En ces temps de fermeture des salles de cinéma en France qui s’éternise, on pensait avoir fait le tour de l’offre de films en ligne. C’était sans compter sur l’ambition du site britannique MUBI, qui a lancé ce jour sa vidéothèque. Alors que l’abonnement comprenait jusqu’à présent une liste de trente films par mois, soigneusement choisie et ouverte à un éventail extrêmement large de styles, d’époques et de pays, il est désormais possible d’accéder aux archives enivrantes du site, fondé en février 2007. On n’a pas compté les innombrables titres qui se rajoutent de la sorte à la sélection mensuelle d’ores et déjà impressionnante de MUBI. Mais il doit bien s’agir d’une bonne centaine de films, là encore d’un prestige indiscutable !
Le seul hic dans ce conte de fées sur un nouveau paradis cinéphile en ligne, qui pourrait même prendre l’envergure d’un bémol hélas rédhibitoire, c’est que notre expérience technique avec le site n’a guère été probante jusqu’à présent. Alors que nous avons pu profiter au début du confinement d’une offre de découverte hautement intéressante, à un modeste euro pour trois mois de premier abonnement – cette offre n’existe plus ; elle est remplacée par sept jours d’essai gratuits – , il nous a été quasiment impossible depuis d’y regarder des films dans des conditions de visionnage acceptables. Espérons donc que les gérants de MUBI auront prévu d’accompagner ce lancement spectaculaire par une augmentation conséquente du débit, afin d’éviter les mises en tampon incessantes et si frustrantes !!
Vous verrez donc sur notre site au fil des jours si nous avons trouvé notre compte en termes techniques sur cette nouvelle monture de MUBI. Car sur le papier, cette vidéothèque virtuelle a de quoi nous donner le tournis. Elle comprend bon nombre de films, qui avaient figuré sur la liste mensuelle, mais qui en ont disparu après leur cycle de présence contractuelle de trente jours. Mais attention, tous les films n’ont pas fait leur grand retour de cette façon ! Il convient par conséquent de surveiller en simultané ces deux sources quasiment inépuisables de bonheur de visionnage. De même, aucune information ne paraît être disponible pour l’instant quant à la rotation des films nouvellement proposés. Dépêchez-vous donc d’en voir un maximum, une tâche qui nous prendrait à titre personnel facilement des mois, voire des années …
En effet, il y a amplement de quoi se faire une toile sur ordinateur et bientôt sur l’application MUBI. Ça ressemble en apparence à l’offre foisonnante de la concurrence américaine, au détail crucial près qu’ici, vous ne trouverez a priori que des films exigeants et souvent passionnants. De nombreux réalisateurs de génie y sont mis à l’honneur, dont François Truffaut à travers sept longs-métrages de Les 400 coups jusqu’à L’Amour en fuite. Pour le génie allemand au croisement entre la fiction et le documentaire Werner Herzog, la moisson est encore plus riche, avec près de trente courts et longs-métrages ! Le même régime presque exhaustif est appliqué à la filmographie du maître polonais Krzysztof Kieslowski, représenté neuf fois.
Vous pourriez de même vous plonger dans des extraits représentatifs des filmographies de David Lynch (en trois films : Eraserhead, le film Twin Peaks et Lost Highway), Chris Marker, Agnès Varda avec un mélange d’une dizaine d’œuvres y compris les magistraux Sans toit ni loi, Jacquot de Nantes et Les Glaneurs et la glaneuse, Kenji Mizoguchi en huit films dont certains avaient déjà fait l’objet d’une mise en avant dans la liste mensuelle, Jean-Luc Godard avec Pierrot le fou et 2 ou 3 choses que je sais d’elle, les maîtres du film de genre Jean-Pierre Melville et Dario Argento en respectivement trois films, Jonas Mekas en six essais filmiques, le cinéma des frères Quay dans toute son étrangeté puissance neuf, le Polonais Krzysztof Zanussi en quatre films, un coup de projecteur sur Jacques Rivette avec les films fleuves La Belle noiseuse et Jeanne la pucelle, Philippe Garrel qui se bat pour l’éternité en quatre films, la trilogie de Les Mille et une nuits de Miguel Gomes, ainsi que quatre films longs, très longs signés Lav Diaz. Ouf !
Mais ce n’est guère fini, puisque MUBI met également à l’honneur des cinéastes aussi méconnus pour le pauvre cinéphile éparpillé que nous sommes que Jean Painlevé, Angela Schanelec, Pere Portabella, Sophie Letourneur, Christoph Schlingensief, Heinz Emigholz et Benoît Forgeard. Les connaisseurs pourront de même se délecter des films de William Klein, de la trilogie Dead or alive de Takashi Miike et des courts-métrages de Bertrand Mandico.
Cette liste divine s’achève avec un hommage aux premières sélections du Festival de La Roche-sur-Yon en cinq films, cinq productions indépendantes américaines entre autres de Greta Gerwig, Andrew Bujalski et Jay Duplass, un coup de projecteur sur le cinéma indien en sept films loin de Bollywood, la vingtaine de films restaurés par la fondation Nicolas Winding Refn, une rétrospective dédiée à la Quinzaine des réalisateurs au Festival de Cannes en autant d’œuvres singulières, de Mala noche de Gus Van Sant à Dans Paris de Christophe Honoré, d’autres perles de festival, des cycles sur les films sur des films, les adaptations, les femmes à la caméra, des dizaines de documentaires et des courts-métrages, ainsi que plus globalement des chefs-d’œuvre contemporains, comme Oldboy de Park Chan-wook, Les Temps qui changent de André Téchiné et La Mort de Louis XIV de Albert Serra.
Que du monde extrêmement beau en somme ! Sauf que les amateurs des films de Akira Kurosawa et de Walerian Borowczyk devront quand même débourser trois euros par film. Et qu’on reste jusqu’à la preuve du contraire tout à fait dubitatifs sur la capacité informatique de la part de MUBI, d’assurer le lancement d’une telle plateforme de rêve …