Critique : L’inconnu du lac

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L’inconnu du lac

inconnu afficheFrance : 2013
Titre original : L’inconnu du lac
Réalisateur : Alain Guiraudie
Scénario : Alain Guiraudie
Acteurs : Pierre Deladonchamps, Christophe Paou, Patrick d’Assumçao
Distribution : Les films du Losange
Durée : 1 h 37
Genre : Drame
Date de sortie : 12 juin 2013

2/5

Comment va-t-on réagir lorsqu’un réalisateur dont on a aimé les films précédents pour leur humour, leur légèreté et leur côté foutraque décide de se prendre au sérieux et de s’attaquer frontalement au sujet qui lui a toujours tenu à cœur, l’homosexualité, en le faisant de façon quasiment documentaire, en abandonnant sa pratique précédente qui consistait à créer et à présenter un monde fantaisiste, proche de ses propres désirs ?

L’été. Un lieu de drague pour hommes, caché au bord d’un lac. Franck tombe amoureux de Michel. Un homme beau, puissant et mortellement dangereux. Franck le sait, mais il veut vivre cette passion.

inconnu 10 En route vers un certain classicisme

A près de 50 ans, l’aveyronnais Alain Guiraudie est un vieil habitué des sélections parallèles du Festival de Cannes, trois de ses films précédents ayant été présentés à la Quinzaine des Réalisateurs. Cette année, c’est Un Certain Regard qui accueillait L’inconnu du lac et le bruit court qu’il suffisait de pas grand chose pour qu’on le retrouve en compétition dans la Sélection Officielle. Pour GuiraudieL’inconnu du Lac représente la fin des utopies, l’arrivée dans le monde adulte : « Il était peut-être temps pour moi d’en venir aux choses sérieuses. De représenter les choses de l’amour … Pas l’amour pour rigoler, l’amour-amitié comme je l’ai souvent fait … Mais l’amour-passion. Dans L’inconnu du Lac, je voulais me coltiner vraiment à ce que c’est d’avoir quelqu’un dans la peau : jusqu’où ça peut aller ? ». Produit par Sylvie Pialat, l’épouse de Maurice Pialat, tourné en septembre 2012 sur les bords du lac de Sainte-Croix, dans le Var, L’inconnu du Lac a connu le mal récurrent des financements difficiles, les films précédents de Guiraudie n’ayant pas atteint, malgré leurs qualités, les sommets du Box Office.

inconnu 12Franck, Michel et Henry

Fin d’été au bord d’un lac. Très souvent, fin de journée. Une plage au bord de ce lac est un lieu de drague pour les homosexuels de la région. La nudité est de rigueur, on bronze, on se baigne, on se choisit pour aller vivre des moments d’extase sexuelle dans les sous-bois des alentours. Très vite, le spectateur fait connaissance avec 3 personnages : Franck, un beau jeune homme habitué des lieux, Henri, plus vieux, bedonnant, hétérosexuel quitté par sa femme et Michel, l’allure d’un surfeur californien, excellent nageur. Notons qu’Henri reste habillé et qu’il ne pose jamais sa serviette sur la plage de la drague tout en étant très proche. Franck vient régulièrement converser avec Henri, ils parlent de l’amour, qu’il soit homo ou hétérosexuel, de l’amitié, du fait qu’on peut dormir ensemble sans forcément coucher. En fait, le spectateur ne pourra jamais avoir de certitude sur le passé et sur les préférences sexuelles d’Henri : allait-il vraiment au Cap d’Agde avec son épouse afin d’assouvir ses pulsions sexuelles ? Est-il devenu blasé quant aux choses du sexe ? Est-il ou n’est-il pas un homosexuel refoulé ? Concernant Franck et Michel, les choses sont beaucoup plus claires : dès sa première rencontre avec MichelFranck est devenu dingue de lui ; quant à Michel, c’est un prédateur, un consommateur de sexe qui jette le produit après usage, qui va même jusqu’à noyer un amant de passage. Cela, Franck l’a bien vu, mais la passion dévorante qui l’habite l’empêche de collaborer avec la police.

inconnu 11La perte d’un certain charme

Dans sa recherche d’une certaine respectabilité cinématographique, on peut penser que Guiraudie a réussi son coup puisque son film s’est vu décerner le Prix de la mise en scène de la sélection Un Certain Regard. Une quasi certitude : L’inconnu du Lac fera davantage d’entrées que ses films précédents. Malheureusement, on peut aussi prétendre qu’en oubliant presque toujours son humour et sa légèreté, Guiraudie a perdu les piliers de son cinéma et que, finalement, il navigue à vue entre simili-thriller sans grand intérêt et peinture naturaliste et crue d’une frange de la communauté homosexuelle. Ce faisant, il noie le poisson (peut-être le silure géant qui, parait-il, habite le fond du lac) et n’arrive qu’à traiter de façon très maladroite la critique de la sexualité ultra-libérale qui, d’après lui, a pris le pas sur la sexualité libertaire de la fin des années 60. Finalement, les scènes les plus intéressantes ne sont autres que celles où Franck et Henri papotent de choses et d’autres au bord de l’eau. On peut louer aussi la qualité de la photo de Claire Mathon, ainsi que la présence physique très naturelle des comédiens, Pierre Deladonchamps (Franck), Christophe Paou (Michel) et Patrick d’Assumçao (Henri).

Résumé

Vous l’aurez compris : à la question posée dans l’introduction, la réponse va être « pas très bien ! ». Manifestement, Alain Guiraudie, dont le cinéma non formaté avait le charme d’une certaine naïveté, semble avoir du mal à s’installer dans une forme narrative plus classique. Son film précédent, Le roi de l’évasion, qui avait déjà fait la moitié du parcours dans cette direction, était beaucoup plus réussi.

1 COMMENTAIRE

  1. Un des meilleurs films que j’aie vus cette année. La façon qu’a le film de monter en tension sans jamais abandonner son dispositif de répétition, de mélanger réalisme et onirisme, et surtout de produire ses effets avec des moyens d’une simplicité et d’une pureté totales… Tout m’a plu. Je ne m’étais pas senti aussi impliqué par la mise en scène et les affects d’un personnage depuis Melancholia.
    Par contre, je ne connais pas les autres films du réalisateur.

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