Par lui-même et par les siens
France, 2011
Titre original : –
Auteur : Claude Chabrol avec Michel Pascal
Éditeur : Éditions Stock
218 pages + annexes
Genre : Autobiographie / Biographie
Date de parution : 6 avril 2011
Format : 135 mm X 215 mm
Prix : 20 € au moment de la sortie / 24 € prix constaté sur le site de l’éditeur en juin 2024
3/5
Bientôt quinze ans après sa disparition en septembre 2010, Claude Chabrol manque terriblement au cinéma français. Par la fréquence très fiable avec laquelle il tournait ses films au cours d’un demi-siècle, au rythme imperturbable d’une sortie annuelle. En la matière, seuls François Ozon et Quentin Dupieux pourraient s’enorgueillir de nos jours de tenir la même cadence infernale. Au détail près que le premier est un véritable touche-à-tout, à la signature filmique difficile à déterminer, et que le deuxième évolue dans son univers propre, hautement absurde et par conséquent au lien ténu avec le monde réel. Non, Claude Chabrol était quand même un réalisateur d’une autre trempe ! Et donc surtout par son formidable don d’observateur de la société française, avec un accent mis sur la bourgeoisie provinciale. De surcroît, en ces temps cyniques, voire sinistres, on est en manque de l’humour malicieux, dont il faisait preuve en toute circonstance.
L’annonce récente de la diffusion prochaine de quatorze de ses films grâce à Tamasa Distribution nous a donné envie de nous replonger dans cette filmographie et cette vie aussi foisonnantes que devenues nostalgiques au fil du temps qui passe. Le hasard du passage en revue des étagères de bibliothèque nous a conduit vers « Par lui-même et par les siens », un drôle d’ouvrage tronqué, qui se rêvait sans doute en autobiographie exhaustive, avant que le destin, c’est-à-dire la disparition soudaine du réalisateur à 80 ans, n’en décide autrement. Un cas semblable nous attend a priori avec le récit posthume de la vie de Bertrand Tavernier, qui prend petit à petit des allures d’arlésienne chez Actes Sud et l’Institut Lumière.
Dans le cas présent, le journaliste Michel Pascal qui avait recueilli les souvenirs de Chabrol pendant les derniers mois de sa vie et l’éditeur ont opté pour une solution hybride. Ainsi, aux près de cent-cinquante pages de remarques débonnaires du principal intéressé succèdent soixante autres, où les membres de sa famille et son actrice fétiche Isabelle Huppert expriment de manière succincte leur admiration de Claude Chabrol.
Synopsis : Incité d’écrire son autobiographie par la disparition de son compère de la Nouvelle Vague Eric Rohmer en janvier 2010, le réalisateur français Claude Chabrol s’était prêté à l’exercice de l’entretien avec le journaliste Michel Pascal au cours de plusieurs rendez-vous, chez lui au Croisic en Loire-Atlantique et à Paris. Puisque la mort de Chabrol avait interrompu brusquement cet enregistrement au long cours de ses souvenirs, son autobiographie partielle a été complétée par des textes de ses trois épouses, Agnès Goute, Stéphane Audran et Aurore Chabrol, de trois de ses quatre enfants, Jean-Yves Chabrol, Matthieu Chabrol et Cécile Maistre, ainsi que de l’hommage rédigé par son actrice attitrée Isabelle Huppert cinq jours après sa mort.
Le Charme discret du pudique sadique
Si vous êtes à la recherche de mille anecdotes et autres analyses poussées sur les plus de cinquante longs-métrages que Claude Chabrol a réalisés entre Le Beau Serge en 1958 et Bellamy plus d’un demi-siècle plus tard en 2009, « Par lui-même et par les siens » n’est pas forcément fait pour vous. Le fil narratif de Chabrol y reste certes vaguement chronologique. Mais il ne s’attarde guère sur tel ou tel titre en particulier de son impressionnante filmographie. Une démarche qui correspond au demeurant à la volonté balzacienne du cinéaste de créer une œuvre dont la globalité serait plus pertinente que chaque film pris séparément.
Ce que le lecteur attentif peut tirer de ce livre subtilement révélateur, ce serait par contre une appréciation plus générale de la manière de penser, de travailler, bref de fonctionner de cet homme de cinéma, qui avait passé apparemment une partie importante de sa vie devant la télé. Quel curieux passe-temps pour un cinéphile convaincu, dont les débuts ont été marqués par son passage dans la revue mythique des Cahiers du cinéma !
De cette période formatrice, on n’y apprend rien de profondément nouveau, même si la comparaison avec son contemporain François Truffaut revient un peu trop périodiquement pour ne pas y voir une sorte de rivalité bienveillante, qui aurait été coupée court par la mort précoce du réalisateur des 400 coups en octobre 1984. De même, la mention du maître Alfred Hitchcock relève plus du passage obligé, tandis que l’admiration de la mise en scène de Fritz Lang en tant qu’exemple à suivre et celle de la filmographie alors naissante de son disciple James Gray sonnent profondément sincères.
Par ailleurs, le crédo général de cette partie autobiographique serait une disposition à dire la vérité et rien qu’elle, le réalisateur se réclamant à plusieurs reprises de son manque d’ego et de son abjection du paraître au détriment de l’être. Sauf que, aussi plaisants à lire ces souvenirs d’un temps révolus soient-ils, ils préservent invariablement une part de secret considérable chez ce conteur hors pair et pourtant avare en véritables révélations.
Pour le bonheur
Le changement de perspective d’une forme primaire de subjectivité à une autre à travers la prise de parole de ses proches allait-il rendre ce portrait passionnat de Claude Chabrol plus précis ? La réponse à cette interrogation – essentielle pour la justification du choix éditorial de l’ouvrage – n’est hélas pas tout à fait satisfaisante. Plutôt que de nous présenter une relecture des faits selon le dispositif employé la première fois au cinéma dans Rashomon de Akira Kurosawa, les sept textes qui constituent la deuxième partie de l’ouvrage font avant tout office de redite.
Une redite pas déplaisante, certes, notamment quand ses deux dernières épouses font référence à la même citation du Tombeau hindou de Fritz Lang. Néanmoins, à l’exception du fils aîné Jean-Yves, tout le monde y va de son petit hommage plus ou moins hagiographique ou en tout cas guère en mesure de relativiser le génie et la bonté supposées de Claude Chabrol, qui imprègnent quasiment chaque page. D’où peut-être l’absence étonnante d’une contribution de Thomas Chabrol, son fils acteur qui avait pourtant fréquemment collaboré avec son père, depuis Alice ou la dernière fugue jusqu’à Bellamy ? A moins que vous ne vouliez lire quelque commentaire larvé dans son dessin de la tête de Claude Chabrol en poisson pris dans un bocal, qui figure sur la couverture du livre …
Pour résumer, « Par lui-même et par les siens » a le mérite de brosser une sorte d’introduction à l’univers et à la définition par lui-même de Claude Chabrol. Pour en savoir plus, à la fois sur une carrière en dents de scie et sur une existence qui ne se résumait probablement pas à la quête effrénée du bonheur, il pourrait s’avérer plus instructif de se pencher sur l’ample biographie que Antoine De Baecque a consacrée au réalisateur, parue chez le même éditeur dix ans plus tard. Idem pour la somme de son œuvre sous le titre « Tout Chabrol » par Laurent Bourdon chez LettMotif en 2020. Avec le risque sérieux de vouloir sonder à tout prix et en un nombre trop conséquent de pages – environ sept-cents chacun – le travail d’un artiste à l’esprit justement réfractaire à la révélation ostentatoire.
Conclusion
Sorti sans doute un peu trop dans la précipitation de la nécessité d’un hommage un brin opportuniste au monstre sacré qu’était Claude Chabrol, « Par lui-même et par les siens » s’inscrit avant tout dans la vulgarisation pluridisciplinaire d’une filmographie, qui cherche encore son égale dans le cinéma français. Après sa lecture, nous en savons un peu plus sur les grands repères de sa vie, ainsi que sur sa façon de faire régner le bonheur et la bonne humeur autour de lui, sur les plateaux de tournage et dans sa vie privée, devenue fort sédentaire pendant ses dernières années.
Surtout, nous brûlons d’impatience d’en savoir davantage, à la fois sous forme littéraire – pourquoi pas à travers l’autre livre de Michel Pascal dédié à Chabrol à partir de ses trois actrices fétiches Bernadette Lafont, Stéphane Audran et Isabelle Huppert ? – et à travers ses films, en attente de repasser sur grand écran en copie restaurée !