La 93ème cérémonie des Oscars n’aura lieu que dans un avenir assez lointain, le dimanche 28 février 2021. Tellement lointain en fait que personne n’ose s’aventurer sur quelque prévision que ce soit quant au retour à une vie « normale » d’ici là. L’Académie du cinéma américain commence néanmoins à prendre ses dispositions par le biais de quelques changements du règlement – dont un seul est directement lié à la pandémie mondiale – annoncés cette semaine à l’issue de la réunion du conseil d’administration mardi dernier, le 28 avril. Pour rappel, comme c’est le cas un peu partout dans le monde, les cinémas américains sont fermés depuis le lundi 16 mars. Cacophonie d’états fédéraux oblige, ils ne devraient pas tous rouvrir de sitôt.
Le premier changement concerne donc la façon dont les films éligibles sont distribués. Jusqu’à présent, afin de pouvoir prétendre au prix prestigieux du cinéma américain, il était impératif de montrer son film pendant au moins sept jours consécutifs, à raison d’au moins trois séances journalières, dans un cinéma commercial de la région de Los Angeles. Ces dernières années, certaines plateformes de vidéo par abonnement s’étaient pliées à cette exigence en assurant à leurs films les plus propices à trouver l’approbation des membres de l’Académie du cinéma américain une sortie limitée en parallèle ou en amont de leur diffusion en ligne. Ainsi, Netflix a su s’imposer comme l’un des participants majeurs à la course aux Oscars, grâce à des films comme The Irishman de Martin Scorsese et Marriage Story de Noah Baumbach, tous les deux nommés cette année dans la catégorie reine du Meilleur Film. L’inclusion de films destinés principalement à une diffusion sur internet avait par ailleurs soulevé une polémique il y a un an, en mars 2019, menée par la légende hollywoodienne Steven Spielberg, l’un des trois représentants des réalisateurs au conseil d’administration de l’Académie.
Désormais, les films qui sont diffusés directement sur Netflix, Amazon Prime et consorts peuvent concourir pour la 93ème cérémonie des Oscars, à condition qu’une sortie en salles avait été prévue et que celle-ci a dû être annulée à cause des consignes liées à l’épidémie du coronavirus. Dès que les salles rouvriront, cette nouvelle règle ne s’appliquera plus. Elle n’est par ailleurs valable que pour cette année-ci. Afin de permettre à plus de films d’être éligibles pour l’année 2020, l’Académie a également élargi le périmètre dans lequel ces films devront être projetés sur grand écran, puisqu’il comprend à présent aussi les cinémas de la baie de San Francisco, de New York, de Chicago, de Miami et d’Atlanta.
Le deuxième changement marque un retour en arrière pour la catégorie du Meilleur Film International, depuis toujours la source d’innombrables critiques sur son mode de fonctionnement archaïque. Alors que les cinq candidats nommés dans ce qui s’appelait jusqu’en 2019 le Meilleur Film étranger avaient été déterminés depuis plusieurs années par un double comité de sélection, l’ensemble des membres de l’Académie pourra voter pour eux dès ce stade préliminaire en janvier prochain. Pour cela, il leur suffira de s’inscrire sur la plateforme sécurisée de diffusion de l’Académie et d’attester qu’ils auront vu un minimum des films, comme toujours présélectionnés par les pays souhaitant participer à la compétition. Cette modification risque de privilégier des œuvres grand public ou, en tout cas, celles déjà sollicitées par la presse ou les festivals, au détriment de nommés potentiels plus confidentiels.
La troisième petite révolution – qui est en fait la plus importante pour tout spécialiste des Oscars qui se respecte – a eu lieu du côté des deux catégories sonores, Meilleur Son (Mixage) et Meilleur Montage sonore, qui ne formeront plus qu’une. Pour la première fois depuis une éternité, l’Académie réduit en effet le nombre de catégories des Oscars. La dernière fois, ce fut le cas en l’an 2000, lors de la disparition de la catégorie éphémère de la Meilleur Musique d’une comédie ou d’une comédie musicale, après quatre brèves années, le temps de voir passer la tempête des tubes Disney composés par Alan Menken. C’est curieusement à l’initiative du département des ingénieurs du son que les deux anciennes catégories seront regroupées à partir des 93èmes Oscars, avec toujours un maximum de six techniciens éligibles par film.
Exit donc les tentatives, plus ou moins amusantes au fil des ans (voir quelques exemples en images en bas de cet article), de faire comprendre au public dans le Dolby Theatre et devant les écrans de télévision à travers le monde la différence pas si fine entre ces deux catégories. Ce changement marque surtout l’inversion inattendue d’une tendance observée ces dernières années, qui voyait constamment croître le nombre de nommés : le plus récemment avec deux films supplémentaires dans la catégorie du Meilleur maquillage cette année-ci, ainsi qu’à travers l’ajout de la dernière nouvelle catégorie, celle du Meilleur Film d’animation en 2002. Donald Sylvester pour Le Mans 66 de James Mangold restera donc, au moins provisoirement, le dernier lauréat d’une catégorie, qui avait déjà disparu une première fois en 1968 après cinq cérémonies d’existence seulement. Elle renaissait de ses cendres en 1983, l’année de E.T. L’Extra-terrestre de Steven Spielberg, et avait changé de nom en 2001, devenant alors simplement la catégorie du Meilleur Montage sonore, après celle du Meilleur Montage des effets sonores.
Enfin, parmi les modifications annexes opérées par l’Académie du cinéma américain, citons la barre minimale de 60 % de musique originale, nécessaire afin d’être éligible dans la catégorie de la Meilleure musique originale. Cette limite est portée à 80 % de nouvelles partitions pour les suites et les films d’univers établis. Puisque ces changements surviennent souvent en réaction à des dysfonctionnements récents, il est fort probable qu’on ne verra pas le vénérable John Williams décrocher une hypothétique septième nomination pour son travail sur la saga Star Wars.
Et puisqu’il n’y a pas que la chape de plomb du Covid-19 dans la vie, cette année sera la dernière pendant laquelle les studios pourront envoyer leurs films aux membres de l’Académie sur support physique. A partir de la 94ème cérémonie des Oscars et dans un souci de protection de l’environnement, tout cet échange promotionnel devra se faire par voie dématérialisée, à travers la salle de projection virtuelle et sécurisée, mise en place par l’Académie.