Livre : Si nous avions su que nous l’aimions tant … (Thierry Frémaux)

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Si nous avions su que nous l’aimions tant, nous l’aurions aimé davantage
France, 2022
Titre original : –
Auteur : Thierry Frémaux
Éditeur : Éditions Grasset et Fasquelle
212 pages
Genre : Récit biographique
Date de parution : 28 septembre 2022
Format : 130 mm X 205 mm
Prix : 19 €

3/5

Quoi de mieux que le portrait d’un cinéphile passionné, acquis corps et âme au Septième Art ? Que cette tâche soit entreprise par un autre homme de cinéma, ami proche de son sujet précisément grâce à leur amour commun et sans limite du cinéma. De ce point de vue-là, l’hommage posthume que Thierry Frémaux rend à son mentor, quelques mois à peine après sa disparition, devrait être une déclaration d’amour galvanisante pour tout lecteur ayant tant soit peu la cinéphilie dans le sang.

Et effectivement, certains éléments de Si nous avions su que nous l’aimions tant, nous l’aurions aimé davantage permettent de prendre la mesure de la boulimie de visionnage et de vulgarisation qui était en quelque sorte la partie cachée de l’iceberg Bertrand Tavernier, pendant un demi-siècle une figure incontournable dans le paysage cinématographique français, voire mondial. Dans la transmission de cette euphorie incessante, de cette curiosité jamais à court de pistes à explorer, l’essai du directeur de l’Institut Lumière et accessoirement délégué général du Festival de Cannes remplit entièrement sa vocation première.

C’est du côté de ce qu’on hésite un peu à appeler la valeur ajoutée de cet ouvrage, clairement conçu tel un récit révérencieux, que les choses se gâtent légèrement. Bien sûr, l’auteur ne prétend à aucun moment écrire la biographie définitive du réalisateur de L’Horloger de Saint-Paul, ni à révéler les détails intimes d’une relation basée essentiellement sur une belle synergie en faveur de la promotion du cinéma d’hier et d’aujourd’hui. Il s’agit davantage ici du compte-rendu à sens unique, forcément subjectif, forcément partiel, d’une amitié fusionnelle, stoppée net par la disparition de Tavernier. Et si Thierry Frémaux ne cherche guère à occulter la nature envahissante de son ami, toujours prêt à disserter longuement sur des cinéastes oubliés par tout le monde, sauf par lui, il fournit en même temps quelques timides explications sur les raisons psychologiques de ce comportement expansif.

Rien de mal à tout cela, au détail près que le fil conducteur du livre a fâcheusement tendance à s’effriter à mi-parcours. Comme si tout avait déjà été dit au cours des cent premières pages – la générosité et la volubilité de Tavernier, ainsi que son attachement à sa ville natale de Lyon et à l’œuvre précieuse de l’Institut Lumière – et qu’il ne restait dès lors qu’à disséquer les batailles stériles des chapelles critiques en France et à évoquer la lente agonie de l’homme tant admiré, jusqu’à sa disparition en mars 2021, un mois avant son 80ème anniversaire.

© Jean-Luc Mège / Institut Lumière Tous droits réservés

Synopsis : Une ode à l’amitié entre deux hommes de générations différentes, Thierry Frémaux et Bertrand Tavernier. La description de l’ogre Tavernier, réalisateur, scénariste, producteur, cinéphile prodigieux, écrivain, fou de jazz et de littérature, acharné d’Amérique, d’un engagement sans concessions, sous forme d’exercice d’admiration, de portrait intime dressé de l’intérieur.

© Jean-Luc Mège / Institut Lumière Tous droits réservés

L’ivresse intime du cinéma continue

Dans le cinéma français de ces cinquante dernières années, Bertrand Tavernier occupe indubitablement une place à part. Par ses films, qui étaient ressortis au cinéma en début d’année dans une quasi-intégrale. Et peut-être encore plus grâce à son rôle inestimable de passeur de trésors d’antan. Un emploi qu’occupent avec la même verve et la même énergie débordante de l’autre côté de l’Atlantique soit Martin Scorsese, soit Quentin Tarantino, selon l’âge de leurs admirateurs respectifs. Aimer Tavernier, c’était souscrire à un dévouement aussi complet qu’universel au cinéma, de toute période et de toute origine, avec néanmoins un accent fort mis sur le cinéma américain dit classique. Cette encyclopédie ambulante, car toujours en mouvement, en quête de nouvelles découvertes et d’individus méconnus à défendre, Thierry Frémaux la connaissait fort bien. D’une certaine façon, il lui doit même les débuts d’une carrière brillante dans le microcosme de la mise en valeur du cinéma.

Et c’est donc sans surprise que son troisième livre, au beau titre emprunté à Frédéric Dard, s’apparente avant tout à une hagiographie à peine voilée de cet ouragan de la défense des œuvres et des artistes. Pour lui, Bertrand Tavernier était la référence ultime en toute chose cinéma, un interlocuteur aussi bienveillant qu’omniprésent, un repère à la valeur inestimable dont la perte se ressentira encore pendant longtemps. Cette relation privilégiée, il trouve les mots justes pour s’en rappeler, sans jamais mettre sur un piédestal inatteignable son ami proche, ni s’enorgueillir d’avoir pu bénéficier de son soutien. Au contraire, l’auteur souligne la grande accessibilité de son sujet, sa pudeur lorsqu’il s’agit de parler de sa vie personnelle, de même que son besoin vital de partager à chaque instant cette passion dévorante du cinéma.

Voyage à travers le cinéma français © 2016 Etienne George / Little Bear / Pathé Production / Gaumont /
Pathé Distribution Tous droits réservés

Admirer bien

Dommage alors que la démarche éditoriale de Frémaux court de plus en plus le risque de s’embrouiller au fil des pages. Tandis que le ventre mou de son livre se situe certainement du côté de la vingtaine de pages, au cours desquelles il défend son poulain contre la vilaine nécrologie parue dans Libération en particulier et l’état d’esprit hostile auquel Bertrand Tavernier était exposé de la part d’une certaine frange de la critique en général, les près de cent pages suivantes ne font rien pour approfondir notre aperçu du cinéaste.

A moins que les années 2000 et 2010 n’aient au fond été qu’une pente lente et longue vers la confirmation de l’aspect archaïque d’hommes aussi attachés à la défense de valeurs et de cultures anciennes que le réalisateur d’Autour de minuit. Cette piste d’extrapolation, d’interrogation sur l’impact objectif de l’acharnement cinéphile de Tavernier, Thierry Frémaux ne l’emprunte jamais. D’autres s’y chargeront peut-être ultérieurement, dans un livre moins empreint d’attachement affectif que celui-ci.

Toutefois, en tant que déclaration d’amour posthume, Si nous avions su que nous l’aimions tant, nous l’aurions aimé davantage remplit admirablement son rôle. D’autant plus que le livre de Thierry Frémaux dévoile presque malgré lui la difficulté de retranscrire des sentiments intimes, tout comme celle de condenser de multiples rencontres et échanges en à peine deux-cents pages. Alors, l’autobiographie de Bertrand Tavernier verra-t-elle quand même le jour, malgré son état d’avancement incomplet, dû à la mort de son auteur en pleine écriture-fleuve ? Le fait de la voir comparée ici à celle de Michael Powell, qui prenait beaucoup de temps dans la sienne ne serait-ce qu’à raconter son enfance, ne nous laisse pas forcément trépigner d’impatience. Par conséquent, ce regard plein d’affection et hélas pas entièrement dépourvu d’observations superficielles devra suffire en guise de trait final sur une vie de cinéphile en tous points exemplaire.

Voyage à travers le cinéma français © 2016 Etienne George / Little Bear / Pathé Production / Gaumont /
Pathé Distribution Tous droits réservés

Conclusion

Pierre Rissient et Bertrand Tavernier : même génération, même combat et même avidité de cinéma ! Pourtant, quitte à choisir, nous préférions le testament littéraire du premier (Mister Everywhere de Samuel Blumenfeld paru en septembre 2016 chez Actes Sud) à celui du deuxième. Le propos de Rissient par voie d’entretiens nous paraît en effet plus clair et incisif que ce monument-ci, pas non plus obséquieux, soyez rassurés, mais un peu trop tributaire du regard partial de son auteur. C’est une question d’intentions, certes, mais l’ambition de transformer le dévouement envers Tavernier en « une vaste fresque collective », comme le prétend la quatrième de couverture, n’a clairement pas été réalisée dans le cas présent.

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