Moonrise Kingdom
Américain : 2012
Titre original : Moonrise Kingdom
Réalisateur : Wes Anderson
Scénario : Roman Coppola , Wes Anderson
Acteurs : Bruce Willis, Edward Norton, Bill Murray
Distribution : StudioCanal
Durée : 1h34
Genre : Comédie, Drame
Date de sortie : 16 mai 2012
Globale : [rating:5][five-star-rating]
De savants travellings nous font pénétrer en ouverture dans ce qui pourrait être une maison de poupée, si ce n’était l’échelle rapidement donnée par les occupants, passant de pièce en pièce : trois garçonnets d’âges rapprochés, 8/10 ans, une quasi-adolescente et un chaton, et même deux adultes, homme et femme, la cinquantaine. Premier effet de perspective, pour un « Moonrise Kingdom » qui jouera souvent en ce sens. Vue de l’extérieur, la maison s’avère être un phare désaffecté, dont la tourelle sert de poste d’observation à la fillette découverte plus tôt, rivée à ses jumelles tout au long de la journée – c’est le foyer des Bishop. A l’autre bout de l’île, un camp scout. L’histoire peut commencer.
Synopsis : Milieu des années 60, un groupe d’îles dans une baie de Nouvelle-Angleterre. C’est figurant un corbeau dans la traditionnelle « Arche de Noé », le spectacle de fin de saison de la paroisse, que Suzy a séduit Sam – un vrai coup de foudre réciproque d’ailleurs. Ils se sont écrit des mois durant, jusqu’à l’été suivant, et ont décidé de s’enfuir ensemble. Suzy et Sam ont chacun 12 ans, et ils partent à l’aventure, sur les traces légendaires des Indiens qui habitaient le petit archipel autrefois. Les recherches s’organisent, les enfants sont retrouvés, mais rien ne se normalise vraiment, d’autant qu’une tempête d’anthologie se prépare.
Le nouvel Anderson
Six autres longs métrages ont précédé ce « Moonrise Kingdom » (+ un « court », en forme de prologue à « The Darjeeling Limited », le numéro 5). La thématique principale de cette filmographie très personnelle est le rapport flou entre l’état d’adulte et celui d’enfant, mais ordinairement ce sont les adultes mis en scène (originaux, voire carrément bizarres) qui sont restés des enfants (« La Famille Tenenbaum »), ou jouent à l’enfant (« The Darjeeling Limited ») ; ici, Wes Anderson (et son déjà complice pour le scénario du « Darjeeling », Roman Coppola) inversent les choses (sans que l’on puisse pour autant leur faire grief d’un quelconque « esprit de système », comme le voudrait tel ou tel esprit chagrin) avec un couple de pré ados jouant aux adultes, sérieux comme des papes (lui en couvre-chef à la Davy Crockett et grosses lunettes, elle en mini robe framboise et traînant une valise pleine de récits féeriques qu’elle aime lire à voix haute), voire graves et en quête de respectabilité (cf. la scène hallucinante du « mariage » célébré par le « cousin Ben », alias Jason Schwartzman). Ils sont « normaux », mais ils le sont trop tôt, ce qui en fait des personnages décalés. Pour autant Suzy et Sam, même maquillée à outrance pour l’une et fumant la pipe pour l’autre, sont toujours fondamentalement à l’âge de l’innocence, et n’ont de l’amour « adulte » que les sentiments et non les conduites sexuées (même s’ils échangent sur du Françoise Hardy un premier vrai baiser d’amoureux, en tenue légère après un bain de mer improvisé – scène jugée trop explicite par les censeurs américains qui ont interdit le film aux moins de 13 ans !) et les jeux, les codes de leur « fugue » sont bien ceux de l’enfance, insouciante et pleine de ressources (pagayage, pêche et barbecue, vie sous la tente et cabanes à des hauteurs improbables, combats avec arcs et flèches….) – l’ « innocence », tonalité cardinale, étant encore accentuée par un récit situé à dessein pendant les « sixties », occasion de soigner l’esthétique jusqu’au détail maniaque, mais pas que, car pour Anderson, né en 1969 seulement, c’était un « âge d’or » pour l’Amérique, sur lequel il fantasme volontiers.
Mais qui dit « enfants », dit « famille », plus généralement. Suzy vit en famille avec ses jeunes frères et ses parents avocats, du genre plaisamment foutraque (alias Bill Murray, qui se calme en abattant des arbres et Frances McDormand, adepte du porte-voix pour héler ses proches), quand Sam est orphelin de père et de mère, rejeté par sa famille d’accueil et menacé d’un avenir à la Oliver Twist par la redoutable « Social Services » (hilarante composition de la très britannique Tilda Swinton, vêtue et coiffée façon « Armée du Salut » ou quaker attardée). Elle est du genre excessif et déteste sa famille, il n’en a plus : la situation est claire, aucun autre attachement ne peut parasiter leur amour, aussi précoce qu’absolu (du moins pour l’instant, car ils passeront sans doute du couple à la famille eux aussi, un jour ou l’autre…) – la ligne narrative s’est ici allégée, plus de névrose familiale, de personnages déboussolés, ni même de loufouquerie surabondante, autant de caractéristiques de l’univers du cinéaste, juste une pincée de surréalisme ou d’incongruité (une moto perchée dans un arbre par exemple), beaucoup de nostalgie, de poésie tendre et d’humour délicat, d’ « innocence » donc, mais si Anderson s’est assagi, cela n’implique évidemment ni mièvrerie (réalisation dynamique), ni naïveté (ce n’est qu’une sorte de conte).
La « famille » andersonienne
Excentrique au naturel, réalisateur emblématique « indé », amateur de films français (« L’Argent de poche » de Truffaut l’aurait inspiré en la circonstance – l’ «innocence» et la «fuite» sans doute), Wes Anderson a un style bien à lui, reconnaissable entre tous (même quand il s’essaye à l’animation : excellent « Fantastic Mr Fox »), fond et forme (travail sur les couleurs, les ambiances…). De la virtuosité et du sens.
Mais sa singularité n’empêche nullement les habitudes. Ainsi il travaille souvent avec les mêmes personnes, en quelque sorte sa « famille » de cinéma, en tout cas une vraie « compagnie ». Ainsi des trois frères Wilson, des amis de longue date – Owen ayant de plus participé au scénario de « Bottle Rockett », « Rushmore » et de « La Famille Tenenbaum ». Même phénomène avec Jason Schwartzman (interprète et co-auteur), quand Noah Baumbach, par ailleurs réalisateur lui-même (« Les Berkman se séparent ») est aussi un collaborateur apprécié, mais au scénario seulement (« la Vie aquatique » et « Fantastic Mr Fox »), tout comme Roman Coppola, sur l’écriture de « The Darjeeling Limited », avant celle de « Moonrise Kingdom ». Wes Anderson est aussi fidèle côté « technique » (photo, montage, décoration) et côté « production », et il fait à nouveau confiance à Alexandre Desplat (après « Fantastic Mr Fox »), dont la musique bénéficie en quasi « bonus » (au milieu du générique de fin – ne le «zappez » donc pas) d’une intéressante « exposition de thème » analogue au « The Young Person’s Guide to the Orchestra » de Britten, utilisé dans la scène d’exposition.
Le casting fait moins la part belle aux familiers que souvent, Jason Schwartzman précité (4ème collaboration en tant qu’interprète, dont la voix de Ash, dans « Fantastic Mr Fox ») et Bill Murray (6ème fois, dont un caméo pour « The Darjeeling Limited » et la voix de Badger dans « Fantastic Mr Fox ») mis à part. La trouvaille principale est d’avoir distribué Bruce Willis à contre-emploi en flic certes (le capitaine Sharp, « chef » de la police locale – laquelle se réduit à sa seule personne), mais brave type un peu niais au pantalon d’uniforme trop court, loin de ses nombreux rôles de sauveur de la planète (il a cependant une occasion de briller vers la fin du film). « Nouveaux » également : Bob Balaban (le récitant, météorologiste amateur et un brin prophète), Frances McDormand (« star » des frères Coen – et épouse de Joel), Edward Norton (épatant en « Ward », chef de troupe scoute, distrait et angoissé), la grande Tilda Swinton, déjà évoquée, et Harvey Keitel (le « commandant » scout Pierce) – tous parfaitement dirigés, sans problèmes d’ego. Enfin il serait injuste de ne pas citer le couple d’« amoureux » : Jared Gilman (Sam) et Kara Hayward (Suzy), bien en place sur la « photo de famille » (principe récurrent d’affiche chez Anderson), et qui auraient pu commencer beaucoup moins bien leur jeune carrière !
Résumé
Wes Anderson (« sensible et indépendant…brillant et inventif »), comme s’est plu à l’indiquer Thierry Frémaux, délégué général du Festival, est pour la première fois convié à Cannes, son film à la place délicate de la séance d’ouverture (ce qui explique la sortie de « Moonrise Kingdom » le 25/05/12 seulement aux E-U). Un très bon moment (un film frais et malicieux à la fois), en très bonne compagnie. Pourquoi ce titre, au fait ? On ne l’apprend que dans les dernières images, quand s’illustre le talent d’aquarelliste de Sam, alors…. patience !
[youtube]http://www.youtube.com/watch?v=0t-LTyKcAq0[/youtube]
Votre critique est très bonne…! Le film est très fluide, léger et surtout très bien réalisé… Les travellings sont parfaits et parfaitement maîtrisés. On s’amusera de l’histoire, des personnages, du ton donné et de l’auto-dérision qui cachent des sujets plus profonds qui méritent réflexion… J’ai beaucoup aimé ce film rempli d’innocence et de poésie…
Charmant, nostalgique, poétique, ce Moonrise Kingdom est la petite merveille de ce printemps 2012.