Les Fantômes du souvenir
France, 2016
Titre original : –
Auteur : Serge Toubiana
Éditeur : Éditions Grasset
443 pages
Genre : Autobiographie
Date de parution : 26 octobre 2016
Format : 141 mm X 206 mm
Prix : 22 €
3,5 / 5
Serge Toubiana, ce nom ne vous dit probablement pas grand-chose, à moins que vous n’ayez fréquenté certains cercles et institutions cinéphiles au cours des décennies passées. Car pour nous, Serge Toubiana fait partie de ces éminences grises du cinéma français, qu’on aperçoit à toutes sortes d’événements officiels, mais dont on ne sait jamais tout à fait ce qui leur vaut un tel prestige. En somme, il s’agit d’une figure de l’ombre, au parcours exemplaire au fil de son passage dans les enseignes mythiques que sont Les Cahiers du Cinéma et la Cinémathèque Française. Grâce à son autobiographie, parue à la rentrée 2016 aux Éditions Grasset sous le titre « Les Fantômes du souvenir », vous comprendrez mieux l’action et la passion indéfectible de cet homme pour le cinéma sous toutes ses formes.
En effet, ce petit pavé d’un peu plus de quatre-cents pages reflète assez bien l’impression que Toubiana nous avait donnée, lorsque nous le croisions de loin à la Cinémathèque en sa fonction de directeur général, il y a une dizaine d’années. Celle d’un homme discret et appliqué, nullement enclin à faire des vagues, quoique complètement investi dans son travail. Son humilité manifeste rend alors la lecture du livre hautement plaisante, contrairement à celle, par exemple, de l’autobiographie de Elia Kazan que nous avions rapidement abandonnée, à cause des fanfaronnades du réalisateur sur sa capacité de conquérir et de satisfaire toutes les femmes, malgré la perte d’un testicule. Rien de tel ici, puisque l’auteur reste dans le factuel – parfois jusqu’à l’excès – en réservant ses états d’âme plus personnels à d’autres ouvrages à la tonalité plus intime, comme « Les Bouées jaunes » paru chez Stock deux ans après ce livre-ci, sur sa relation avec sa compagne Emmanuèle Bernheim.
Synopsis : La vie de Serge Toubiana, né en août 1949 à Sousse, depuis ses premières impressions de cinéma d’abord en Tunisie, puis à Grenoble, jusqu’à sa dernière fonction majeure de directeur général de la Cinémathèque Française jusqu’en décembre 2015, en passant par son implication de longue haleine aux Cahiers du Cinéma aux côtés de Serge Daney, par la conduite de l’opération « Premier siècle de cinéma » lors du centenaire du Septième art en 1995, ainsi que son travail éditorial lors de l’émergence du marché des DVDs au début des années 2000.
L’ami du cinéma
Il y a quelque chose de quasiment viscéral dans la façon de commencer une autobiographie. C’est à ce moment-là que le pacte de confiance s’établit entre l’auteur et le lecteur, ce dernier devant accrocher suffisamment pour suivre dès lors les différentes étapes de la vie du premier. Une tâche assez lamentablement ratée par Kazan pour les raisons évoquées plus haut et guère réussie avec plus de panache par Michael Powell, qui avait eu besoin d’une centaine de pages avant de trancher dans le vif du sujet de son activité cinématographique à proprement parler.
Heureusement pour nous, Serge Toubiana se contente de quelques évocations d’une enfance somme toute heureuse, ainsi que du récit d’une première expérience de cinéma curieusement traumatisante. Malgré son statut de chef-d’œuvre incontesté du cinéma, La strada de Federico Fellini n’est peut-être pas le film idéal devant lequel mettre un jeune garçon encore facile à impressionner.
Or, c’est précisément dans cet espace mental d’une attraction pas toujours compréhensible que s’est forgé l’amour imperturbable de Serge Toubiana pour le cinéma. Par la suite, l’auteur ne revient pratiquement plus sur un film en particulier. Il en évoque l’un ou l’autre au détour de l’hommage qu’il rend aux nombreuses personnalités du cinéma qui ont croisé son chemin en près d’un demi-siècle d’activité en coulisse. Mais dans l’ensemble, c’est surtout cet enchaînement presque miraculeux de rencontres, qui rythme l’ouvrage d’une manière hautement probante.
L’une des grandes qualités de Serge Toubiana – au moins autant qu’on peut en juger à partir de ce récit passionnant d’une vie bien remplie – consiste à savoir se mettre en retrait ou au contraire à se rendre disponible, quand les circonstances l’exigent. En dépit de ses nombreux accomplissements, il n’omet jamais d’insister sur l’effort collectif qui a permis de mener à bien ses projets au fil du temps.
A la bonne distance des êtres et des choses
Parfaitement dévoué aux faits – quitte à nous préciser le jour et l’heure exacts de tel ou tel rendez-vous important –, le style d’écriture de Toubiana demeure corps et âme attaché à transmettre cet émerveillement constant, face aux grands noms du cinéma qu’il a pu côtoyer de manière privilégiée. Une admiration sans limite qui reste néanmoins plutôt restreinte en termes de quantité. Peu importe que ce soient François Truffaut, Isabelle Huppert, Maurice Pialat ou encore Costa-Gavras, tous ces monstres sacrés du cinéma devront tôt ou tard se ranger dans un contexte de démarches éditoriales ou administratives, susceptibles de les ramener à leur statut d’hommes ou de femmes imparfaits.
Serge Toubiana remplit alors à la perfection son rôle de témoin globalement neutre face aux coups d’éclat, souvent heureux, parfois malheureux, du microcosme cinématographique. A aucun moment, il ne s’autorise quelque jugement mesquin que ce soit, au profit d’un recul aussi mesuré et sain que possible, lorsque l’on parle de soi-même.
L’intérêt suscité par ce livre dépendra de votre curiosité à l’égard de l’envers du décor du cinéma. Si vous souhaitez en savoir plus, jusqu’au moindre détail, sur les films ou la personnalité des figures mythiques du cinéma, « Les Fantômes du souvenir » n’est a priori pas pour vous. Cependant, en tant que balade littéraire à travers un CV aussi atypique que fascinant, ce livre vous fera quelques piqûres de rappel des plus plaisantes, tout en vous permettant de comprendre un peu mieux le fonctionnement de certaines institutions emblématiques du paysage du cinéma français.
L’atout de la fluidité de l’écriture et de la lucidité du découpage pourrait en même temps s’avérer légèrement problématique, Serge Toubiana ayant tendance à consacrer au mieux deux ou trois pages à certains événements majeurs. La richesse de sa vie, traitée avec un soupçon de superficialité, compensera par contre une faible sensation de répétition vers la fin, quand le poste de directeur général de la Cinémathèque Française paraît consister avant tout en l’organisation d’une exposition après l’autre.
Conclusion
Une fois la dernière page d’une autobiographie tournée, c’est presque toujours la même question qui nous taraude : quel type de personne avons-nous accompagné pendant quelques jours ou semaines au gré de nos lectures, et, surtout, à quoi cette identification par texte interposé a-t-elle servi ? Dans le cas de « Les Fantômes du souvenir », nous sommes quasiment convaincus que Serge Toubiana n’a guère embelli sa vie pour satisfaire un quelconque penchant vaniteux. Cela ne correspondrait point au personnage. Toutefois, il a su mettre en mots le quotidien d’un vagabond appliqué au service du cinéma, disposé à être présent avec sérieux là où le vent d’une vie professionnelle instable le portait. L’absence de parenthèses autoréflexives et autres sondages d’âme prétentieux est alors tout à l’honneur d’un professionnel, qui continue désormais son bonhomme de chemin chez Unifrance, plus que jamais investi dans la promotion du cinéma français.