Dans le contexte actuel d’une vive contestation anti-raciste qui tient les États-Unis en haleine depuis près de trois semaines et l’assassinat de George Floyd, on peut s’étonner que l’Académie du cinéma américain ne soit pas davantage la cible de revendications tout à fait légitimes. Pourtant, depuis janvier 2015 et la polémique #OscarsSoWhite, qui a hélas tendance à revenir chaque année comme la grippe et peut-être le coronavirus, la plus prestigieuse institution du cinéma américain lutte avec une efficacité variable contre l’image tristement peu diversifiée de l’industrie hollywoodienne. Les manifestations en face du siège de l’Académie à Los Angeles ont en effet été assez dérisoires. Il n’y en a eu a priori qu’une seule en fait, le vendredi 5 juin, par des acteurs peu connus. Elle faisait suite aux révélations de David Oyelowo, qui avait interprété Martin Luther King dans Selma, sur l’accueil très froid que certains membres de l’Académie avaient réservé en 2014 au film de Ava DuVernay.
L’Académie aurait donc pu vaquer à ses occupations habituelles en cette période de l’année, qui consistent à réélire un tiers de son conseil d’administration, à inviter de nouveaux membres, voire à annoncer les lauréats des prochains Oscars d’honneur. Elle a toutefois souhaité prendre position, par voie du nouveau programme « Academy Aperture 2025 », censé accélérer le progrès de ses ambitions inclusives. Il a été annoncé cette semaine. Parmi les mesures prévues, on peut citer un panel composé de dirigeants de l’industrie, formé en collaboration avec le syndicat des producteurs, qui devra présenter de nouveaux standards de représentation pour l’éligibilité aux Oscars d’ici la fin juillet. De même, des ateliers pédagogiques seront proposés aux membres de l’Académie sur la lutte contre les biais inconscients.
A partir de la 94ème cérémonie des Oscars, donc pas la prochaine, mais celle qui aura lieu en 2022, la liste des films nommés dans la catégorie suprême du Meilleur Film repassera à dix candidats fixes. Depuis la 80ème cérémonie en 2010, le nombre de nommés était passé de cinq à dix pour ce prix uniquement. Deux ans plus tard, une nouvelle formule, plus variable, a été adoptée. Elle prévoyait entre cinq et dix nommés en fonction du pourcentage de votants pour chacun des films. Par conséquent, il y a eu soit neuf, soit huit nommés pour le Meilleur Film ces dernières années. Cette règle modifiée s’ajoute, avec un décalage d’un an, à celles déjà communiquées fin avril et résumées sur notre site ici.
Enfin, pour revenir au sujet au cœur de cet article, les périodes d’éligibilité des membres du conseil d’administration ont été revues à la baisse. Désormais, la durée maximale d’un mandat sera de six ans consécutives, c’est-à-dire deux élections de suite pour trois ans. Après un hiatus de deux ans, les anciens membres pourront se représenter, mais seulement pour un maximum de six ans. Ainsi, aucun membre ne pourra siéger au conseil pour plus de douze ans. Auparavant, la durée maximale était de neuf ans, interrompue d’un an d’inéligibilité et sans limitation de fois que les plus hauts dignitaires de la communauté hollywoodienne pouvaient de nouveau être candidats.
Les élections 2020 au conseil d’administration de l’Académie ont eu lieu entre le 1er et le 5 juin derniers. Chacun des dix-sept départements professionnels, des acteurs, des réalisateurs, des scénaristes, des chefs opérateurs, etc., devait élire l’un des trois membres qui le composent. Les résultats ont été annoncés mercredi dernier, le 10 juin. Contrairement à certaines élections récentes, aucun deuxième tour ne sera nécessaire afin de départager des candidats sollicités par un nombre de votes identique. En termes de diversité, il y aura dorénavant 26 membres féminins du conseil, ainsi que douze membres non-blancs. Cela représente une augmentation respective d’un membre supplémentaire.
Les six nouveaux membres du conseil sont la réalisatrice Ava DuVernay (nommée à l’Oscar du Meilleur Documentaire en 2017 pour The 13th), la coiffeuse Linda Flowers (Les Veuves de Steve McQueen), la productrice Lynette Howell Taylor (nommée à l’Oscar du Meilleur Film pour A Star is born de Bradley Cooper en 2019), la directrice du casting Debra Zane (Mulan de Niki Caro), le superviseur des effets spéciaux Rob Bredow (nommé à l’Oscar des Meilleurs effets spéciaux pour Solo A Star Wars Story de Ron Howard en 2019) et le monteur Stephen Rivkin (nommé à l’Oscar du Meilleur montage pour Avatar de James Cameron en 2010).
Dix membres du conseil ont été réélus à leur poste pour un deuxième ou troisième mandat consécutif : la monteuse de documentaires Kate Amend (Les Féministes A quoi pensaient-elles ? de Johanna Demetrakas), la monteuse de dialogue Teri Dorman (Bad Boys for Life de Adil El Arbi et Bilall Fallah), l’actrice Whoopi Goldberg (Oscar de la Meilleure actrice dans un second rôle pour Ghost de Jerry Zucker en 1991, nommée à l’Oscar de la Meilleure actrice pour La Couleur pourpre de Steven Spielberg en 1986), la vice-présidente du marketing international chez Participant Media Christina Kounelias, la costumière Isis Mussenden (Une femme d’exception de Mimi Leder), la chef opératrice Mandy Walker (Mulan de Niki Caro), le compositeur Charles Bernstein (Les Griffes de la nuit de Wes Craven), le scénariste Larry Karaszewski (Dolemite is My Name de Craig Brewer), le producteur David Linde (nommé à l’Oscar du Meilleur Film pour Premier contact de Denis Villeneuve en 2017) et le chef décorateur Wynn Thomas (Da 5 Bloods Frères de sang de Spike Lee).
Le seul à revenir aux affaires après une absence est le producteur de courts-métrages Jon Bloom (nommé à l’Oscar du Meilleur court-métrage pour Overnight Sensation en 1984).
Enfin, puisque la liste des candidats à l’élection, postée sur le site interne de l’Académie, avait trouvé son chemin fin mai jusque dans le magazine professionnel Variety, faisons un tour rapide de ceux et de celles qui ont échoué d’accéder à l’influent conseil d’administration. A commencer par les trois malheureux membres du conseil sortant, qui n’ont pas réussi à se faire réélire : la réalisatrice Kimberly Pierce (Carrie La Vengeance), le superviseur des effets spéciaux Richard Edlund (Oscars des Meilleurs effets spéciaux pour La Guerre des étoiles de George Lucas en 1978 et Les Aventuriers de l’arche perdue de Steven Spielberg en 1982) et le créateur de storyboards Tom Sito (Yogi l’ours de Eric Brevig). Quant à la coiffeuse Linda Flowers, elle avait un boulevard devant elle, puisque elle était la seule candidate du département des maquilleurs.
Et puis, il y a la liste, aussi longue que prestigieuse, des monstres plus ou moins sacrés du cinéma, qui avaient tenté leur chance, sans succès. Parmi les acteurs, citons l’ancien membre du conseil de longue date Ed Begley Jr. (Le Book Club de Bill Holderman), Richard Dreyfuss (Oscar du Meilleur acteur pour Adieu je reste de Herbert Ross en 1978, nommé à l’Oscar du Meilleur acteur pour Professeur Holland de Stephen Herek en 1996), les frères Stacy Keach (Gold de Stephen Gaghan) et James Keach (Walk the Line de James Mangold), Lou Diamond Phillips (Sky de Fabienne Berthaud) et Andrea Riseborrough (The Grudge de Nicolas Pesce).
Chez les chefs opérateurs, les Polonais Andrzej Bartkowiak (Effraction de Joel Schumacher) et Janusz Kaminski (Oscars de la Meilleure photo pour La Liste de Schindler et Il faut sauver le soldat Ryan de Steven Spielberg, respectivement en 1994 et ’99, ainsi que quatre nominations supplémentaires pour la Meilleure photo) avaient participé à la campagne.
Sans oublier des réalisateurs à la filmographie plus que respectable tels que Niki Caro (Mulan, encore et toujours), Scott Cooper (Hostiles), Michael Mann (nommé aux Oscars du Meilleur Film, du Meilleur réalisateur et du Meilleur scénario adapté pour Révélations en 2000 et à celui du Meilleur Film pour Aviator de Martin Scorsese en 2005), Jason Reitman (nommé à l’Oscar du Meilleur réalisateur pour Juno en 2008 et à ceux du Meilleur Film, du Meilleur réalisateur et du Meilleur scénario adapté pour In the Air en 2010) et Lewis Teague (Cujo).