L’Amie américaine
France, 2020
Titre original : –
Auteur : Serge Toubiana
Éditeur : Éditions Stock
321 pages + annexes
Genre : Biographie
Date de parution : 4 mars 2020
Format : 136 mm X 215 mm
Prix : 20€
3/5
Pour quiconque a eu la chance d’écouter les enregistrements du mythique entretien entre François Truffaut et Alfred Hitchcock, diffusés sur France Culture en 1999, Helen Scott est d’abord une voix. Celle de l’interprète complice des deux monstres sacrés qui apporte sa pierre, essentielle, à cet échange qui fera date. Après la lecture fort plaisante de « L’Amie américaine », c’est une autre image qui se superpose à cette première impression désincarnée. Car dans toute sa splendeur rocambolesque, le destin de Helen Scott a également quelque chose de tristement tragique, bien longtemps avant que l’homme à qui elle aura voué la deuxième moitié de sa vie ne l’ait précédée dans la mort au jeune âge de seulement 52 ans.
Ainsi, ce personnage hors normes de la vraie vie nous fait penser à celui, fictif, que Margo Martindale avait interprété en 2006 dans l’épisode de Alexander Payne dans Paris je t’aime. A savoir, une femme américaine solitaire, débarquée à Paris sans capacité réelle d’y dépasser son stade de touriste, voire d’intruse.
L’écriture d’une bienveillance sans faille de la part de Serge Toubiana fait tout son possible pour atténuer ce côté presque déprimant de la vie de Helen. Mais elle n’y parvient qu’en partie, notamment à cause de sa difficulté à nous faire partager pleinement l’une des qualités majeures de son sujet : l’humour. L’auteur a beau y insister à intervalles réguliers, chaque fois qu’il s’agit de mettre en contexte l’une des nombreuses lettres que Helen Scott a envoyé à François Truffaut, un arrière-goût doux-amer demeure autour de cette femme qui semble vivre plus dans le délire romantique que dans la réalité. Une réalité qui, rien que prise pour elle-même, est d’ores et déjà suffisamment passionnante pour vous inciter à dévorer sans tarder cet hommage littéraire à une femme de l’ombre, ignorée depuis trop longtemps.
Synopsis : New York, 1960. Engagée par le French Film Office, le prédécesseur de l’Unifrance actuel, Helen Scott est chargée d’accompagner le jeune réalisateur français François Truffaut, venu présenter son premier film Les 400 coups, lors de sa tournée publicitaire aux États-Unis. Pour cette femme quadragénaire, au passé militant chargé mais sans appétit particulier pour le cinéma, cette rencontre fait figure de révélation. Elle a le coup de foudre pour le membre fondateur de la Nouvelle Vague et le lui exprime, en toute pudeur, dans les nombreuses lettres qu’elle se met à lui écrire dès son départ.
Commence alors une longue relation épistolaire à distance entre cette spécialiste américaine, quoique francophile, des relations publiques et un réalisateur jamais capable d’apprendre convenablement l’anglais, dont les films connaissent un degré soutenu de notoriété auprès des spectatrices et des spectateurs d’outre-Atlantique. Leur relation mi-professionnelle, mi-amicale, donnera très tôt naissance au célèbre livre d’entretiens entre Truffaut et Alfred Hitchcock, paru au milieu des années ’60.
Mon cher Truffe
Un éminent connaisseur de la vie de François Truffaut, à qui il avait dédié aux côtés de Antoine De Baecque une biographie de référence parue en 1996 chez Gallimard, Serge Toubiana a décidé d’aborder la vie du réalisateur de renom sous un autre angle avec ce livre-ci. L’étoile Truffaut, elle brille ici, peut-être plus belle et éclatante que jamais, depuis le point de vue de Helen Scott. Helen Scott, une illustre inconnue au bataillon, si ce n’est en tant que traductrice prodigieuse de la conversation-fleuve entre Truffaut et Hitchcock, retranscrite dans un livre que chaque cinéphile se doit de lire au moins une fois dans sa vie ! Or, sa trajectoire de satellite, jamais très loin de la sphère Truffaut, vit avant tout de la passion plus ou moins platonique qu’elle voue à celui qui deviendra au fil du temps son ami de longue date.
Une passion dont on ressent, page après page, qu’elle s’articule principalement à sens unique, c’est-à-dire que Helen a une dangereuse tendance à se fourvoyer dans des délires d’amante à distance trop souvent délaissée, face à des retours écrits au compte-gouttes. De nos jours, pareil comportement obsessionnel pourrait être interprété comme du harcèlement. A l’époque, le réalisateur débutant semble cependant se prêter gracieusement au jeu de l’admiration sans bornes de la part d’une femme de plus de seize ans son aînée.
Il a dû y avoir autre chose qu’un simple échange de bons procédés professionnels, puisque progressivement, Helen Scott avait su faire intrusion dans le cercle intime de Truffaut. Certes, elle n’y a jamais eu droit au rôle auquel elle avait l’air d’aspirer – pour de vrai ou en guise de boutade, qui sait ? –, mais sa lucidité omniprésente lui a permis d’occuper ce poste de confidente passagère et de membre de la famille avec un degré tout à fait convenable de reconnaissance. En retour, Helen Scott a su jouir d’un certain prestige, d’abord à New York, puis à Paris, tout en pouvant compter sur le soutien financier de son ami.
Car le sort de ces bonnes âmes idéalistes gravitant autour du cinéma est bien trop régulièrement celui d’une précarité matérielle crue. Heureusement pour Helen, François était là pendant les dernières années de sa vie pour régler une partie de son loyer, voire plus tôt en lui transmettant les droits d’auteur de leur bébé littéraire commun, le Hitchbook !
Je vous kiss comme je vous love
Plus qu’un simple compte-rendu de la genèse de cet ouvrage-là, indispensable jusqu’à ce jour, « L’Amie américaine » s’intéresse plus largement à toute la vie de Helen Scott. Marquée d’au moins autant de hauts que de bas, elle s’était aventurée initialement du côté d’un engagement militant communiste qui allait jouer de (très) mauvais tours à Helen, au moment de la chasse aux sorcières dans l’Amérique des années ’50. En effet, quand elle rencontre presque par hasard son futur idole pour la première fois, elle se remet tout juste d’une longue traversée du désert, ponctuée du thème récurrent des fins de mois difficiles et de la persécution pénible de la part des services fédéraux de son pays natal. Comme quoi, même depuis le fond du trou existentiel, de belles choses peuvent survenir sans crier gare … !
Or, si sa proximité plus ou moins provoquée avec Truffaut constitue sans doute la partie centrale de son apport au cinéma, Helen Scott avait de même entretenu des amitiés solides avec d’autres noms imposants du Septième art. Le livre de Serge Toubiana revient ainsi sur son appréciation globale de la part de quelques piliers de la Nouvelle Vague, comme Jean-Luc Godard et Alain Resnais, ravis de connaître à travers elle une véritable championne de la promotion du cinéma français sur le sol américain. L’inclusion de quelques noms bien cotés à Hollywood, comme le réalisateur Robert Benton, alors le coscénariste de Bonnie et Clyde finalement réalisé par Arthur Penn et non pas par Truffaut, voire d’acteurs toujours en activité de nos jours, comme Bill Murray, a par contre de quoi nous surprendre !
C’est que, en dehors de sa focalisation parfois un peu douteuse sur François Truffaut, Helen Scott avait le don social de jouer sur suffisamment de tableaux complémentaires pour entretenir un cercle important d’amis et de contacts utiles. A ce titre, elle était à la fois une intermédiaire habile dans le soutien indéfectible qu’elle apportait aux projets auxquels elle croyait – le cas de Fahrenheit 451 par Truffaut s’avère plutôt édifiant à ce sujet-là – et une sorte de mascotte à l’humour désarmant, en mesure de vous faire passer un bon moment. Hélas, c’est dans la transmission de ce trait de caractère, pourtant vital, que le livre affiche ses plus grandes lacunes. D’un style très fluide et élégant, la plume de Serge Toubiana y réussit au mieux à souligner des traits d’humour, qui auraient probablement été plus percutants, s’ils étaient sortis directement de la bouche de la principale intéressée.
Conclusion
Digne d’un véritable explorateur infatigable de la planète François Truffaut, « L’Amie américaine » explore avec autant de tact que de malice la vie d’une femme qui aurait certainement adoré jouer un rôle plus important dans la vie du créateur d’Antoine Doinel. Sans jamais tomber dans la complaisance, Serge Toubiana nous y fait partager avec succès l’existence guère facile d’une femme aux rêves multiples, quoique sans cesse remise devant la dure réalité affective et matérielle des choses.
Par ailleurs, son engouement pour ce destin hors normes s’était soldé par un deuxième livre, « Mon petit Truffe, ma grande Scottie », édité chez Denoël trois ans après celui-ci, sous forme de la reprise intégrale de la correspondance des deux amis au plus fort de leurs échanges entre 1960 et ’65. Enfin, si vous souhaitez entendre la grande Helen Scott sans filtre, à la fois en anglais et en français, sachez que les enregistrements de la mythique conversation précitée sont disponibles en podcast chez France Culture.