Alejandro González Iñárritu pour Birdman est le sixième réalisateur à réussir le triplé personnel film / réalisateur / scénario après Billy Wilder avec La Garçonnière, Francis Ford Coppola avec Le Parrain 2, James L. Brooks avec Tendres passions, Peter Jackson avec Le Seigneur des Anneaux: Le Retour du roi et Joel et Ethan Coen avec No Country for Old Men. D’autres films ont réalisé un tel exploit comme Annie Hall de Woody Allen, Vol au-dessus d’un nid de coucous de Milos Forman, Le Silence des Agneaux de Jonathan Demme ou American Beauty de Sam Mendes mais il manquait une des catégories à leurs auteurs et/ou réalisateurs pour en faire de même, Allen n’étant par exemple pas le producteur de ses films. Le réalisateur mexicain sera-t-il en lice l’an prochain pour The Revenant avec Leonardo di Caprio et Tom Hardy ? Il pourrait être opposé à Quentin Tarantino avec Hateful Eight (enfin oscar du réalisateur ?) ou Jonathan Demme avec Ricki and the Flash qui devrait surtout permettre à Meryl Streep d’obtenir sa 20ème citation ainsi qu’à Guillermo del Toro même si The Strain n’a pas le profil d’un candidat aux Oscars..
Birdman n’est par ailleurs que le neuvième long-métrage à remporter l’Oscar pour le meilleur film sans être nommé pour le montage après New-York Miami de Frank Capra (1935), La Vie d’Emile Zola de William Dieterle (1938), Hamlet de Laurence Olivier (1949), Marty de Delbert Mann (1956), Tom Jones de Tony Richardson (1964), Un homme pour l’éternité de Fred Zinnemann (1967), Le Parrain 2 de Francis Ford Coppola (1975), Annie Hall (1978) et Des gens comme les autres de Robert Redford (1981). Et si l’on est déçu par la sous représentation de Boyhood, le film d’Inarritu est la rare réussite à ce niveau d’un film qui combine le triple handicap sujet contemporain / comédie / scénario original avec en plus une touche de métaphysique. Pas un biopic, pas une reconstitution d’une époque historique lointaine mais un film qui parle d’aujourd’hui et maintenant.
Une soirée de qualité dans les films primés, avec encore quatre trophées pour The Grand Budapest Hotel de Wes Anderson, une autre comédie (avec un zeste de tragique) et une rare fantaisie qui a heureusement éclipsé l’autre favori des catégories techniques, Into the woods de Rob ‘je sais pas faire des films mais je m’obstine’ Marshall. Troisième film multi primé et là encore un film contemporain, un sujet original et même personnel pour Damien Chazelle avec Whiplash que l’on attendait surtout pour J.K.Simmons et qui obtient en plus deux prix techniques. Les films d’Anderson et Chazelle partageaient l’inconvénient d’avoir été révélé voici plus d’un an, le premier à Berlin et le deuxième à Sundance mais ils ont su s’imposer, ce qui n’est pas aisé avec une telle ancienneté.
Hélas un peu de traditionnel avec les victoires d’Eddie Redmayne, 32 ans, pour son interprétation physique de Stephen Hawking dans Une merveilleuse histoire du temps et pour l’oscar de l’adaptation à Graham Moore pour Imitation Game même si le discours de ce dernier était fort, lorsqu’il évoque une tentative de suicide à l’âge de 16 ans. Le suicide était aussi au cœur du discours de la productrice Dana Perry primée pour le court-métrage documentaire Crisis Hotline: Veterans Press 1 qui évoquait le geste de son fils au même âge.
D’autres discours sociaux ou politiques ont marqué les esprits comme celui de Patricia Arquette sur l’inégalité des salaires entre hommes et femmes, en particulier dans le milieu du cinéma, applaudi avec enthousiasme par Meryl Streep et Jennifer Lopez, d’Inarritu sur l’instabilité politique dans son pays, Common et John Legend sur le nombre de noirs en prison. Enfin le fraîchement césarisé Sean Penn qui remettait l’Oscar du meilleur film a ouvert l’enveloppe qui contenait le nom du lauréat a eu ces mots : « Who gave this son of a bitch a green card? », rappelons qu’il fut dirigé par lui dans 21 Grammes.
Côté techniciens, Emmanuel Lubezki est le cinquième directeur de la photo à recevoir l’Oscar deux années de suite après Winton C. Hoch (Jeanne d’Arc de Victor Fleming en 1949 et La charge héroïque de John Ford en 1950) sur trois de ses trophées (l’autre étant L’Homme tranquille de John Ford en 1953), Leon Shamroy (Wilson de Henry King en 1943 et Péché mortel de John M. Stahl en 1946) sur quatre de ses trophées – un record partagé avec Joseph Ruttenberg à qui l’on doit Gigi entre autres – (les autres étant pour Le Cygne noir de King également et Cleopâtre de Joseph L. Mankiewicz en 1964) et John Toll (Légendes d’automne d’Edward Zwick en 1995 et Braveheart de Mel Gibson en 1996). Encore un trophée et il rejoindra les pedigree prestigieux de Howard Greene (dont deux plaques honorifiques), Arthur Miller, Robert Surtees, Freddie Young, Vittorio Storaro, Conrad L. Hall et Robert Richardson. Il est notamment à égalité avec quelques icônes de sa profession, James Wong Howe (La Rose tatouée, Le Plus sauvage d’entre tous), Freddie Francis (Amants et Fils, Glory), Haskell Wexler (Qui a peur de Virginia Woolf?, En route pour la gloire), Geoffrey Unsworth (Cabaret, Tess) ou Sven Nykvist (Cris et chuchotements et Fanny et Alexandre d’Ingmar Bergman).
Autre grand nom de son art, Milena Canonero reçoit son quatrième trophée pour neuf nominations en 40 éditions pile dans quatre décennies différentes après ceux pour Barry Lyndon de Stanley Kubrick (1976) avec Ulla-Britt Söderlund, Les Chariots de Feu de Hugh Hudson (1982) et Marie Antoinette de Sofia Coppola (2007).
Enfin deux français sont primés : Alexandre Desplat pour la musique de The Grand Budapest Hotel et Mathilde Bonnefoy pour le documentaire CitizenFour.