Le geste courageux de l’équipe du film Aquarius sur les marches du Festival de Cannes avait fortement déplu à ceux qui préparaient la destitution de Dilma Rousseff, confirmée définitivement le 31 août. Le deuxième long-métrage de Kleber Mendonça Filho après Les Bruits de Recife a donc été évincé de la course aux Oscars le 13 septembre dernier pour des raisons plus politiques que stratégiques. Il avait en effet de réelles chances de se trouver parmi les cinq finalistes dans la course à l’Oscar du meilleur long-métrage en langue étrangère et était de l’avis général le meilleur choix possible cette année pour représenter la production brésilienne sortie dans les salles locales entre le 1er juillet 2015 et le 1er juin 2016.
Le gouvernement illégal du Brésil a fait payer à l’équipe du film sa protestation publique en France contre le coup d’état (voir ci-dessus). Tous affichaient des panneaux avec les accusations en anglais et en français : «le monde ne peut pas accepter ce gouvernement illégal», «le Brésil vit en ce moment un coup d’état», «Le Brésil n’est plus une démocratie, nous résisterons», ou «54 501 11B voix jetées au feu». Le vice-président Michel Temer est devenu président par intérim le 12 mai 2016, soit le lendemain de l’ouverture du festival. Même si les accusations contre elle et Lula, principalement de dissimulation de l’importance des déficits publics brésiliens et de corruption, étaient avérés, la procédure est d’autant plus douteuse qu’elle est mise en cause par des hommes politiques eux-mêmes soupçonnés de corruption, à commencer par Temer lui-même. La plate-forme de Cannes, d’une grande visibilité pour dénoncer cette crise et tenter d’empêcher cette destitution, a manifestement agacé le nouveau pouvoir.
Le «critique» Marcos Petrucelli s’était montré particulièrement véhément contre le coup d’éclat de Sonia Braga et de ses partenaires lors de la montée des marches puis dans la salle. Pendant le festival, il s’était emporté en écrivant que «l’équipe et la distribution de Aquarius devraient avoir honte» et ensuite avait affiché sa colère (et s’était ridiculisé par la même occasion) en déclarant «voilà ce qui s’est passé en résumé : un film financé par de l’argent public va à Cannes pour représenter le pays et ne remporte aucun prix. Et donc, le mensonge sur le soi-disant coup d’état a eu comme seule conséquence de ridiculiser le Brésil». Il avait étrangement rejoint le comité de sélection choisi par le Ministre de la Culture (fusionné avec celui de l’éducation !!!) du nouveau gouvernement, le 27 juillet comme il l’annonçait assez fièrement sur son compte Twitter, une manière guère subtile (mais efficace) de manipuler le vote du comité de sélection. Certains réalisateurs, choqués de ce conflit d’intérêts caractérisé, ont retiré leur film de la sélection comme Gabriel Mascaro (Rodéo), Aly Muritiba (Para Minha Amada Morta) et Anna Muylaert (D’une famille à l’autre) en soutien à Aquarius, cette dernière précisant qu’il était le meilleur candidat possible cette année. Elle avait été choisie l’an dernier avec Une Seconde mère mais n’était pas arrivée jusqu’au quintet final. L’actrice Ingra Liberato et le réalisateur Guilherme Fiúza Zenha avaient démissionné du comité de sélection, ce dernier évoquant des «raisons personnelles» sans autre précision.
Pour Saïd Ben Saïd, le producteur de Aquarius (mais aussi de Elle de Paul Verhoeven, l’un des quatre candidats pour représenter la France dans la même compétition) et distributeur en France, le vote est clairement politique comme il l’affirme sans détour sur son compte Twitter : «#AQUARIUS vient d’être écarté de la course aux #oscars par le gouvernement brésilien #Brésil». Preuve supplémentaire de l’hostilité forte du pouvoir contre ce drame, son interdiction aux moins de 18 ans en salles par le Ministère de la justice, une censure totalement injustifiable pour une telle œuvre. La revue Les Inrocks reprend des mots du journaliste brésilien Leandro Fortes dans une tribune publiée sur le site Brasil 24 qui définit l’interdiction aux moins de 18 ans fait partie «de ces représailles que seul un gouvernement ridicule commandé par des imbéciles peut avoir le courage de faire en plein jour».
Ce film raconte aussi un combat, une résistance, celui d’une sexagénaire (la grande actrice Sonia Braga) contre son expulsion forcée de l’appartement où elle a vécu toute sa vie d’adulte auprès de son mari aujourd’hui décédé et où elle a élevé ses enfants. Sa lutte contre une société immobilière prête aux pires exactions pour la faire partir symbolise la lutte de tout citoyen contre les injustices. Un film riche, sensuel, politique, passionnant, humain et d’une grande force, une ode à l’intelligence et à la réflexion contre la bêtise, la corruption et le renoncement.
Le comité lui a donc préféré Little Secret de David Schurmann. Son film n’a été vu pour l’instant nulle part, même pas au Brésil, où il sort en novembre prochain. Le réalisateur minimise la polémique dans un entretien accordé à Variety : «Le Brésil vit une période difficile. […] J’ai totalement adoré Aquarius mais il y a eu de fortes pressions pour faire des parallèles entre le film et ce qui se passe dans le pays. Malheureusement, choisir le représentant du Brésil aux Oscars est devenu très politique, ce qui pouvait nuire à des films comme le nôtre car les gens étaient fortement encouragés à choisir vers un film aux résonances politiques plutôt que celui qui aurait les meilleures chances de se retrouver aux Oscars». Il souligne encore qu’il y a huit autre membres dans le comité de sélection présidé par Bruno Barreto «qui s’est déjà retrouvé en compétition aux Oscars et sait ce qui convient le mieux pour l’Académie des Oscars». Son film raconte une histoire vraie, celle de sa sœur adoptive à travers trois histoires séparées qui vont finit par converger.
Central do Brasil de Walter Salles est le dernier film brésilien nommé à l’Oscar du meilleur film en langue étrangère, en 1999. Son actrice principale, Fernanda Montenegro, avait été nommée à l’Oscar de la meilleure actrice, une première dans l’histoire de la cérémonie. Elle avait été battue par Gwyneth Paltrow pour Shakespeare in love de John Madden. Espérons que cette élimination injuste soit rattrapée par des nominations pour le scénario ou, plus probable, par une citation pour la grande actrice Sonia Braga. Le Brésil n’a jamais remporté ce trophée et a été cité à trois autres reprises, pour La Parole donnée d’Anselmo Duarte (critique) en 1963 (Palme d’or au Festival de Cannes l’année précédente), O Quatrilho de Fábio Barreto en 1996 et Quatre jours en septembre de Bruno Barreto en 1998.
Aquarius sort en salles le 28 septembre et c’est à ne pas manquer. Aujourd’hui encore plus qu’hier.
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La date limite pour les candidatures est fixée au 3 octobre. Une présélection de neuf titres sera annoncée le 17 janvier 2017. Les cinq films nommés seront annoncés le 24 janvier en même temps que l’ensemble des nominations. La 89ème cérémonie des Oscars aura lieu le 26 février 2017.