Livre : Faire un film (Sidney Lumet)

0
213

Faire un film
États-Unis, 1995
Titre original : Making Movies
Auteur : Sidney Lumet
Traduction : Charles Villalon
Éditeur : Capricci
279 pages
Genre : Manuel professionnel
Date de parution : 6 octobre 2016
Format : 122 mm X 190 mm
Prix : 19 €

3,5/5

Même si « Faire un film » a été écrit il y a près de trente ans, avec la traduction française survenue assez tardivement en 2016, le livre de Sidney Lumet retient toute sa pertinence dans le paysage cinématographique actuel. La révolution numérique et l’arrivée des plateformes en ligne ont beau être passées par là, le processus de fabrication d’un film n’a pas vraiment évolué de fond en comble depuis la période d’activité du réalisateur d’Un après-midi de chien.

Il s’agit plus que jamais d’un effort collectif, au sein duquel la solidarité des collaborateurs est aussi importante que l’assurance du réalisateur de savoir ce qu’il souhaite exprimer à travers son long-métrage. Cette tâche colossale, depuis le choix du scénario jusqu’à celui de la stratégie publicitaire, y est détaillée avec un pragmatisme recommandable, ainsi qu’à travers un nombre conséquent d’exemples, tirés directement et sans filtre de l’illustre filmographie de Sidney Lumet.

Plutôt que de se mettre en avant, fort de ses succès indéniables comme Network Main basse sur la TV ou Le Verdict, l’auteur préfère laisser parler sa passion du cinéma et son acharnement infatigable, afin de livrer au producteur le meilleur film possible. A l’image de son discours de remerciement à l’occasion de la remise en 2005 d’un Oscar d’honneur, lui aussi tardif, Lumet fait preuve ici d’une certaine modestie et de la sagesse nécessaire pour pouvoir admettre de sporadiques errements au fil d’une carrière en dents de scie.

Or, ce n’est guère l’auto-évaluation de son œuvre qui importe ici, mais l’explication hautement instructive des treize grandes étapes conduisant à la sortie en salles de n’importe quel film. Cette routine étalée sur plusieurs mois de production, le cinéaste la maîtrise sur le bout des doigts. Tout en sachant pertinemment que chaque tournage est différent et que la recette du succès n’appartient à personne, même pas aux géants d’Hollywood du passé (Walt Disney) et du présent (Steven Spielberg).

Long voyage vers la nuit © 1962 First Company / Embassy Pictures Tous droits réservés

Synopsis : Les aspects de la création cinématographique sont multiples. Depuis le choix du scénario et ses thèmes majeurs jusqu’aux cartons de sondage remis aux spectateurs lors des projections tests, en passant par le casting, les répétitions, l’élaboration des décors et des costumes, le tournage, le montage et la conception de la bande son y compris la musique, il existe moult occasions pour opérer le mauvais choix et ainsi torpiller le produit final. Nourri d’une longue expérience à Hollywood, le réalisateur américain Sidney Lumet (1924-2011) livre ici une plongée saisissante dans les coulisses du cinéma.

Le Crime de l’Orient-Express © 1974 Joe Pearce / EMI Film Distributors / G.W. Films Limited / Studiocanal /
Carlotta Films Tous droits réservés

Le plus adroit et conciliant des collaborateurs : c’est ainsi que Sidney Lumet paraît se définir à travers « Faire un film », fermement situé au centre de la tempête créative qu’est la production d’un film de cinéma. Son but, en tant que capitaine du navire cinématographique, est que tout le monde progresse ensemble pour faire le même film. Ainsi, la majorité des membres de son équipe reçoivent des louanges au fil des pages. Avec une mention spéciale pour le chef opérateur attitré sur ses premiers films Boris Kaufman, le compositeur initié par lui au cinéma Quincy Jones et même l’étalonneur. Par contre, il existe trois catégories de personnes à l’égard desquelles le réalisateur fait preuve de dédain à répétition : les chauffeurs, les maquilleurs / coiffeurs des vedettes et les enquêteurs d’opinion au moment fatidique des projections tests.

D’ailleurs, son acharnement sur le côté mercantile du cinéma, qui occupe la dernière partie du livre, à partir des explications assez techniques quoique pas trop fastidieuses sur le mixage, laissent supposer une certaine aigreur, là où prévalait auparavant un amour communicatif du Septième art.

En effet, toutes proportions gardées, Sidney Lumet est parfaitement conscient de la place qu’il occupe dans l’Histoire du cinéma. Il s’attarde sur des films qui lui tiennent à cœur et qui n’ont guère rencontré leur public, jusqu’à tomber dans l’obscurité, comme son adaptation d’Eugene O’Neill Long voyage vers la nuit avec Katharine Hepburn ou bien Daniel avec Timothy Hutton, dont la réputation a été tant soit peu rétablie grâce à sa ressortie sur les écrans français l’année dernière. En même temps, son propos reste plutôt parcimonieux face à des ratages indiscutables comme Les Yeux de satan.

Néanmoins, la finalité de cet ouvrage fascinant n’est pas de faire le tri entre les bons et les mauvais films de Sidney Lumet, mais d’améliorer de façon substantielle la compréhension, à la fois chez les futurs professionnels du cinéma et chez les spectateurs béotiens, de ce que cela implique que de s’atteler à la tâche de tourner un film, au demeurant à l’issue incertaine.

Le Prince de New York © 1981 Louis Goldman / Orion Pictures / Warner Bros. Discovery France Tous droits réservés

L’auteur l’indique de suite, « Faire un film » n’est pas du tout une autobiographie larvée, truffée de détails salaces sur la vie privée de Sidney Lumet et de règlements de compte avec des acteurs trop capricieux ou des techniciens incompétents. Dès lors, vous n’y trouverez rien, mais strictement rien sur les débuts du réalisateur à la télévision dans les années 1950, avant de faire avec fracas son entrée dans l’arène cinématographique avec 12 hommes en colère en 1958.

Toutefois, le livre, qui jouit visiblement d’une popularité durable puisque celui que nous avons emprunté à notre bibliothèque municipale faisait partie du septième tirage, à peine cinq ans après la date de sortie dans les librairies françaises, n’hésite pas à mettre les méthodes de travail de Lumet en perspective par rapport à ce qui se faisait avant. Ces brefs cours d’Histoire, jamais plus longs qu’une ou deux pages, attestent – s’il y avait encore besoin de le faire – de la lucidité à toute épreuve de l’auteur.

Quel bilan tirer alors de cet ouvrage de référence, très facile à lire et sublimement informatif, en dépit de quelques erreurs de frappe et du nom de Sydney Pollack, écorché ici comme presque partout ? Que la chance immense de Sidney Lumet, capable de mener à peu près comme il le voulait une carrière riche de quarante-trois longs-métrages, dont certains passés à juste titre à la postérité, devrait plus souvent se réverbérer sur nous, des spectateurs parfois trop capricieux pour reconnaître la somme considérable de travail que l’on a le privilège de consommer sur grand écran.

Avec chaque étape de la production d’un film équivalente à une bataille à couteaux tirés en défense de l’intégrité de l’œuvre et des intentions du réalisateur, il vaudrait peut-être mieux se montrer un peu moins condescendant envers des films pas entièrement réussis. Au détail près que Lumet, lors de sa tirade finale, est le premier à reconnaître que les films de qualité sont l’affaire d’une minorité, à tout moment en proie d’être corrompue par le déluge de films médiocres.

Daniel © 1983 Lorey Sebastian / World Film Services / Paramount Pictures France / Splendor Films Tous droits réservés

Conclusion

La qualité fort variable des films de Sidney Lumet, un véritable touche-à-tout qui alternait presque systématiquement entre des œuvres magistrales et des ratages inexplicables, aurait pu laisser croire que le réalisateur ne savait pas trop ce qu’il faisait pendant le demi-siècle que durait son illustre carrière. « Faire un film » dément avec une fermeté tout à fait appréciable cette supposition. Bien au contraire, les explications aussi révélatrices que divertissantes du réalisateur ne font qu’accroître notre admiration pour les hommes et les femmes qui osent s’abandonner corps et âme aux sables mouvants de l’industrie du cinéma en général, et pour Sidney Lumet en particulier !

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici