai 2017

Note : 3/5

Plus jamais seul n’est guère un film gay comme les autres. L’immense majorité des histoires homosexuelles sorties sur les écrans du monde entier depuis environ un quart de siècle a eu pour vocation de faire la promotion, doucement mais fermement, de cette orientation sexuelle très longtemps considérée comme infâme. Il y avait presque toujours quelque chose de réconfortant, voire de galvanisant à tirer de cette appropriation par des cinéastes en faveur d’une plus grande tolérance d’un sujet délicat – surtout pour les spectateurs directement concernés – qui avait été jusque là la cible de raillerie ou pire encore de haine. L’intrigue type de cette vague rose, qui a hélas tendance à diminuer ces dernières années, était le douloureux processus de coming out d’un personnage adolescent, sauvé in extremis de la tragédie par un amant insoupçonné ou un environnement social ouvert d’esprit. Dans le cas de ce film chilien, la donne est sensiblement différente. D’un, par sa structure narrative qui porte autant et même plus d’attention au chemin de croix du père qu’à l’existence à l’ombre de son fils. Et de deux, à cause du pessimisme tenace du propos qui plonge le récit dans une tristesse noire difficilement supportable, au plus tard à partir du moment où tout bascule. En somme, il s’agit d’un film aussi beau que déprimant, sauvé d’un point de vue formel par trois séquences sublimes qui compensent amplement la vacuité esthétique à laquelle le réalisateur débutant Alex Anwandter ne sait pas toujours résister.

Synopsis: Le jeune Pablo, fils unique de Juan le gérant d’une petite fabrique de mannequins, vit assez mal son homosexualité. Il a beau avoir trouvé une confidente en sa meilleure amie Mari et un partenaire sexuel occasionnel en son voisin Félix, l’adolescent passionné de danse n’ose pas en parler à son père et ne peut pas toujours se soustraire aux attaques, souvent verbales et parfois physiques, des garçons plus âgés de son quartier. Alors qu’il s’entraîne avec acharnement pour une audition, Pablo devient la victime d’une première, puis d’une deuxième agression homophobe.

Un justicier dans la ville à la chilienne ?

« Le combat d’un père pour sauver son fils » : cet argument de vente affiché en gros sur l’affiche française du film ne rend pas vraiment justice à Plus jamais seul, comme on l’a déjà écrit plus haut une œuvre plutôt inclassable dans le genre du cinéma gay. En effet, pendant la deuxième moitié du film, alors que Pablo est en pleine agonie à l’hôpital et donc absent de l’intrigue, Juan cherche moins à secourir son fils dans le coma que lui-même, aux abois face à une misère financière et affective à laquelle il peine à trouver une issue. Dans un tel fossé du désespoir, il aurait été facile de recourir aux réflexes d’une vengeance aveugle ou au contraire à une prise de conscience extrême, à l’image du téléfilm tout de même remarquable « Bobby Seul contre tous » de Russell Mulcahy où une mère très croyante se rend compte à quel point son harcèlement religieux a poussé son fils gay au suicide. Ici, c’est avant tout le jeu intériorisé de Sergio Hernandez dans le rôle du père qui traduit admirablement toute l’impuissance de son personnage désormais seul et abandonné. De la même façon, la première partie du film fonctionne grâce à l’innocence d’ores et déjà empreinte de tristesse de Pablo, joué sans trop de fausse pudeur par Andrew Bargsted. Car la mise en scène n’est point d’un grand secours, ni lors de l’introduction, ni lors de la conclusion, avec son rythme temporel décousu et par conséquent faible en termes d’intensité dramatique, ses parenthèses oniriques déroutantes, ses trop nombreux plans de Santiago dans la brume au lever du jour et son travail trop appuyé sur la bande son.

Le choc des sentiments

Et pourtant, Alex Anwandter fait preuve d’une incroyable adresse dans l’agencement de trois séquences cruciales au cœur du film, qui valent à elles seules le déplacement ! Le premier coup de poing, viscéral à la limite du soutenable, s’opère bien sûr lors de l’attaque très violente qui laissera le protagoniste présumé au seuil de la mort jusqu’à la fin du film, étrangement ambiguë. Toute l’horreur de la haine homophobe est condensée sans le moindre aménagement complaisant dans ces quelques minutes hautement éprouvantes, qui continueront de peser comme une chape de plomb sur le reste du film. Peu de temps après, une séquence pas non plus si plaisante fait écho à ce moment cataclysmique, lorsque Juan croise dans les couloirs de l’hôpital une femme médecin, qui accepte d’écouter ses jérémiades tout en gardant ses distances par rapport à ce proche meurtri d’un patient. Le réalisme affectif de cette rencontre fait, elle aussi, froid dans le dos, bien qu’elle sonne tout à fait juste, puisque elle représente sans fioritures la solitude du père, brutalement privé de tout repère rassurant. Enfin, toujours pendant cette même partie magistrale du film, Juan se rend dans l’école de danse où son fils moribond s’adonnait autrefois à sa passion. Il y observe une chorégraphie sur une musique de Gustave Mahler, depuis un point de vue passif que l’on peut facilement qualifier de nostalgique. S’y mêlent à la fois la découverte d’un monde auquel le père n’avait guère prêté attention auparavant et le regret amer d’un avenir radieux qui ne sourit plus à son fils.

Conclusion

Nous sommes sortis profondément affectés de la vision de ce film très dur, qui braque sans ménagement le projecteur sur l’homophobie au quotidien. Plutôt que de donner une lueur d’espoir, Plus jamais seul – un titre par ailleurs presque ironique tellement les tentatives de protection tardive de la part du père se soldent par un isolement croissant – nous a touchés par la sincérité de son propos pessimiste. Après, nos réserves à l’égard de son cadre formel sont malheureusement un brin trop importantes pour qu’on y ait adhéré complètement, en dépit de ces trois morceaux de bravoure crus et poétiques qui indiquent néanmoins un certain talent cinématographique chez Alex Anwandter.

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