Populismus und Kino
Allemagne, 2023
Titre original : Populismus und Kino
Auteur : Johannes Pause
Éditeur : Transcript Verlag
174 pages + annexes
Genre : Théorie du cinéma
Date de parution : 2 février 2023
Format : PDF / 149 mm X 225 mm
Prix : 29 €
3,5/5
Si l’on écoutait avec trop de crédulité les propos de certains membres de la classe politique française, Nicolas Sarkozy et Gérald Darmanin pour ne citer que les exemples les plus récents, la victoire de l’extrême droite aux élections ne serait qu’une question de temps. Et le cas de phénomènes populistes plus ou moins durables autour de nous, en Italie, en Hongrie, aux États-Unis et ainsi de suite, la liste commence hélas à devenir longue, apporte de l’eau à leur moulin.
Pourtant, même si nous étions confrontés ces dernières années à une véritable renaissance du néo-populisme, l’appel à l’approbation unanime, voire aveugle du peuple de la part de fanatiques de tous bords ne date pas d’hier. Le livre « Populismus und Kino » de Johannes Pause est là pour nous le rappeler. Contre toute attente, au vu de son caractère éminemment universitaire, il y parvient sans trop se fourvoyer dans des raisonnements théoriques alambiqués.
Son auteur manie en effet la langue de Goethe avec suffisamment de clarté et de précision pour ne jamais vraiment nous perdre dans son argumentation. D’ailleurs, un niveau d’allemand confirmé est requis pour suivre ses analyses plutôt pointues, ainsi qu’une compréhension convenable de l’anglais, certaines citations n’étant point traduites. A cette condition, vous verrez peut-être sous un nouveau jour les agissements de Donald Trump et consorts qui, vous vous en doutiez, n’ont pas inventé grand-chose du point de vue de la manipulation des foules. A partir d’une dizaine de films, majoritairement issus de la production hollywoodienne des années 1930, cet ouvrage précieux dresse le tour d’horizon fort instructif d’une thématique aussi inquiétante que fascinante au fil du temps.
Synopsis : Les années 1930 sont considérées comme la décennie populaire du cinéma hollywoodien. Les films de réalisateurs tels que Frank Capra, Leo McCarey et John Ford évoquent des scénarios d’une réprésentation politique soit couronnée de succès, soit condamnée à l’échec. Ils associent dès lors des idéaux démocratiques à la théologie politique et à la place d’exception des États-Unis d’Amérique. Alors que la conscience collective américaine a été profondément marquée par ces œuvres, les tendances politiques actuelles s’en inspirent tout en les détournant à leur profit. En étudiant la scénographie des séquences de cette représentation populiste, l’auteur, chercheur dans le domaine du cinéma politique et de la culture des médias, dégage quelques notions marquantes, afin de mieux comprendre le fonctionnement du populisme contemporain.
Rendre à l’Amérique son innocence des années 1930
La présidence de Donald Trump, le plus infâme des dirigeants américains, aura quand même eu de rares retombées positives. Outre la prise de conscience – on espère salutaire – qu’un tel cataclysme démocratique peut bel et bien se produire, elle a su redéfinir notre prise en compte du monde politique. Et elle a déclenché toute une avalanche d’interprétations théoriques sur cette onde de choc qui avait si profondément perturbé l’équilibre politique du monde dans la deuxième moitié des années 2010. Parmi les livres parus à ce sujet en France, il nous tarde de lire ce que David Da Silva avait à dire dessus, notamment dans « Le Populisme américain au cinéma » paru en 2015 aux Éditions LettMotif. Cet ouvrage-ci traite d’une page historique plus réduite, puisqu’il se focalise essentiellement sur les films produits au cours des années 1930.
Ce qui permet d’atteindre une cohérence appréciable, tout en séduisant le lecteur motivé par une accessibilité qui ne prétend guère à l’exhaustivité. Après avoir posé les bases théoriques de son étude pendant une trentaine de pages, Johannes Pause y revient d’une manière ludique au fil des exemples filmiques cités. La figure clé de son analyse est le moment charnier de l’acclamation publique. Cette dernière transforme des personnages ordinaires en représentants légitimes par le biais de la mise en place d’un dispositif théâtral, minutieusement disséqué ici.
La citation d’un discours d’Abraham Lincoln dans L’Extravagant Mr Ruggles de Leo McCarey appartient à ces instants de révélation, tout comme la défense des prisonniers que la plèbe veut lyncher dans Vers sa destinée de John Ford. L’auréole de l’incarnation d’un idéalisme remontant jusqu’aux pères fondateurs commence à se fissurer dès la fin de la décennie, le sacrifice du brave sénateur dans Mr Smith au sénat de Frank Capra sur l’avant-scène de Washington laissant un arrière-goût empreint de doute.
Rebelote sous de funestes auspices
Ce doute se confirme dès le début des années ’40, « Populismus und Kino » faisant un écart des plus instructifs à son sous-titre avec l’inclusion de deux autres films majeurs de ce mouvement informel. Tandis que le bonheur agricole et même socialiste semblait encore possible en 1934 dans Notre pain quotidien de King Vidor, la société américaine s’engage avec Les Raisins de la colère de John Ford dans un dangereux processus de désincarnation. Au cœur des attentions populaires à peine un an plus tôt dans l’autre film de Ford précité, Henry Fonda s’y soustrait à toute tentative de représentation concrète pour mieux hanter la conscience américaine et ses méfaits. Pire encore, dans L’Homme de la rue de Frank Capra, le cirque médiatique aura eu raison de quelque valeur authentique que ce soit parmi les stratagèmes autoritaires du monde politique américain.
Après une centaine de pages d’analyses qui atteignent souvent l’équilibre brillant entre l’abstraction théorique et son application plus pragmatique, Johannes Pause ouvre son champ de réflexion sur les sinistres années Trump. Heureusement, il ne s’en inspire pas de façon exclusive. La nouvelle vacuité du propos politique est néanmoins illustrée avec adresse par le plus sinistre des contes populaires imaginés jusque là par Frank Capra, ainsi que par – tenez-vous bien ! – Matrix des Wachowski et son rejet absolu de tout ordre institutionnel. En citant cet exemple plus contemporain, qu’on ne s’attendait certainement pas à retrouver dans un livre sur le cinéma américain des années ’30, l’auteur achève avec audace le cercle vicieux de la représentation populiste.
Conclusion
Indubitablement, Johannes Pause a consciencieusement bûché son sujet avant de pondre ce livre enrichissant. Dans les annexes de « Populismus und Kino », pas moins de soixante films et infiniment plus de références littéraires sont ainsi cités. En tant qu’ouvrage universitaire, son livre sait toutefois cultiver un langage et un raisonnement accessibles, participant de la sorte à l’effort collectif oh si important de la vulgarisation des mécanismes du populisme et de la mise en garde contre eux. De surcroît disponible en accès libre sous sa forme numérique, il vous est chaudement recommandé, à condition évidemment que vous ayez des connaissances solides en allemand !