Alma – Tome 1
Japon : 2019
Titre original : –
Auteur : Shinji Mito
Genre : Manga, Seinen, Science-fiction
Éditeur : Panini Manga
Traduction : Xavier Daumarie
Date de sortie : 7 avril 2021
Nombre de pages : 216
Note : 4/5
Dans un monde en ruine d’où l’humanité semble avoir été éradiquée, Ray cherche désespérément d’autres survivants sous le regard inquiet de son amie Trice. Lorsqu’un attaquant venu du ciel tente de tuer Ray, Trice s’interpose et révèle au grand jour un secret caché depuis quinze ans. Commence alors pour le jeune homme un long voyage, guidé par les paroles de son amie…
Si la science-fiction a toujours été un terreau propice à tout un tas d’interrogations sociales et philosophiques quant à la place et à l’avenir de l’homme dans le monde, il semble néanmoins ces derniers temps que la portée « conscientisée » de la science-fiction soit clairement revenue sur le devant de la scène. En partie grâce à l’engouement populaire et critique s’étant créé autour de séries telles que Black Mirror, en partie à cause de la situation de crise sanitaire mondiale liée au Covid-19, il semble que le futur immédiat de l’espèce humaine soit devenu une source d’inquiétude majeure. « Le futur, c’est maintenant » comme le chantait Nina Hagen.
Ainsi, plutôt que de proposer de grands spectacles liés à la place de l’homme dans l’univers ou à l’exploration de mondes inconnus peuplés de créatures étranges, la SF des années Covid s’attardera plus volontiers sur les questionnements concernant les évolutions en termes de technologie et d’intelligence artificielle. Dans une société où l’être humain est de plus en plus entouré par la technologie, où plus rien ne semble possible sans recours aux réseaux, aux logarithmes ou aux machines, et où le transhumanisme et les réflexions de Ray Kurzweil ne cessent de repousser les limites connues de l’homme, il semble difficile de nous projeter au cœur de ces différents futurs « possibles » et scientifiquement envisageables.
Si ces questions apparaissent en filigrane dans de nombreux ouvrages et films de science-fiction, elles sont au premier plan d’une œuvre telle qu’Alma, signée par le japonais Shinji Mito et publiée dans le magazine Weekly Young Jump entre 2019 et 2020. Cette filiation spirituelle entre la série, dont le premier tome est disponible depuis le 7 avril chez Panini Manga et cette vague de science-fiction conscientisée semble d’ailleurs parfaitement assumée par son scénariste / dessinateur Shinji Mito : si elle va chercher ses influences dans de nombreuses œuvres antérieures, sa fable technologico-humaniste s’inscrit parfaitement dans la mouvance de cette SF pertinente d’un point de vue social, et s’appuie sur des préoccupations anxiogènes au sujet desquelles le public contemporain s’est forcément interrogé à un moment ou à un autre de son existence.
Reprenant une partie des codes de la SF post-apocalyptique, Alma invite donc le lecteur à rencontrer Ray et Beatrice (surnommée Trice), deux personnages passant leurs journées à arpenter les rues d’un monde désespérément vide, à la recherche de survivants. L’univers nous étant décrit ici tient bien sûr de celui dépeint par Richard Matheson dans « Je suis une légende » ou par Mary Shelley dans « Le dernier des hommes », mais également de la saga Gunnm de Yukito Kishiro, véritable référence du « post-apo » japonais.
Cependant, en plaçant en son centre un jeune homme ignorant tout de son passé en s’imposant comme un « élu » malgré lui, Alma se rattache également au classique récit d’initiation, suivant en partie les étapes du mythe du héros telles qu’établies par Joseph Campbell dans « Le héros aux mille et un visages ». En cela, on pourra également trouver des similitudes entre Alma et toute la vague de littérature jeunesse à succès du début du vingt-et-unième siècle, et dont « Le labyrinthe » constitue un des exemples les plus marquants.
Shinji Mito rend également hommage dans Alma à une poignée d’autres classiques de la SF. Une poignée d’emprunts sont ainsi placés au cœur du récit comme autant de clins d’yeux aux fans du genre : on notera une relecture des « Trois lois de la robotique » formulées par Isaac Asimov et John W. Campbell, et ici énoncées selon le principe gestalt action / gestalt memory / gestalt protocol. L’attachement de Ray à Teri, mascotte de la chaine de restauration rapide « Burger Burger », fait référence au classique de Stephen King « La tour sombre », dans lequel les habitants d’une terre dévastée idolâtrent les reliques d’une civilisation humaine éteinte et dont ils ignorent tout. La possibilité de l’existence d’une « âme robotique », centrale dans Alma – puisqu’elle donne carrément son titre au récit – fait également écho à certains des plus connus des récits de Philip K. Dick, tels que « Les androïdes rêvent-ils de moutons électriques ? ».
Pour autant, Alma ne plie pas sous le poids des références, et parvient à s’imposer comme une entité à part entière, solide et cohérente. Graphiquement, Shinji Mito nous livre un boulot remarquable, dominé par les vastes étendues désertiques surplombées de buildings en ruine. De fait, l’auteur fait le choix de bousculer les codes esthétiques du Seinen, habituellement d’avantage basé sur le mouvement. Ici, et étant donné que le personnage principal est seul durant les deux tiers du volume, l’ambiance privilégiée par Mito est nettement plus calme, contemplative, proche de la bande dessinée européenne.
Néanmoins, quand l’action reprend ses droits (essentiellement dans le dernier tiers du volume), Shinji Mito fait preuve d’une pêche et d’une énergie redoutables. Le choix des cadres et le dynamisme / la violence de l’ensemble sont surprenants. La brutalité est sans concessions, ça charcle et ça cogne dur, avec de petits hommages visuels à une poignée de classiques du cinéma de SF et d’horreur (Zombie, Alien, Resident evil…).
On ment un peu cela dit en affirmant que Ray, le héros, est complètement seul durant les deux tiers de ce premier volume d’Alma. Il est en effet accompagné d’un petit animal « partiellement organique », lui servant d’archive personnelle et d’appareil photo/vidéo. Ce petit personnage appelé Lambda est la caution « Kawai » du récit, et lui apporte par moments une pointe d’humour salvatrice, empêchant le récit de sombrer dans l’obscurité et le désespoir absolu. Néanmoins, l’importance que pourra prendre ce petit personnage dans les tomes à venir ne doit pas être négligée : à la façon des téléphones portables dans le monde contemporain, il devient presque une excroissance de la mémoire du héros. Ce n’est peut-être pas un hasard si Ray semble, tout au long du récit, guidé par des souvenirs et des réminiscences du passé… directement issus du disque dur de Lambda.
En deux mots comme en cent, avec ce premier volume d’Alma – la série complète en comptera quatre – Shinji Mito prend le temps de poser les bases d’un récit à la croisée de plusieurs influences, mais ayant le mérite de proposer une réelle « vision » artistique, qui emporte littéralement le lecteur avec lui. L’histoire de Ray lui permet qui plus est d’aborder des thématiques riches et dans l’air du temps, notamment en ce qui concerne le transhumanisme.
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