Livre : Une vie de cinéma (Michel Ciment)

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Une vie de cinéma
France, 2019
Titre original : –
Auteur : Michel Ciment
Éditeur : Éditions Gallimard
503 pages
Genre : Recueil de textes
Date de parution : 21 février 2019
Format : 140 mm X 205 mm
Prix : 22 €

3,5/5

Disparu il y a près d’un an, en novembre 2023, Michel Ciment était une sorte d’éminence grise du monde de la critique de cinéma française. Il était le genre de dinosaure issu de la vieille école que nous observions de loin, en écoutant d’une oreille indiscrète ses récits de séjours au Festival de Berlin sous la neige et le verglas. De mauvaises langues diraient qu’il exerçait pendant longtemps une mainmise ferme et inébranlable sur le jury du prix littéraire, attribué depuis près d’un demi-siècle par le Syndicat Français de la Critique de Cinéma. Ce dernier a par ailleurs bien tenu compte de ses longs et loyaux services, en nommant justement son prix du Meilleur ouvrage français sur le cinéma d’après lui.

Toutefois, concrètement, nous ne savions pas trop comment appréhender ce monstre sacré de l’univers critique, en dehors de ces quelques anecdotes sans importance et de vagues notions sur son parcours professionnel, essentiellement au sein de la rédaction de la revue Positif. En tant que confession à livre ouvert sur une vie vécue au service du cinéma, truffée de détails croustillants sur des rencontres faites depuis les années 1960 en festivals, en voyages ou lors de campagnes de promotion à Paris, « Une vie de cinéma » n’a aucun intérêt.

Car un peu à l’image du bonhomme, à savoir érudit, instructif, quoique entièrement dépourvu de quelques états d’âme d’ordre personnel que ce soit, il s’agit d’une somme considérable de ses textes, rédigés au fil du temps. Choisie bien sûr par Michel Ciment lui-même fin 2018, début 2019, cette cinquantaine d’articles agit davantage comme un reflet, forcément partiel et pourtant révélateur, de ses préoccupations, en ayant constamment en tête leur valeur de témoignage sur une époque révolue, ainsi que leur éventuelle envergure universelle.

Ici, sur plus de cinq-cents pages globalement passionnantes, Ciment se fait tour à tour commis voyageur du cinéma mondial, défenseur de ses cinéastes chéris, conducteur prodigieux d’entretiens et observateur avisé de l’évolution perpétuelle du métier de critique. Seulement quand vient l’heure des critiques à proprement parler, cet échantillon sous forme de bilan pèche autant par des révélations regrettables sur l’intrigue, entre autres, de Cérémonie secrète de Joseph Losey et de L’Incompris de Luigi Comencini qu’il nous fait découvrir des films restés à la périphérie de notre cinéphilie, tels que Les Sans-espoir de Miklos Jancso, Terre en transe de Glauber Rocha et Réjeanne Padovani de Denys Arcand.

Le Christ s’est arrêté à Eboli © 1979 Sergio Strizzi / Vides Cinematografica / Action Films / Rai 2 Cinema / Gaumont
Tous droits réservés

Synopsis : Directeur de la revue Positif et déjà l’auteur d’une vingtaine de livres sur le cinéma, Michel Ciment a voulu transmettre avec ce recueil de textes sa curiosité inlassable à l’égard du cinéma de toutes les origines et de toutes les époques. Un cinéma qu’il n’a jamais arrêté de défendre par le biais des différentes formes de transmission à la disposition d’un critique : le reportage, l’entretien, l’hommage, l’essai et la controverse.

Hope and Glory La Guerre à sept ans © 1987 Murray Close / Allied Filmmakers / Davros Films /
Goldcrest Films International / Columbia Pictures / Sony Pictures Entertainment France Tous droits réservés

Alors que l’on peut avoir l’impression de nos jours que l’intégrale du cinéma soit à notre disposition quasiment immédiate, grâce aux nombreuses plateformes de films en ligne, « Une vie de cinéma » nous rappelle d’emblée que, pour vivre à fond le cinéma sous tous ses aspects, il n’y a rien de mieux que d’aller à sa rencontre. Ceci dit, avant de pouvoir partir à l’aventure en compagnie de l’auteur, il y a quand même la préface d’Édouard Baer à lire. Heureusement, elle est brève. Malgré tout, elle sert à accentuer la différence entre quelqu’un qui n’a pas grand-chose à dire (Baer) et un passionné, qui sait la plupart du temps trouver les mots justes afin de nous transmettre cette passion (Ciment).

Rien que ces premiers récits de voyage au fin fond de l’Union soviétique, en Italie ou bien sur les lieux de tournage de deux réalisateurs de chevet de Michel Ciment, Francesco Rosi pour Le Christ s’est arrêté à Eboli et John Boorman pour Hope and Glory La Guerre à sept ans, nous rendent à la fois nostalgique de toutes ces cinématographies en friche qui n’attendaient qu’à être exposées sur les écrans du monde entier et presque envieux de cette jolie vie ! Car à condition de ne pas rechigner devant la masse de travail considérable que constitue la tâche de l’entretien, celle-ci peut s’avérer fort enrichissante.

Vingt, trente et même quarante ans après ces rencontres qui ont dû faire date dans la vie professionnelle de Michel Ciment, il en transpire toujours une érudition hors pair et une capacité très adroite de mener l’interlocuteur à la confidence, tout en mettant en avant ses talents et sa place plus ou moins discutable dans l’Histoire du cinéma.

Tandis que le tour d’horizon de trois lauréats du prix Nobel de littérature ayant goûté de près ou de loin au cinéma reste finalement assez anecdotique, le double questionnaire adressé à une figure aussi atypique et haute en couleurs de la scène artistique française que Serge Gainsbourg nous fait voir ce trublion sous un jour infiniment plus intime. De même, il est fort dommage que Jeanne Moreau, réalisatrice, n’ait pas pu poursuivre sa série documentaire sur les grandes actrices du Septième art, commencée au début des années ’80 et dont seul l’épisode sur Lillian Gish, ressorti au cinéma en février 2023, a vu le jour.

Des monuments du cinéma hollywoodien tels que Bette Davis, Greta Garbo, Ava Gardner, Katharine Hepburn et Elizabeth Taylor – encore toutes en vie à ce moment-là – auraient fait des sujets passionnants sous l’œil de celle qui ne s’en sort par contre plus si bien cent-cinquante pages plus tard, lors de l’avis défavorable émis sur La Baie des anges de Jacques Demy.

Cérémonie secrète © 1968 World Film Services / Universal Pictures / Splendor Films Tous droits réservés

Comment ça, vous ne connaissez pas ces deux acteurs du titre juste au-dessus ?! Nous non plus d’ailleurs. Mais trêve de mauvaises plaisanteries, l’écorchement des noms des comédiens principaux de Be Happy de Mike Leigh dans le cadre d’un portrait des plus instructifs du réalisateur anglais mis à part, « Une vie de cinéma » se distingue par une foule quasiment inépuisable d’informations sur le cinéma d’hier, d’avant-hier et aussi en partie d’aujourd’hui. Avec ce petit plus fort précieux que Michel Ciment sait invariablement fournir un contexte à ses sujets d’analyse divers et variés.

Ainsi, il se montre en fin connaisseur de la filmographie de réalisateurs aussi familiers de son champ filmique et du nôtre que Marco Bellocchio, John Boorman et Francesco Rosi – encore eux –, Joseph Losey et Jerzy Skolimowski. Or, là où sa soif de connaissance et de découverte se manifestent réellement, c’est lors de portraits dressés à l’hommage de cinéastes aussi obscurs que Nikos Papatakis et Lucian Pintilie, voire en mettant d’une certaine manière en ordre les filmographies à première vue disparates de Stephen Frears et de Raoul Ruiz.

Enfin, le choix éditorial de cacher le chapitre consacré aux soi-disant controverses à la fin de l’ouvrage ne nous paraît guère probant. En effet, c’est en tant que partie prenante de toute une tradition de critiques de cinéma, particulièrement malmenée à partir des années ’80, que Michel Ciment jouit d’un point de vue hautement privilégié et plutôt lucide.

Que ce soit son évocation du sauvetage commercial finalement condamné à l’échec d’Une chambre en ville de Jacques Demy en 1983 ou bien sa mise en question de l’uniformisation des opinions, grandement aidée par la place de plus en plus restreinte accordée à l’analyse cinématographique dans l’espace médiatique : il n’y a pas à tergiverser, la passion pour le cinéma de l’auteur était aussi authentique que consciente des tenants et des aboutissants d’une profession, sans cesse placée sous l’épée de Damoclès de la précarité matérielle et de l’ostracisme idéologique.

Réjeanne Padovani © 1973 Cinak Compagnie Cinématographique / Canadian International Pictures Tous droits réservés

Conclusion

Savoir un jour manier la plume comme Michel Ciment et s’intégrer pleinement dans le monde exclusif de la critique de cinéma française : quelles belles ambitions à poursuivre tôt ou tard ! En attendant, la lecture d’« Une vie de cinéma » nous a pleinement réconfortés dans notre propre passion pour le cinéma, d’où qu’il vienne et de quelque cachet critique qu’il soit affublé, avant de parvenir sur les écrans de cinéma à notre portée. Alors oui, certes, vous n’en saurez strictement rien de la vie personnelle de Ciment, une fois que vous l’aurez reposé. Par contre, en guise de fil conducteur d’une existence de cinéphile pleinement vécue, on n’aurait pas pu rêver mieux !

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