Berlinale 2019 : La Femme des steppes le flic et l’œuf

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La Femme des steppes le flic et l’œuf

Mongolie, 2019

Titre original : Öndög

Réalisateur : Wang Quan’an

Scénario : Wang Quan’an

Acteurs : Dulamjav Enkhtaivan, Aorigeletu, Norovsambuu Batmunkh

Distribution : Diaphana Distribution

Durée : 1h37

Genre : Drame

Date de sortie : 19 août 2020

3,5/5

Après avoir traversé stoïquement un long désert de films aux sujets tortueux et au style plus ou moins plaisant en ce début du 69ème Festival de Berlin, nous avons enfin été récompensés pour notre assiduité toute relative avec notre premier coup de cœur de la compétition. En effet, l’invité attitré du festival Wang Quan’an, Ours d’or en 2007 pour Le Mariage de Tuya et prix du scénario trois ans plus tard grâce à Apart together, y a fait son grand retour avec Öndög. Cette histoire toute simple se déroulant en l’espace de quelques jours dans les steppes de la Mongolie, a su nous subjuguer à la fois par sa beauté plastique et le formidable naturel avec lequel le réalisateur y observe ses personnages, dépourvus de noms et pourtant empreints d’une humanité pragmatique. Les mythes ancestraux du peuple des chasseurs ont beau y être mis à contribution – d’où découle par ailleurs le titre original du film qui signifie « œuf de dinosaure » –, ce sont avant tout des événements d’une banalité transcendante qui rythment l’intrigue rudimentaire. Ce qui nous laisse enfin le temps, après avoir subi pendant quatre films successifs une sélection officielle placée sous le signe de la névrose du fond et de la forme dans ce qu’elle a de plus éprouvant, d’admirer la force contemplative du cinéma dans toute sa splendeur !

© Wang Quan’an Tous droits réservés

Synopsis : Le cadavre d’une femme nue a été trouvé au beau milieu de nulle part, dans la steppe uniquement peuplée par les chevaux, les chèvres et les loups. Le chef de police, proche de la retraite, se rend sur place et charge un jeune policier, pour l’instant sans femme, ni enfants, de monter la garde sur les lieux du crime en attendant que l’enquête commence. Pour lui prêter main forte en cas de besoin, il fait appel à une bergère taciturne, la seule à vivre dans cette région inhospitalière avec ses bêtes. A la tombée de la nuit, elle vient réchauffer le gardien frigorifié avec un feu de camp, de l’alcool et un peu d’attention charnelle.

© Wang Quan’an Tous droits réservés

Procréation de dinosaure

La plupart des films que nous avons découverts jusqu’à présent au cours de notre quatrième visite de suite au Festival de Berlin se sont efforcés de transmettre leurs messages, souvent écrasés sous le poids de leur commentaire social, en expliquant toutes sortes d’injustices par l’intermédiaire de la parole. Pas nécessairement bavards, ces films n’ont par contre nullement cherché à exploiter tout le potentiel visuel et imaginaire du cinéma. A notre grand soulagement, Öndög sait enfin conter une histoire autrement qu’avec des répliques rébarbatives et un culte creux de la vitesse, qui donne plus la nausée que le vertige. C’est un film qui prend son temps, puisqu’il ne s’encombre guère d’une dynamique dramatique à faire avancer obligatoirement. A peine perturbée par l’alternance immuable entre le jour et la nuit, la quiétude du paysage y prend beaucoup plus d’importance et revêt plus d’intensité poétique que le feraient dans un contexte plus conventionnel le dénouement d’un crime crapuleux et des histoires de paternité au potentiel mélodramatique indéniable. Le comment prévaut absolument sur le pourquoi dans ce récit suffisamment sûr de lui pour ne pas céder aux sirènes d’une narration rondement menée jusqu’à une conclusion rassurante. Ici, le mot de la fin est un bigrement laconique « inspiré d’histoires vraies », comme si on avait encore besoin, aussi tardivement dans le projet artistique sans complexe de Wang Quan’an, d’une preuve de légitimité pour tant de banalité enrobée de poésie cinématographique suprême. Néanmoins, toute la facétie du réalisateur est reflétée dans cette façon nonchalante de clore une intrigue imprégnée d’une liberté de ton et d’une ironie impressionnantes.

© Wang Quan’an Tous droits réservés

Regard de loup

Auparavant, les purs instants de magie filmique ne manquent point. Il serait même difficile de tous les énumérer, tant ils se relayent dans une sérénité de la transition, entièrement au service d’une abstraction sublime des enjeux dramatiques. Quel intérêt y a-t-il en effet à filmer pendant un temps considérable le pauvre fonctionnaire de police, abandonné à lui-même avec un cadavre comme seule compagnie et de plus en plus exposé au froid, improviser des pas de danse censés le réchauffer dans la pénombre du soleil couchant, si ce n’est de meubler le vide de la manière la plus propice possible à l’émerveillement gratuit ? Un peu plus tard, on retrouve le même personnage, désormais devenu plus entreprenant dans ses tentatives de conquête de la gente féminine, accompagner sur sa moto la stagiaire tant convoitée à la gare, tirant toutes sortes de feux d’artifice depuis sa bécane. Là non plus, il n’y aura pas de suite directe à ce moment d’euphorie, les adieux avant le départ du train se démarquant par leur sécheresse vague, une preuve supplémentaire de l’étonnante capacité de la mise en scène à changer de registre et de ton sans prévenir. Enfin, que dire du personnage principal, une femme ermite aucunement bornée, si ce n’est dans l’expression de ce qu’elle veut et ce qu’elle ne veut pas ? Chez elle, l’acte sexuel se confond presque imperceptiblement avec la défense contre les bêtes fauves. Vers la fin du film, le vêlage réussi, accompli avec l’aide de son partenaire occasionnel et prétendant maintes fois repoussé, donne lieu à une dégustation de pommes subtilement érotique. Son côté femme fatale des steppes de Mongolie s’articule hélas le plus dans son incitation au tabagisme auprès du jeune policier facile à manipuler. Soit, c’est un inconvénient plutôt mineur dans le cadre d’un film, qui excelle sinon dans la création d’un univers filmique passionnant.

© Wang Quan’an Tous droits réservés

Conclusion

Notre enthousiasme à l’égard de Öndög n’est peut-être pas aussi démesuré que les paroles dithyrambiques ci-dessus pourraient le laisser croire. Il n’empêche que Wang Quan’an signe avec son quatrième film en compétition à Berlin une œuvre d’une beauté renversante, presque humble dans ses aspirations thématiques et justement si désarmante, grâce à son refus catégorique de s’adonner à une esthétique vaine et clinquante.

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