Livre : Ishiro Honda, humanisme monstre

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Titre : Ishiro Honda, humanisme monstre

Auteur : Fabien Mauro

Editeur : Rouge Profond

Date de publication : 21 juin 2018

Nombre de pages : 266

Format : 16 x 22

Prix : 17,9 euros

Dans le cadre des Japonismes 2018, la La Maison de la Culture du Japon à Paris a proposé deux séances de l’incontournable Godzilla d’Ishiro Honda dont l’une2 a été présentée par Fabien Mauro, auteur du seul ouvrage français consacré au réalisateur. Fâcheuse et indécente omission française que celle d’un auteur occupant pourtant le quart du box-office hexagonal en nombre d’entrées concernant les films japonais dans le pays, ce qui est nettement supérieur en termes d’entrée qu’un Akira Kurosawa pourtant adoubé par la cinéphilie française. C’est donc dans un souci de (ré)habiliter un réalisateur encore négligé et méconnu (à contrario de sa créature) que l’auteur nous ouvre ainsi les portes d’une œuvre plus dense et plus naturaliste que sa monstrueuse apparence ne le suggère. Teinté d’un humanisme mélancolique, on découvre à travers cet ouvrage le regard unique d’un artiste qui aura jusqu’au bout rêvé d’un monde de paix entre les hommes et les monstres.

Réalisme monstre

C’est avec une certaine érudition que l’auteur s’applique à dresser le portrait d’un homme discret mais non moins dénué d’audaces techniques mais aussi idéologiques. L’ouvrage s’ouvre ainsi sur une partie biographique des plus éclairantes et exhaustives révélant un réalisateur dont on ne connaît à priori pas grand-chose. On y prend notamment connaissance de sa douloureuse expérience de guerre, au sein d’une maison de confort dont le souvenir traumatique forgera finalement l’essentiel de son discours pacifiste qui jalonnera une filmographie marquée par le conflit avec les monstres mais aussi (et surtout) entre les hommes.

De manière pertinente, Fabien Mauro retrace l’itinéraire d’un homme qui a choisi la voie du cinéma dans une logique de sincérité artistique qui conférera une authenticité unique à son œuvre (expliquant aisément son succès auprès du public). On retrouve ainsi à la fin du livre une série d’interviews passionnantes qui creusent (entre autre) le portrait touchant du réalisateur à travers les souvenirs de ses collaborateurs qui évoquent de concert un homme peu dirigiste, compréhensif, tourné vers le collectif et la collaboration heureuse.

Proche d’Akira Kurosawa qui n’aura de cesse de rappeler tout l’apport esthétique et morale de son ami sur son oeuvre (on y rappelle notamment que c’est Honda qui a tourné les scènes de seconde équipe de Chien Enragé et qu’il a contribué grandement à la réussite de la retranscription de l’atmosphère d’après-guerre du film), on retrouve à la fin de ce parcours biographique une citation du maître qui synthétise et déchiffre parfaitement la vision contrastée qu’Honda avait de l’humanité : « Son expérience de la guerre était difficile, et pourtant il avait le cœur chaleureux en ce qui concernait l’humanité ». C’est ainsi l’occasion de rappeler à quel point les deux hommes se seront mutuellement influencés artistiquement. Porté par un naturalisme à peine voilé, on apprend ainsi qu’il a réalisé de nombreux documentaires qui expliquent notamment le réalisme cru de la représentation des conflits de guerre dans ses films de monstres mais aussi de science fiction.

Conteur d’Histoire(s)

Souvent réduite à la tonalité explicitement pessimiste de Godzilla, c’est pourtant une œuvre beaucoup plus nuancée et bigarrée qui est révélée dans cette belle monographie. C’est ainsi que l’auteur élargit son corpus aux autres genres abordés par Honda et notamment ses œuvres de science-fiction. On découvre au fil de la lecture un florilège de films dont les analyses concises activent un intérêt pour cette partie de sa filmographie complètement étouffée par sa notoriété écrasante de Roi des monstres. Or, difficile de rester indifférent à ces films de science-fiction pouvant pousser la noirceur et l’allégorie à un niveau stupéfiant. Le choix du film Matango en couverture s’en retrouve légitimé : ce film se présente comme un survival paranoïaque à l’atmosphère fiévreuse, s’affichant comme l’œuvre la plus représentative de son auteur. Une filmographie, qui derrière son registre et son esthétique fantastique, s’avère profondément réaliste, historique mais aussi sociale. Ainsi, le reste de l’ouvrage s’attache à restituer l’esthétique ainsi que les motifs et les symboles qui traversent une œuvre se situant à la croisée de l’allégorie et du documentaire. On saluera par ailleurs une entrée exaltante consacrée au statut décisif ainsi qu’a la place essentielle occupée par les personnages féminins dans l’oeuvre d’Honda qui confirme la portée sociale mais aussi la modernité de ses films.

De Cloverfield à Pacific Rim en passant par le Colossal de Nacho Vigalondo, son influence de Roi des Monstres aura été indéniable et ce, au point d’avoir été à l’origine de l’émergence d’un genre encore pérenne : le kaiju eiga qui a encore de beaux jours au Box-office international. Mais plus qu’un genre, Honda aura imposé une imagerie édifiante motivée par une dynamique de peur et d’espoir dont il est difficile pour ses héritiers de se détourner. Cette esthétique du cauchemar qui traduit le désarroi profond mais empli d’espoir de son réalisateur qui a su le transfigurer dans le cinéma (« Mes cauchemars sont toujours à propos d’une errance dans les rues, une recherche de quelque chose de perdu pour toujours») continue ainsi d’exercer une influence notable dans le domaine culturel. En 2018, il est était ainsi impératif de rendre hommage à une figure tout simplement essentielle du cinéma moderne.

En refermant l’ouvrage, le lecteur aura voyagé dans plusieurs mondes : de l’île inquiétante de Matango aux montagnes vertigineuses de Rodan en passant par les eaux du Pacifique de Varan, c’est une véritable odyssée de monstres et d’hommes dans laquelle l’auteur nous transporte. En alliant habilement biographie, contexte de production et analyse, Ishiro Honda : humanisme monstre constitue une belle porte d’entrée à une œuvre qui ne demande qu’à être déverrouillée. Cinéaste, soldat, artisan, technicien, pacifiste, ami et surtout humaniste, on ne peut que déplorer le peu de reconnaissance d’un réalisateur si authentique et traversé par ces contrastes qui sont le propre de l’homme ayant vécu l’expérience horrifique de la guerre. Malgré l’humilité et la modestie, le réalisateur aura imprimé à tout jamais son empreinte sur l’histoire du cinéma et il est fort à parier qu’il continuera de vivre à travers les pellicules dans lesquelles il aura mis tant d’amour et de sincérité.

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