Louise en hiver
France, Canada, 2016
Titre original : –
Réalisateur : Jean-François Laguionie
Scénario : Jean-François Laguionie
Voix : Dominique Frot, Diane Dassigny, Antony Hickling
Distribution : Gebeka
Durée : 1h15
Genre : Animation
Date de sortie : 23 novembre 2016
Note : 3,5/5
Le trait est simple, tout comme l’histoire. Et pourtant, il émane du nouveau film d’animation de Jean-François Laguionie une incroyable poésie, proche du délire doux et en même temps fermement mélancolique ! Le destin d’une vieille dame, qui a raté le dernier train pour échapper à la morosité hivernale de la côte atlantique, n’émeut personne dans Louise en hiver, faute d’interlocuteur. Par la magie d’un cinéma délicat et personnel, elle devient néanmoins le formidable vecteur d’une fiction touchante, sous forme de phases successives de la solitude aux deux extrémités de sa vie. Bien au delà de sa prémisse mignonne, le récit devient en effet une sorte d’autobiographie aussi partielle que subjective de ce personnage coriace, abandonné à lui-même. Ni tout à fait conte de survie face aux éléments déchaînés, ni voyage introspectif trop attaché à l’abstraction des images, ce petit chef-d’œuvre enchanteur a trouvé la voie médiane pour naviguer sans encombre à travers une saison triste et seule.
Synopsis : Louise est confortablement installée sur sa chaise longue, en bord de plage à Bilingen-sur-Mer. Elle observe les vacanciers, qui viennent de retourner dans la station balnéaire pour la saison d’été. La vieille dame se sent bien dans cette foule de gens joyeux et détendus, qui la saluent en tant qu’habituée, mais qui ne se doutent point de l’année exceptionnelle qu’elle vient de passer. Au début de l’automne dernier, elle avait raté de justesse le dernier train pour rentrer à Paris. Sans moyen de communication ou de locomotion, elle s’était résignée à attendre sur place un éventuel retour des habitants pour les fêtes de fin d’année. Or, personne n’est venu pour la soulager de sa solitude, mis à part un vieux chien qu’elle a nommé Pépère.
Se débrouiller seule / Besoin de personne
Sous un ciel chargé de nuages menaçants, Louise avance sans se précipiter vers la gare. Elle pense avoir tout son temps avant le départ du dernier train faisant la liaison entre sa résidence d’été sur la côte et le quotidien usant de la ville. Ce qu’elle ne sait pas, c’est qu’elle est horriblement en retard et que ce rendez-vous manqué la précipitera dans un drôle de cauchemar. Les ingrédients pour un film catastrophe sont ainsi indubitablement réunis au début de Louise en hiver, quand l’orage gronde et tout espoir de secours s’avère illusoire. Le précipice dans lequel le personnage principal de ce très beau film risque de s’engouffrer est toutefois bien différent d’une simple lutte pour la survie. Au contraire, Louise se découvre des talents insoupçonnés, grâce auxquels elle passe une saison au vert en parfaite autarcie : elle se rend indépendante des inventions modernes comme l’électricité et elle s’organise pour faire en sorte que ses journées soient bien remplies, en dépit d’une sensation tenace de routine. Cette cure involontaire à la Robinson Crusoé lui réussit plutôt bien, puisque les problèmes de santé qui empoisonnaient d’habitude ses hivers en ville sont balayés par ce programme d’exercice en plein air. Quand son stock de conserves s’amenuise, elle trouve même l’endroit idéal pour planter un petit potager à l’ombre du clocher.
Et pourtant
Aussi ingénieux ce retour à la nature soit-il, le réalisateur n’en fait pas le sujet unique de son film. Très tôt, dès la première nuit passée seule, avec les volets clos et la marée haute qui inonde les rues et les caves, Louise a droit à une échappatoire onirique, qui l’éloigne peu à peu du désert humain ambiant pour la ramener vers des souvenirs d’enfance longtemps enfouis. Le propos magistralement ambigu du film ne se prononce jamais clairement à cet égard, alors qu’il aurait été facile, voire opportun de mettre ces égarements de la pensée sur le compte d’une sénilité en bonne voie. Les rêves mêlés aux souvenirs opèrent davantage tel la mise en abîme prodigieuse d’une situation de départ plus proche d’une aventure au charme bucolique. Louise n’est pas qu’une guerrière de la survie, cassant les vitres des boutiques pour se fournir en vêtements et en vivres. Elle est avant tout une femme âgée, arrivée plus tôt qu’elle ne l’aurait souhaité au stade de sa vie où l’heure des bilans a sonné. Ainsi, le fait de revenir sans cesse à sa jeunesse, en guise d’autre instance décisive dans son existence sinon ennuyeusement prévisible et donc prestement oubliée, accentue encore un peu plus sa décrépitude, jamais plus déchirante que lors de la discussion avec elle-même par la glace de la décharge interposée. Ce regard doux-amer sur la vieillesse anoblit définitivement ce film, qui n’aurait été sans lui que le joli album photo d’une parenthèse, marquée tout autant par l’envie agacé de survivre de la part de Louise que par l’indifférence totale des gens qui l’entourent.
Conclusion
Depuis très longtemps, le cinéma d’animation n’est plus la chasse gardée du jeune public. Rares sont pourtant les films qui réussissent haut la main à traiter de sujets plus exigeants, tout en restant accessibles. Présenté au Festival d’Albi, Louise en hiver compte parmi ces coups de maître, à l’aspect visuel presque minimaliste, quoique d’une beauté renversante, et simultanément riches d’un thème traité sur le ton de la sublimation, avec une inestimable mélancolie en arrière-plan !