10.000 façons de mourir
Royaume-Uni : 2019
Titre original : 10,000 Ways to Die
Auteur : Alex Cox
Genre : Guide, Cinéma
Éditeur : Carlotta Films
Traduction : Alexandre Prouvèze
Date de sortie : 16 novembre 2021
Nombre de pages : 624 pages
Note : 4,5/5
Des cinéastes Sergio Leone à Sergio Corbucci. Des acteurs Gian Maria Volonté, Klaus Kinski ou Tomás Milián jusqu’aux incontournables Lee Van Cleef ou Clint Eastwood. De la musique d’Ennio Morricone, aux inspirations de Marlon Brando et Akira Kurosawa. Ce livre somme du cinéaste Alex Cox est une plongée encyclopédique sur l’Age d’Or du Western Spaghetti Italien, en plus de 50 films décryptés, analysés : un ouvrage de plus de 600 pages (inclus un cahier photo), dans le format de la collection « les Carnets d’Ozu ».
Plusieurs ouvrages consacrés au western spaghetti sont disponibles en France, et jusqu’ici, les bouquins de référence étaient signés Jean-François Giré (« Il était une fois… le western européen », Bazaar & Co) et Alain Petit (« 20 ans de western européen », Artus Films). Grâce à Carlotta Films, il semble bien qu’un petit troisième parvienne à faire son trou (de balle) dans le cœur des amateurs de spagh’ – et inversement ! – tant il transpire la passion de son auteur pour le genre.
Ce bouquin s’appelle 10.000 façons de mourir, et c’est un gros pavé de 624 pages au cœur duquel les passionnés de western all’italiana se plongeront et se replongeront avec un plaisir sans cesse renouvelé. Il est signé Alex Cox – un nom que connaissent bien les amateurs de Bis et de curiosités cinématographiques, pour la bonne et simple raison que le lascar a réalisé plusieurs films, dont certains ont su durablement impacter les mémoires de ceux qui ont eu le plaisir de les découvrir il y a une trentaine d’années.
A l’image de cinéastes tels que Richard Stanley ou Gregg Araki, Alex Cox est en effet un artisan du cinéma dont les films indépendants et complètement fous ont une particularité notable : on ne les oublie pas. On espère d’ailleurs que Carlotta Films se laissera tenter par la sortie en Blu-ray de quelques-uns de ses films, et en particulier de Repo Man (1984) et de Straight to Hell (1987), western urbain complètement barré qui annonçait le cinéma de Quentin Tarantino avec plusieurs années d’avance.
Mais pour aujourd’hui, place au spaghetti, avec 10.000 façons de mourir, qui fait le choix d’aborder le genre par le biais d’un prisme relativement inédit : l’ouvrage nous propose de fait un retour chronologique sur le genre, mais écrit selon le point de vue d’un cinéaste, qui pour le coup est également un amoureux du genre depuis de nombreuses années. Place donc à une « relecture » de nombreux films que les amateurs connaissent certes tous parfaitement, mais en mettant l’accent sur le point de vue du réalisateur – il s’agit là d’une nouveauté tout à fait intéressante, que l’on pourra même considérer comme rafraîchissante, dans le sens où elle s’éloigne souvent de l’analyse cinématographique pure pour aborder des aspects généralement laissés de côté par les critiques.
La genèse du projet 10.000 façons de mourir remonte aux années d’étudiant d’Alex Cox. Son expérience en tant que réalisateur lui permettrait finalement de remanier son premier jet, réévaluant les différents films en les abordant du point de vue des cinéastes, revenant sur la façon dont ils ont conçus tel ou tel plan, sur l’émotion qu’ils avaient dans l’idée de créer chez le spectateur… Les « remontages sauvages » effectués par les studios et les producteurs sont également largement abordés, de même que les limites liées aux budgets alloués aux films. Alex Cox confronte ainsi régulièrement les aspects purement « créatifs » du métier d’artiste aux contingences bassement matérielles et financières. Les réussites les plus éclatantes du genre n’en arborent finalement que plus d’éclat, tandis que certains ratages sont relativisés à l’aune des « intentions » de tel ou tel réalisateur.
La version de 10.000 façons de mourir que nous propose aujourd’hui Carlotta est en réalité la troisième : après une première mouture de son ouvrage en 2009, Alex Cox l’a en effet à nouveau révisée et augmentée en 2019, réhabilitant certains films avec lesquels il s’était montré trop sévère dans la première édition – il est vrai également que l’explosion du format Blu-ray à travers le monde il y a une dizaine d’années a permis la redécouverte de certaines œuvres et de certains cinéastes, qui s’avéraient jusque là malmenées par des éditions DVD mal torchées.
L’approche chronologique choisie par Alex Cox au cœur de 10.000 façons de mourir lui permet par ailleurs de mettre en évidence les influences qu’auront pu exercer certains films sur d’autres, tout en dessinant les contours d’un modèle économique qui devient de plus en plus évident au fil des années (et donc des pages). Pour autant, impossible de s’ennuyer à la lecture de cette « histoire » revisitée du western spaghetti, tant l’auteur / réalisateur n’hésite jamais à exprimer son opinion tranchée et parfois très amusante dans sa façon de « flinguer » tel ou tel film. On sent l’enthousiasme, la passion même, qui l’habite, qu’il s’agisse d’encenser ou de descendre le film qu’il aborde, et c’est probablement là d’une des plus grandes qualités du livre.
En tant que fan de western spaghetti, et que l’on soit d’accord avec lui ou pas, il est toujours extrêmement agréable de lire un avis passionné et argumenté sur un film – l’Art est fait pour être discuté, cela lui permet de « vivre » et de traverser les années. Alex Cox a choisi d’aborder un peu plus de 50 films dans son ouvrage. Inévitablement, selon les lecteurs, il y aura une poignée de films qui auraient dû être inclus dans sa sélection, et d’autres qui ne méritaient pas forcément d’y être. Mais 10.000 façons de mourir n’a pas la prétention d’être une encyclopédie. Il s’agit d’une sélection « personnelle », d’autant plus dans un sens qu’Alex Cox a probablement connu, au fil de sa carrière chaotique au cinéma, les émotions contrariées et les frustrations qu’il attribue parfois aux cinéastes italiens dont il aborde ici le travail et la carrière.