Berlinale 2018 : L’Île aux chiens

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L’Île aux chiens

Etats-Unis, 2018
Titre original : Isle of Dogs
Réalisateur : Wes Anderson
Scénario : Wes Anderson, d’après une histoire de Wes Anderson, Roman Coppola, Kunichi Nomura & Jason Schwartzman
Voix : Bryan Cranston, Koyu Rankin, Edward Norton, Liev Schreiber
Distribution : 20th Century Fox France
Durée : 1h41
Genre : Animation
Date de sortie : 11 avril 2018

Note : 3,5/5

Wes Anderson goes to Japan … et reste pourtant intimement fidèle à lui-même ! Dans son deuxième film d’animation après Fantastic Mr. Fox, présenté en ouverture et en compétition du 68ème Festival de Berlin, il adopte une fois de plus ce ton joliment irrévérencieux, conscient de lui-même et néanmoins pas imbu de sa personne, qui a jusqu’à présent fait le succès de sa filmographie assez homogène. L’Île aux chiens, on pourrait aisément l’interpréter comme une parabole sur notre temps, avec ses fléaux de populations entières déplacées pour des raisons initialement politiques et la classe dirigeante qui cède depuis toujours à la facilité populiste, plutôt que de chercher des solutions plus sophistiquées aux problèmes de son époque. Ou bien, pourquoi ne pas voir ce film tout simplement comme une grande aventure, riche en péripéties et en épreuves à surmonter ensemble, qui fait preuve d’un humour caustique particulièrement divertissant sur fond d’une animation foisonnante, mais pas non plus esthétiquement surchargée ? A moins que le plus grand accomplissement du réalisateur ne soit précisément qu’il n’impose ni l’un, ni l’autre mode de lecture, ce qui le rapproche en quelque sorte de ce que Pixar faisait de mieux à ses débuts, à savoir des spectacles de haut vol qui en disaient long sur l’état d’esprit contemporain, tout en cultivant un point de vue universel. Anderson y parvient ici avec une certaine virtuosité, mais surtout en développant, voire en sublimant, sa touche personnelle, désormais inimitable.

Synopsis : Dans un avenir proche, la métropole japonaise de Megasaki croule sous différentes maladies canines, qui risquent de mettre sérieusement en danger la santé publique. Tandis que les esprits les plus éclairés cherchent un remède à l’épidémie, le maire Kobayashi, en route vers un nouveau mandat, préconise d’exiler tous les chiens vers une île à proximité, où s’entassent depuis des années les déchets de la ville. Pour donner l’exemple, il procède à la déportation du chien Spots, qui sert de garde du corps à son filleul Atari. Alors que les chiens abandonnés mènent une existence misérable dans cet environnement toxique, hors de la vue et de la pensée des hommes, le jeune Atari réussit néanmoins à s’y rendre dans un petit avion, afin de retrouver son grand ami Spots. La quête s’avère beaucoup plus complexe qu’anticipé, aussi parce que ses premiers interlocuteurs sont les clébards de la bande de Chief, un chien errant qui n’éprouve aucune sympathie pour la race humaine.

Toxic is beautiful

Un joli lien de continuité ou de filiation se tisse entre The Grand Budapest Hotel et ce film-ci, des œuvres certes formellement très différentes l’une de l’autre, mais qui partagent une structure narrative et plus globalement un style d’écriture qui les identifient d’emblée comme des films de Wes Anderson. Ce dernier compte parmi les (très) grands narrateurs du cinéma hollywoodien actuel, grâce à sa capacité de multiplier les personnages au sein d’une intrigue rarement linéaire, sans jamais perdre le fil dans ce dédale de scènes pittoresques. Il s’amuse visiblement en jouant avec les dispositifs, en interpellant à intervalles réguliers le spectateur, mais en affinant en même temps un discours, qui aime plus que tout la mise à distance par le biais d’une mise en abîme bluffante. Rien que l’incursion dans un monde japonais plus dépaysant qu’exotique à proprement parler, il la conjugue à travers une multiplication de références culturelles. Le point de vue y est sans l’ombre d’un doute celui d’un Américain. Contrairement à d’autres incursions occidentales dans la civilisation nippone, dont l’exemple à ne pas suivre restera bien entendu le deuxième long-métrage de Sofia Coppola, le regard y est amplement nuancé, dépourvu d’un jugement sommaire sur les caractéristiques menaçants de l’étranger au sens large du terme. Il est même capable de se moquer en douceur de ce faux idéalisme typiquement américain, qui consiste à dénoncer la faute chez l’autre, sans commencer en premier lieu à faire le ménage moral et social chez soi.

毒性が美しい

La mise en garde contre la dérive totalitaire sous toutes ses formes n’a pourtant rien du brûlot militant ici. Il y perdure au contraire une certaine innocence de l’espoir, véhiculée autant par le petit pilote qui est parti sauver son meilleur ami d’enfance que par ses compagnons de route, quatre chiens qui disent oui à tout, sans que l’on ne sache réellement si cette docilité relève de leur éducation basée sur l’obéissance en toute circonstance ou s’ils sont trop bêtes pour penser par et pour eux-mêmes. Et une fois que le mal sera vaincu, ce sera moins une répartition plus équitable des responsabilités qui prendra la relève, qu’une répétition des mêmes schémas de communication, cette fois-ci rendus plus inquiétants encore par le manque d’expérience d’un gamin de douze ans, propulsé malgré lui à la tête d’une ville qui doit avoir des problèmes sensiblement plus graves que le bien-être des chiens. Non, ce n’est nullement un avenir rassurant et prospère que nous promet ce récit sur l’absurdité de la condition humaine. Wes Anderson y excelle dans le démontage en règle des stéréotypes et autres apparences trompeuses, à l’image de ce meneur de groupe qui joue les durs, mais qui perd ses moyens lorsqu’il s’agit de séduire une belle caniche finalement plus coriace que lui, ou de cet oracle qui tire ses prémonitions des émissions de télé. De même, l’aspect visuel de l’animation établit sa splendeur à partir de ce mélange prodigieux entre la crasse guère embellie des décharges et une sélection de points de vue divers, qui reflète autant la perte de repères et de certitudes dans le monde d’aujourd’hui qu’elle en tire une conclusion gentiment ironique.

Conclusion

Si tous les films retenus pour la compétition de ce Festival de Berlin faisaient preuve de la même richesse dans la forme et le fond que L’Île aux chiens, on pourrait s’attendre à une semaine ininterrompue de coups de cœur ! Nos quelques séjours en festivals nous ont hélas appris qu’il vaut mieux profiter des belles surprises tant qu’elles durent, puisque le prochain navet n’est jamais très loin. Wes Anderson ne risque certes plus trop de nous surprendre par un quelconque revirement radical de son monde cinématographique. Mais comme ce fut le cas avec les frères Coen il y a deux ans, nous tenons là un film d’ouverture des plus respectables, pétillant, brillant et amusant, qui sait en dire pourtant long sur la paranoïa en sourdine qui accable notre époque, si l’on fait le petit effort de lire entre les lignes.

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