Le peuple américain a beau subir de plein fouet la crise épidémique due au coronavirus en ce moment, ses institutions fonctionnent encore à peu près normalement. Ainsi, les grands électeurs ont validé hier le scrutin du futur président Joe Biden. Et la veille, le Film Preservation Board a annoncé la liste des vingt-cinq films qui seront inscrits cette année au National Film Registry. Cela porte désormais à 800 le nombre d’œuvres filmiques qui bénéficient d’un soin particulier de sauvegarde à la Bibliothèque du Congrès américain. Le vote se fait chaque année, depuis 1989, à partir de milliers de suggestions, soumises par le public auprès de la vénérable institution américaine.
Parmi la sélection 2020 de productions américaines reconnues pour leur importance culturelle, historique ou esthétique, trois grands axes se dégagent. Deux d’entre eux sont tout à fait dans l’air du temps, puisque près de la moitié des titres a été réalisée par des femmes, ainsi que sept par des cinéastes issus de minorités raciales. Il s’agit d’un record dans ces deux champs de représentativité. Le troisième point récurrent est déjà plus anecdotique, puisque la musique sous toutes ses formes joue un rôle important dans bon nombre de ces films, qui font à présent et pour toujours partie du patrimoine cinématographique américain.
En nommant cette année dix films réalisés par des femmes, le National Film Registry est certes encore loin d’un semblant de parité. Il tient par contre compte d’une lente et difficile progression au fil du temps, vers un accès équitable entre hommes et femmes aux postes de responsabilité dans le monde du cinéma. Très longtemps avant que Kathryn Bigelow ne devienne la première femme à décrocher l’Oscar du Meilleur réalisateur en 2010 – une décennie plus tard, on attend toujours la deuxième, c’est pour dire à quel point l’évolution des mœurs est laborieuse ! –, d’autres réalisatrices avaient pu exercer leur métier un peu plus à la marge d’une industrie dominée par des hommes. Il n’est alors guère surprenant de trouver leurs noms sur cette liste au moins autant du côté des courts-métrages et des documentaires que des longs-métrages.
Le cinéma joue à merveille son rôle de reflet social plus ou moins fidèle. Depuis les débuts de cette opération d’intérêt public, les films préservés de plus près par la Bibliothèque du Congrès américain s’intéressent d’une façon appuyée aux tensions sociales qui déchirent les États-Unis à intervalles réguliers.
Cette fois, on y trouve une comédie musicale des années 1940 produite par la MGM avec une distribution exclusivement afro-américaine, le film pour lequel Sidney Poitier avait reçu en 1964 le premier Oscar du Meilleur acteur attribué à un comédien afro-américain, un film hautement représentatif du mouvement de la blaxploitation dans les années ’70, un drame intimiste réalisé en toute indépendance au début de la décennie suivante, ainsi que l’ajout le plus récent, un documentaire sur les activistes des droits de l’homme, qui avaient osé sillonner en bus les états du sud, afin de lutter au milieu des années ’60 contre la discrimination raciale.
Enfin, ça swingue de partout sur cette liste de films pour le moins éclectique. Et pour une fois même pas avec Frank Sinatra, l’un des plus grands chanteurs populaires du siècle dernier, inclus sur la liste avec l’un de ses rôles dramatiques majeurs de musicien drogué dans L’Homme au bras d’or de Otto Preminger. Non, en plus de Duke Ellington et compagnie dans la comédie musicale de Vincente Minnelli précitée et de l’emploi douteux de la musique classique dans le sulfureux Orange mécanique de Stanley Kubrick, les mélodies enlevées de Grease de Randal Kleiser et de Les Blues Brothers de John Landis y sont immortalisées. Mieux vaut tard que jamais pour certains d’entre eux !
Deux des documentaires surfent sur la même vague mélomane avec le film-concert Wattstax de Mel Stuart qu’on appelait à l’époque le Woodstock afro-américain et l’hommage de Wim Wenders aux vieux chanteurs cubains dans Buena Vista Social Club.
Les 14 longs-métrages de fiction
Du pain (1918) de Ida May Park, avec Edward Cecil, Gladys Fox et Kenneth Harlan
Un petit coin aux cieux (1943) de Vincente Minnelli, avec Ethel Waters, Eddie ‘Rochester’ Anderson et Lena Horne
Outrage (1950) de Ida Lupino, avec Mala Powers, Tod Andrews et Robert Clarke
L’Homme au bras d’or (1955) de Otto Preminger, avec Frank Sinatra, Eleanor Parker et Kim Novak
Le Lys des champs (1963) de Ralph Nelson, avec Sidney Poitier, Lilia Skala et Lisa Mann
Orange mécanique (1971) de Stanley Kubrick, avec Malcolm McDowell, Patrick Magee et Michael Bates
Sweet Sweetback’s Baadasssss Song (1971) de Melvin Van Peebles, avec Melvin Van Peebles, Hubert Scales et John Dullaghan
Grease (1978) de Randal Kleiser, avec John Travolta, Olivia Newton-John et Stockard Channing
Les Blues Brothers (1980) de John Landis, avec John Belushi, Dan Aykroyd et James Brown
Losing Ground (1982) de Kathleen Collins, avec Seret Scott, Bill Gunn et Duane Jones
Le Club de la chance (1993) de Wayne Wang, avec Kieu Chinh, Tsai Chin et France Nuyen
Shrek (2001) de Andrew Adamson et Vicky Jenson
The Dark Night Le Chevalier noir (2008) de Christopher Nolan, avec Christian Bale, Heath Ledger et Aaron Eckhart
Démineurs (2008) de Kathryn Bigelow, avec Jeremy Renner, Anthony Mackie et Brian Geraghty
Les 6 documentaires
With Car and Camera around the World (1929) de Aloha Wanderwell
Wattstax (1973) de Mel Stuart
El diablo nunca duerme (1994) de Lourdes Portillo
Buena Vista Social Club (1999) de Wim Wenders
Mauna Kea Temple under Siege (2006) de Puhipau et Joan Lander
Freedom Riders (2010) de Stanley Nelson
Les 5 courts-métrages
Suspense (1913) de Phillips Smalley et Lois Weber, avec Lois Weber et Val Paul
Charlot est content de lui (1914) de Henry Lehrman, avec Charles Chaplin et Henry Lehrman
La Bataille du siècle (1927) de Clyde Bruckman, avec Stan Laurel et Oliver Hardy
Illusions (1982) de Julie Dash, avec Lonette McKee et Rosanne Katon
The Ground (2001) de Robert Beavers