L’Apocalypse cinéma
France, 2012
Titre original : –
Auteur : Peter Szendy
Éditeur : Capricci
137 pages + annexes
Genre : Essai théorique
Date de parution : 12 octobre 2012
Format : EPub / 122 mm X 190 mm
Prix : 15 €
3/5
Est-ce qu’on a réellement bien choisi la lecture de ce livre à un moment où l’ambiance générale est à la morosité et à la détresse ? Peut-être était-ce une sorte de réflexe de survie psychologique, consistant à rechercher le pire pour mieux supporter cette crise sanitaire qui n’en finit plus. Car dans « L’Apocalypse cinéma », il n’est question que de la fin de toute chose : de l’humanité, de la Terre et du cinéma. Heureusement depuis un point de vue éminemment théorique, puisqu’au moment de la publication de l’essai de Peter Szendy, il y a une petite dizaine d’années, personne n’osait imaginer encore qu’une pandémie allait causer la fermeture pure et simple des salles de cinéma pendant plus de six mois. Et c’est de même cette approche assez vague, qui permet d’appréhender la figure récurrente de la fin du monde selon une multitude de manifestations filmiques.
Car une fois que vous serez arrivés à bout de cet ouvrage, malgré tout plutôt facile à lire pour un texte sorti de la plume d’un auteur issu du monde universitaire, vous verrez ces chocs planétaires et autres événements cataclysmiques sur grand écran avec un recul salutaire. Szendy ne tente nullement d’y dresser l’inventaire des structures narratives ou des implications sociales qui ont vu proliférer l’obsession nihiliste de la destruction ultime dans le cinéma hollywoodien depuis au moins un demi-siècle. Il s’emploie davantage à sonder divers repères de ce sous-genre, souvent jouissif, par rapport à leur fondement esthétique, voire philosophique. Dit ainsi, on pourrait craindre la surenchère en termes de prise de tête intellectuelle, rendant ardue la lecture de la bonne centaine de pages, découpés en douze chapitres et autant de films phares.
Or, en dépit de quelques rares choix éditoriaux discutables, « L’Apocalypse cinéma » procède à une mise en abîme aussi foisonnante que passionnante de films populaires, sur lesquels on aurait pu croire que plus rien ne reste à dire. La brièveté relative du livre s’avère alors être son plus grand atout et son point faible le plus frustrant. Autant le passage d’un film ou d’une théorie à l’autre y ouvre une multitude d’horizons de réflexion, autant on aurait aimé un approfondissement plus poussé de certaines interprétations, permettant par conséquent un lien plus solide entre elles.
Synopsis : La fin du film, c’est la fin du monde. Le philosophe Peter Szendy étudie cette hypothèse par le biais de dix blockbusters apocalyptiques, plus ou moins récents. Au delà des effets spéciaux employés à grand renfort, le cinéma procéderait selon lui à l’affrontement de ses propres limites en mettant en scène la fin du monde sous toutes ses formes. L’exposition suprême du cinéma en tant que discours et art plastique y serait chaque fois à l’œuvre. Cette course contre la montre se solderait sans exception par le passage à l’écran noir ou à l’écran blanc, toujours en guise de métaphore du cinéma au bord du précipice théorique de sa propre disparition.
La fin du monde en boucle
En survolant le sommaire de ce livre, vous pourriez être pris d’anticipation de savoir enfin tout sur le volet apocalyptique de films aussi divers que Melancholia de Lars von Trier, Cloverfield de Matt Reeves ou L’Armée des douze singes de Terry Gilliam. Et si l’on n’irait certes pas jusqu’à accuser l’éditeur de tromperie sur la marchandise, une petite déception risque de se manifester au fur et à mesure qu’on remonte vers le moment fatidique de la fin de la lecture. En effet, mieux vaut se fier à l’intitulé thématique de chaque chapitre qu’au titre du film placé en exergue, parfois traité comme un simple exemple parmi d’autres.
Il y a évidemment des exceptions, comme le conte apocalyptique du réalisateur danois, qui ouvre et clôt d’une certaine façon l’ouvrage. Mais sinon, le propos sur des films tels que Soleil vert de Richard Fleischer ou Los Angeles 2013 de John Carpenter nous a paru infiniment plus probant que celui sur 2012 de Roland Emmerich et Terminator de James Cameron. D’autant plus que la mention de ce dernier se réfère en fait à la deuxième suite de la saga futuriste, Terminator 3 Le Soulèvement des machines de Jonathan Mostow.
Cependant, comme échantillon de films presque exclusivement hollywoodiens, les œuvres choisies par l’auteur font preuve d’une homogénéité appréciable. Celle-ci permet de les inscrire dans une vision plus vaste et abstraite de l’extinction de l’humanité par écrans interposés, de dégager des récurrences formelles qu’il aurait été plus difficile de déterminer à partir d’un corpus de films plus varié. Quitte à ne jamais tout à fait dissiper le doute chez nous, lecteur à l’esprit guère universitaire, que c’est le long trait théorique de l’argumentation qui prévaut ici sur les spécificités de tel ou tel film. Un reproche que l’on pourrait faire à bon nombre d’écrits semblables, mais qui reste d’une pertinence limitée ici, grâce à la plume somme-toute plaisante à lire de Peter Szendy.
La parousie du cinémonde
Après avoir cité d’emblée Arthur Schopenhauer, l’auteur n’abuse heureusement pas trop par la suite de ses connaissances en termes de traités théoriques. Chaque chapitre dispose certes de son lot de notes plus ou moins abondantes. Mais chacune d’entre elles apporte sa pierre à l’édifice mi-concret, mi-abstrait sur lequel se fonde la structure éditoriale de « L’Apocalypse cinéma ». Il ne s’agit alors pas tant de faire le grand écart entre un genre cinématographique rarement pris au sérieux à cause de ses histoires abracadabrantesques et des pensées éthérées, formulées par la fine fleur de la philosophie européenne depuis Épicure. Non, le ton du livre se situe ailleurs : dans le champ plutôt accueillant d’une relecture de formes en apparence triviales, rendues plus riches de sens par le biais de leur mise en perspective théorique.
Les classiques du genre ont alors droit à un axe d’approche joliment partiel. Nul besoin de raconter leur intrigue en long et en large, ni de revenir sur les points de bascule vers le chaos qu’ils auraient en commun, avant que la lumière du projecteur ne s’éteigne. La suspension du regard dans Blade Runner de Ridley Scott fait partie de ces pépites théoriques, tout comme la fascination pour l’éclat de blancheur aveuglant dans Sunshine de Danny Boyle ou encore le temps suspendu dans la glace à la fin de A.I. Intelligence artificielle de Steven Spielberg. L’exploit de l’auteur consiste dès lors à donner une forme éditoriale suffisamment souple et ludique à son raisonnement, évoluant à la surface globalement accessible de la théorie académique à l’état brut.
Alors oui, on peut regretter le penchant de Peter Szendy d’inclure presque systématiquement la langue originale de ses traductions. Un soin trop pointilleux qui pourrait se justifier pour l’anglais, mais qui devient vite peu utile pour le grec et l’allemand. Mais dans l’ensemble, le philosophe et musicologue remplit sans peine le contrat de lecture pour ce type d’ouvrage plus ou moins pointilleux. A savoir de tenter la réconciliation en apparence impossible entre les hautes sphères de la théorie du cinéma et le niveau plus bassement viscéral de films, au sujet tellement exagéré qu’ils en deviennent ridicules.
Conclusion
C’est par hasard que nous sommes tombés sur « L’Apocalypse cinéma », le premier livre que nous ayons lu par voie de liseuse. A moins que ce ne soit par un intérêt familial tristement morbide pour la fin du monde. Toujours est-il que – même plusieurs années après sa publication – le voyage théorique entrepris par Peter Szendy à travers un échantillon forcément partiel de films catastrophes et autres contes à l’issue néfaste ouvre un fascinant champ des possibles. Le paradoxe magnifique de sa quête se situe probablement là, dans sa capacité de remplir d’un solide bagage d’analyse théorique le creux du néant, depuis Buster Keaton et Fritz Lang jusqu’au cinéma popcorn des années 2000 !