Which Side Are You On ?
Royaume-Uni, 2004
Titre original : Which Side Are You On ?
Auteur : Anthony Hayward
Éditeur : Bloomsbury Publishing
266 pages + annexes
Genre : Biographie
Date de parution : 3 mai 2004
Format : 235 mm X 158 mm
Prix : 20 £
3/5
A désormais 86 ans, Ken Loach n’a plus rien à prouver. Il a gagné les prix des plus prestigieux festivals à travers le monde. De surcroît, il s’est imposé depuis des décennies comme l’un des réalisateurs majeurs du cinéma britannique. Cette réputation enviable, il la doit à sa détermination sans faille pour dresser avec chaque nouveau film un constat cinglant sur les inégalités sociales qui frappent ses concitoyens défavorisés. En somme, il s’agit d’un homme de principes dont la filmographie est sans doute plus imposante dans son ensemble que dans l’un ou l’autre film pris séparément, comme l’exprime si bien le critique Derek Malcolm dans les dernières pages de « Which Side Are You On ? ». Rétrospectivement, on pourrait croire qu’il ait toujours été ainsi, que le soutien intellectuel et financier accordé au travail de Ken Loach remonte jusqu’aux débuts de son illustre carrière.
Cette biographie anglaise sortie en 2004, juste avant que le réalisateur ne connaisse son premier sacre suprême au Festival de Cannes avec Le Vent se lève deux ans plus tard, évoque avec pertinence et application le parcours finalement plus mouvementé de Ken Loach. Grâce aux innombrables entretiens conduits par l’auteur Anthony Hayward avec ses collaborateurs au fil du temps, il en ressort le portrait hautement bienveillant d’un homme, qui a en fait dû se battre sans cesse pour ses convictions politiques. Sa longue traversée du désert dans les années 1980 y trouve notamment une place de choix, même si l’on doit reconnaître que le nombre de pages consacrés à chaque film, documentaire et téléfilm, de Poor Cow en 1967 – voire avant – jusqu’à Just a Kiss en 2004, constitue un travail de documentation des plus impressionnants.
Synopsis : A l’occasion du quarantième anniversaire des débuts de Ken Loach derrière la caméra, Anthony Hayward dresse en détail le portrait du plus important des cinéastes attachés à promouvoir une forme réaliste du socialisme. Depuis le style direct de ses « Wednesday Plays » à la BBC dans les années ’60, jusqu’à sa renaissance insoupçonnée au début des années ’90 avec des films comme Riff Raff et Raining Stones, en passant par ses déboires avec la censure politique en vigueur pendant les années Thatcher, Ken Loach a toujours su rester fidèle à sa lutte en faveur d’une partie de la population britannique, si rarement mise sur le devant de la scène médiatique.
Entre réalisme et réalité
Comment faire pour éviter qu’un livre sur Ken Loach, indubitablement le plus intransigeant des réalisateurs politiques, ne devienne un simple brûlot tendancieux ? La pirouette trouvée par l’auteur de « Which Side Are You On ? » nous semble assez réussie. Elle consiste à s’intéresser au moins autant aux aléas de production de chaque œuvre qu’aux motivations militantes qui l’ont vue naître. Car la fièvre de l’indignation permanente a mis un certain temps avant d’attraper le réalisateur. Auparavant, il rêvait davantage de théâtre. En effet, la voie ayant mené cet homme tout à fait modeste au panthéon du cinéma européen avait connu bien des détours, avant que la patte Ken Loach ne devienne si facilement reconnaissable.
D’une manière solidement documentée et dans un anglais assez accessible, Anthony Hayward occupe ici le poste de l’observateur certes acquis à la cause, mais guère volontaire pour appuyer davantage le discours déjà suffisamment convaincant du sujet de son livre. Cette démarche presque impartiale se manifeste, entre autres, par le très rare jugement de la qualité des films évoqués. De même, Hayward pratique un dosage savant entre anecdotes, chiffres de production et vie ultérieure des œuvres, une fois qu’elles ont su trouver leur public, en majorité étranger. Le fait de ne jamais trop s’attarder sur un film en particulier, de les mettre en quelque sorte sur un pied d’égalité en termes d’importance dans le parcours professionnel de Loach, rend alors moins pesante notre impression de répétition du dispositif éditorial de la part de l’auteur.
Le maître des marionnettes
Quel genre d’homme est Ken Loach ? Puisque l’on peut légitimement considérer que la vocation d’une biographie est de rendre plus compréhensibles les agissements de l’homme ou de la femme dont elle traite, celle-ci sert accessoirement à préserver un peu du mystère. A l’image de la pudeur qui semble caractériser le réalisateur, les rares incursions dans son intimité ne font rien pour éclaircir d’éventuelles zones d’ombre de sa personnalité. Tout juste la tragédie familiale de la mort de son fils Nicholas au début des années ’70 rend-elle son aura privée plus palpable. Sauf que Ken Loach n’a jamais été un réalisateur au propos autobiographique. Bien au contraire, ce qui lui importe, c’est de braquer sans états d’âme la caméra sur une misère sociale au Royaume-Uni et ailleurs que peu d’artistes ont eu le courage de relever sur la durée.
Ken Loach serait-il un homme et un cinéaste parfait alors ? Pas tout à fait et c’est en cela que « Which Side Are You On ? » ne fait heureusement pas office d’hagiographie factuelle. De temps en temps, par exemple dans Kes et Ladybird, il est arrivé au réalisateur de pousser la quête du réalisme dans la fiction un peu trop loin, d’imposer à ses jeunes acteurs souvent amateurs des situations à l’impact affectif insoutenable. Rien d’aussi sérieux a priori que les récentes accusations adressées au réalisateur autrichien Ulrich Seidl autour de son drame sur la pédocriminalité Sparta, qui avaient mené à son écartement du festival de Toronto. Mais néanmoins assez pour relativiser tant soit peu l’ambition du réalisme à tout prix dont Ken Loach est devenu le maître légèrement ambigu.
Conclusion
Des choses importantes se sont passées dans la vie de Ken Loach depuis que ce livre a été édité en 2004. D’où l’utilité toujours discutable de s’attaquer à une biographie tant que le travail d’une vie ne sera pas achevé. Malgré ses deux Palmes d’or, celle citée plus haut et celle de Moi Daniel Blake en 2016, et ses huit long-métrages de fiction ultérieurs à la date de publication de « Which Side Are You On ? » jusqu’à Sorry We Missed You, le style et l’univers de Ken Loach n’ont guère évolué. Par conséquent, la lecture de ce livre hautement informatif permet de se familiariser avec la filmographie impressionnante – et les creux créatifs inattendus – d’un réalisateur à l’intégrité artistique inégalée.