Critique : Loin de la foule déchaînée

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Loin de la foule déchaînée

Royaume-Uni, 2015
Titre original : Far from the Madding Crowd
Réalisateur : Thomas Vinterberg
Scénario : David Nicholls, d’après le roman de Thomas Hardy
Acteurs : Carey Mulligan, Matthias Schoenaerts, Martin Sheen, Tom Sturridge
Distribution : 20th Century Fox
Durée : 1h59
Genre : Drame romantique
Date de sortie : 3 juin 2015

Note : 3/5

Quitte à tomber d’emblée dans la banalité sentimentale, nous sommes convaincus que la conception de l’amour, en termes à la fois sociaux et affectifs, évolue au fil du temps. Ainsi, elle n’a pas été la même entre le moment de la publication du roman de Thomas Hardy en 1874 et la sortie de sa première adaptation cinématographique par John Schlesinger en 1967. Et elle a encore subi des bouleversements plus ou moins majeurs pendant le demi-siècle qui s’est écoulé depuis. Les spectateurs qui s’attendaient par conséquent à une approche radicalement moderne de cette aventure romantique à triple option, surtout de la part d’un réalisateur qui avait déclenché au début de sa carrière la révolution formelle, minuscule et éphémère, du Dogme, risquent d’être modérément déçus. Car Loin de la foule déchaînée est certes un film de qualité, mais qui se montre en fin de compte bien trop sobre et sage pour être réellement à la hauteur de la matière littéraire qu’il traite respectueusement.

Synopsis : En 1870, l’orpheline Bathsheba Everdene vit avec sa tante dans une petite ferme modeste à la campagne anglaise. Son voisin, le berger Gabriel Oak, se lie d’amitié avec elle et la demande en mariage. Bathsheba décline fermement sa proposition, en raison de son statut social inférieur à celui de son prétendant et parce qu’elle n’éprouve pas de l’amour pour lui. Peu de temps après, elle hérite la ferme de son oncle, tandis que Gabriel est obligé de vendre la sienne. Ils se retrouvent alors en tant que maîtresse de maison et serviteur, puisque Gabriel est engagé sur la ferme de Bathsheba. Cette dernière est également convoitée par son nouveau voisin, le riche propriétaire Boldwood, dont elle refuse de même les avances sérieuses puisqu’elle préfère garder sa liberté. Cette femme forte et indépendante succombe toutefois sans tarder au charme du sergent Frank Troy, le genre d’homme peu fiable qu’elle comptait éviter à tout prix.

Raison et sentiments

La tentative hypothétique d’épicer un peu les tourments romantiques d’une femme doucement émancipée aurait sans doute été décriée comme une trahison contre ce qui est considéré comme un chef-d’œuvre de la littérature britannique. Elle aurait néanmoins apporté du piment, voire des étincelles, à cette histoire qui se résume après tout à un tas de sentiments étouffés avec insistance par une raison d’être passablement archaïque. Car si Bathsheba se préserve, avant de tomber dans les bras du premier séducteur venu, c’est parce qu’elle ne veut pas perdre son indépendance toute relative dans une civilisation, qui réservait alors une place très subalterne aux femmes. Les trois hommes qui la désirent cherchent tous à la réduire au rôle d’épouse modèle, peu importé les bonnes manières et le respect que les deux premiers d’entre eux emploient pour parvenir à leurs fins. Alors qu’elle, elle voudrait bien se marier, à condition de toujours tenir les rênes de son patrimoine acquis par hasard. Il n’existe aucune issue paisible ou plausible à ce dilemme, si ce n’est celle choisie par le film de Thomas Vinterberg. Le problème, c’est qu’il présente dès le début Gabriel d’une façon si idéalisée, que le dénouement convient davantage à l’univers des romans à l’eau de rose qu’à celui des traités littéraires exigeants sur la condition des femmes dans une société gouvernée par les hommes.

Loin de Moulin Rouge !

Notre préférence personnelle va au quatuor prestigieux formé autrefois par Julie Christie, Alan Bates, Peter Finch et Terence Stamp, comparé à celui de Carey Mulligan, Matthias Schoenaerts, Martin Sheen et Tom Sturridge. Les interprétations sont cependant plus que respectables ici, notamment celles de Mulligan et de Schoenaerts, le nouveau roi des films à costumes, puisqu’il en sort actuellement un à chaque début de mois où il joue les héros virils et romantiques. Et même si les costumes de Janet Patterson peinent à refléter au début l’ascension sociale de Bathsheba, ils sont suffisamment somptueux pour ravir nos yeux. La différence sensiblement plus préoccupante entre les deux versions, outre la durée ramenée à deux heures contre près de trois pour le film de Schlesinger, se situe du côté de la musique. Tandis que celle de Richard Rodney Bennett dégageait dans les années ’60 une force poétique indéniable, celle de Craig Armstrong relève plutôt du fond sonore passe-partout, dépourvue d’une personnalité qui enrichirait l’action au lieu de l’illustrer platement. C’est sans doute l’aspect du film qui contribue le plus à son côté artificiel et peut-être même manipulateur, alors que les émotions intériorisées auraient mérité un cadre symphonique plus passionnel.

Conclusion

L’amour emprunte parfois des chemins peu orthodoxes. Même s’il s’agit d’un film plus que respectable, on aurait aimé que la mise en scène de Thomas Vinterberg fasse preuve de plus d’audace dans la nouvelle adaptation de cette histoire aux sentiments presque trop réprimés et sophistiqués. Ce qui n’enlève rien à la qualité globale de la production, pratiquement dépourvue d’erreurs impardonnables, mais aussi avare en surprises plaisantes.

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