Maman
Français : 2011
Titre original : Maman
Réalisateur : Alexandra Leclère
Scénario : Alexandra Leclère et Frédérique Moreau
Acteurs : Josiane Balasko, Marina Foïs, Mathilde Seigner
Distribution : Wild Bunch
Durée : 1h28
Genre : Comédie dramatique
Date de sortie : 09 mai 2012.
Globale : [rating:4][five-star-rating]
« Familles, je vous hais ! » : qui ne connait pas cette apostrophe ? Mais il faut lire le reste de cet extrait des « Nourritures Terrestres » pour apprécier dans quel sens le Prix Nobel de littérature 1947 lançait cette diatribe : «…. Foyers clos ; portes refermées ; possessions jalouses du bonheur ». Quand Alexandra Leclère creuse à nouveau le sillon des relations familiales (après son court métrage « Bouche à bouche » – 2002, dont la thématique « sororale » était reprise et développée avec l’acide « Les Sœurs fâchées » – 2004, et la parenthèse « conjugale » du « Prix à payer » en 2007, plus trivial), ce n’est pas à coup sûr l’excès d’affection qui la ferait adopter l’antienne gidienne, quand elle met en scène une « Maman », bien loin de la surdose d’amour maternel, dans une histoire aux accents très personnels (comme toujours, la cinéaste est aussi scénariste et dialoguiste – ici avec la collaboration de Frédérique Moreau, qui a travaillé par exemple sur « Dernière séance » et « Cortex »).
Synopsis : Sandrine (Mathilde Seigner) et Alice (Marina Foïs) sont deux sœurs aux alentours de la quarantaine. La première, qui travaille dans une agence de pub, est la mère célibataire de 2 fils ados qu’elle élève en garde partagée, quand la seconde, sans enfants, est mariée à Serge (Serge Hazanavicius), un important agent immobilier, tendre et attentionné. Les jeunes femmes sont en délicatesse avec leur génitrice, Paulette (Josiane Balasko), dont elles sont pratiquement sans nouvelles depuis 20 ans. Des retrouvailles de circonstance se passent plutôt très mal (surtout avec l’aînée, Sandrine, à la base la plus réticente envers la mère indigne) et une nouvelle rupture des liens mère/filles semble inévitable, et du genre sans remède, quand les deux sœurs tentent une opération de la dernière chance, en « kidnappant » Paulette et en s’isolant avec elle dans la discrète maison de famille bretonne du collègue de Sandrine (et résigné amant occasionnel), Erwan de Kerdoec (Michel Vuillermoz, déjà distribué dans « Les Sœurs fâchées »), qui la lui prête volontiers. Alors, règlement de comptes stérile, ou (ré)conciliation ?…..
De « mère » à « Maman »
Alors qu’il est admis qu’être « père » peut s’apprendre, l’amour maternel est supposé être inné, inséparable de la gestation-même, animal et instinctif – du moins est-ce en ce sens qu’il a été traditionnellement célébré. Cependant, des études contemporaines ont considérablement infléchi ce credo (voir par exemple « L’Amour en plus : histoire de l’amour maternel » d’Elisabeth Badinter). Pour une défense et illustration de cette vision nouvelle, considérons le cas de Paulette. Mariée avant l’âge de 20 ans (pour échapper à sa propre mère, et « au premier venu »), mère dans la foulée (grossesses très rapprochées), elle élève ses filles correctement (gîte, couvert, études), mais sans élan (et même en s’autorisant le droit de correction quand la crainte révérencielle ne suffit plus, surtout envers Sandrine, l’aînée, qui lui ressemble tant, au physique et au caractère). Son « devoir » maternel s’achève avec le divorce – les deux adolescentes ayant quitté ce foyer sans chaleur dès que légalement possible. Ancienne épouse frustrée, elle découvre à 40 ans les plaisirs de la chair avec un jeune amant, part avec lui à 500 kms et s’y refait une vie ex nihilo, sans remords aucun.
Quid de la génération suivante ? Sandrine, la « forte », a bien fait deux enfants (16 et 14 ans quand débute le film), mais elle se félicite que ce soit deux garçons, dont elle partage l’éducation avec un (ou des) père (s) – cela n’est pas précisé – que l’on imagine impliqué(s) ; quant à Alice, « la fragile », elle refuse la maternité, se rassurant régulièrement sur sa capacité à la génération, mais avortant à la même cadence, redoutant d’être le même genre de « mère » que sa génitrice. C’est dire quelles traces redoutables l’aridité affective dont Paulette a fait preuve (persistante) à leur égard a pu laisser. Pour autant, un fond d’espoir sur un amendement maternel, favorisé par le rapprochement géographique, persiste chez les jeunes femmes. Espoir tué dans l’œuf par le comportement odieux de la mère prodigue, succédant à l’indifférence. Sandrine et Alice montent alors une stratégie ultime (musclée) pour pouvoir au moins provoquer chez Paulette une explication cohérente sur son désamour majuscule à leur endroit.
Dans le ton, l’histoire de Paulette, Sandrine et Alice évolue rapidement de la causticité de l’exposition (arrivée et installation de la mère), avec une vivacité tirant nettement vers le comique (Paulette se comporte comme une sorte de « Tatie Danielle » maternelle) à l’abrupt d’une sorte de psychodrame familial (Paulette prisonnière, et même un temps « aux fers », avec chaîne, cadenas et ancre, hautement symboliques). Plus de croquis féroces (mais divertissants) comme précédemment : la« comédie » vire au noir. La réclusion va s’avérer nécessaire à la prise de conscience (d’ailleurs réciproque – Paulette invoquant l’absence d’affection de ses enfants), et c’est à ce prix que la mère pourra trouver le chemin du « Maman » dont Sandrine la saluera à la fin (qui jusque-là ne la nommait même pas). Ce que l’on aurait pu craindre – artifice du procédé dramaturgique, voire caricature – est soigneusement évité à l’écran par la fluidité de la mise en scène et la délicatesse du montage, et le trio d’actrices est parfait.
Mères de cinéma
« Maman », petit nom universel d’affection et de connivence, est souvent le premier mot intelligible du babil enfantin, eu égard à la proximité et à la fréquence des échanges avec la mère. Mais il peut être utilisé sans affect, par simple convention ou habitude – le film d’Alexandra Leclère nous le rappelle, et l’illustre avec talent. Sorti il y a peu en France (25 avril 2012), le film chilien « Les Vieux chats » nous proposait une autre illustration de l’incommunicabilité qui peut exister entre mère et fille, évoluant en l’espèce bien plus dramatiquement d’ailleurs, mais avec une explication voisine du phénomène (on ne peut reproduire l’attachement et l’amour que si on nous les a prodigués).
Les mères de cinéma sont légion, et de toutes les variétés, sous toutes les latitudes : indignes comme devant la caméra d’Alexandra Leclère (en voie de rédemption, ou non – « Je suis heureux que ma mère soit vivante » de Claude et Nathan Miller), voire monstrueuses (« Ma Mère » d’Honoré par exemple), mais aussi admirables (« La Ciociara » de De Sica), et même « sanctifiables » (« Le sourire de ma mère », de Bellochio). Les rapports mère/enfant ne sont jamais simples à l’écran – quelques exemples assez récents (« Mères et Filles » de Julie Lopes-Curval, « J’ai tué ma mère » de Xavier Dolan), ou plus anciens (ainsi de « Tout sur ma mère », ou « Talons Aiguilles » d’Almodovar, un grand spécialiste). Leurs aventures sont souvent dramatiques, mais pas toujours (par exemple « Sa mère ou moi » alias « Monster-in-Law » – avec variable « belle-mère », ou plus hexagonal « Une journée chez ma mère ») ; il y a même des mères « classiques » : version tendre (« Le Château de ma mère ») ou terrifiante (« Vipère au poing », et son incroyable « Folcoche »). Etc….
Résumé
Alexandra Leclère poursuit avec constance sa « Comédie Humaine » personnelle, plutôt bien troussée – avec une galerie « familiale », dont voici donc le troisième tableau. A quand le suivant ?
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