Critique : Libre

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Libre

France : 2018
Titre original : –
Réalisation : Michel Toesca
Scénario : –
Interprètes : Cédric Herrou
Distribution : Jour2fête
Durée : 1h40
Genre : documentaire
Date de sortie : 26 septembre 2018

4/5

Il serait étonnant que vous n’ayez jamais entendu parler de Cédric Herrou, ce jeune agriculteur de la vallée de la Roya qui, pour certains, a mis en danger notre pays en prenant la décision d’aider des personnes en grande difficulté : des migrants. Michel Toesca, un voisin, ami et cinéaste l’a suivi caméra à la main : Libre est le fruit de son travail. Avant même sa sortie, ce film a fait parler de lui : de grandes difficultés, dans certaines régions tout particulièrement, pour trouver des salles acceptant de le projeter en avant-première ; agression de Cédric Herrou et du directeur du cinéma par des membres du GUD et du rassemblement national, à Valence, avant le début de la projection du documentaire.

Synopsis : La Roya, vallée du sud de la France frontalière avec l’Italie. Cédric Herrou, agriculteur, y cultive ses oliviers. Le jour où il croise la route des réfugiés, il décide, avec d’autres habitants de la vallée, de les accueillir. De leur offrir un refuge et de les aider à déposer leur demande d’asile.
Mais en agissant ainsi, il est considéré hors la loi… Michel Toesca, ami de longue date de Cédric et habitant aussi de la Roya, l’a suivi durant trois ans. Témoin concerné et sensibilisé, caméra en main, il a participé et filmé au jour le jour cette résistance citoyenne. Ce film est l’histoire du combat de Cédric et de tant d’autres.

 

Une situation d’urgence

La vallée de la Roya est un espace géographique un peu particulier du territoire français, un espace des Alpes-Maritimes pratiquement enclavé en territoire italien. Au nord, le col de Tende et son tunnel routier qui donne accès à l’Italie. Au sud, de nouveau l’Italie avec la ville de Vintimille. Certes, il est possible, en voiture, de rejoindre Nice, la préfecture du département, en ne quittant pas le territoire français, en passant par le col de Brouis, Sospel et le col de Braus, mais le trajet le plus rapide consiste à passer par l’Italie et à rejoindre l’autoroute qui va de Gênes à Menton. Lorsque, en 2015, des migrants arrivant du sud de l’Italie et souhaitant rejoindre Paris ou l’Angleterre se sont vus refouler à la frontière française au niveau de Menton, l’idée de rejoindre le territoire français en remontant la vallée de la Roya vers le nord depuis Vintimille est apparu comme une solution. Sauf, qu’en fait, cette solution ne débouchait que sur une sorte de souricière, le seul débouché possible étant … l’Italie, de l’autre côté du col de Tende.

Devant la détresse de ces migrants, de ces familles, de ces hommes, de ces femmes, de ces enfants affamés et épuisés, un certain nombre d’habitants de la Roya ont senti l’urgence de la situation et ont proposé de l’aide à tous ces gens, de façon spontanée, sans vraiment savoir ce qui était légal et ce qui ne l’était pas. Parmi eux, Cédric Herrou, un jeune agriculteur, spécialisé dans la culture de l’olivier et l’élevage des poules. Un homme pas particulièrement politisé au départ mais pour qui la fraternité et la solidarité sont des valeurs incontournables. Cédric étant le seul habitant de la vallée de la Roya à avoir été sur la brèche en permanence de 2015 à 2018, ayant également été le plus médiatisé, c’est sur son action que se focalise le film sans que soit oublié le passé avec l’immigration italienne des années 20 et les actions d’autres personnes de la vallée, telle Isabelle, cette infirmière qui soigne bénévolement des migrants mais se garde bien d’en parler à sa clientèle habituelle.

 

Un combat juridique

S’il n’oublie pas de donner la parole à un certain nombre de migrants, Libre est avant tout un film sur l’accueil qui leur est fait de la part d’un certain nombre de personnes et sur le combat juridique entre ces personnes, réunies au sein du … CRS (Colletif Roya Solidarité) et soutenues par des associations comme Médecins du Monde et Emmaüs, et l’état français. Un état qui dit ce qu’il ne faut pas faire mais ne dit pas ce qu’il faut faire, un état qui fait en sorte que les demandeurs d’asile ne puissent pas demander l’asile, un état qui se conduit de manière illégale en reconduisant à la frontière italienne des mineurs alors que, d’après la loi, ils devraient être conduits dans des structures d’accueil, un état qui, par la personne du préfet des Alpes Maritimes, ne cesse de changer d’avis quant à l’autorisation ou l’interdiction données aux demandeurs d’asile potentiels de se rendre à Nice,  un état qui n’hésite pas à conduire vers les tribunaux ceux qui cherchent, modestement, à réparer ses fautes, un état qui n’hésite pas à se servir de la lutte antiterroriste pour arriver à ses fins : repousser les migrants vers l’Italie. Aujourd’hui, le problème que connaissait la vallée de la Roya s’est déplacé vers le nord, au niveau de Briançon, suite au durcissement des contrôles dans les Alpes-Maritimes, mais le combat de la vallée de la Roya et de Cédric Herrou a fait avancer la législation en faisant consacrer, par le Conseil Constitutionnel, la valeur constitutionnelle du principe de solidarité. Jamais plus la solidarité ne pourra être un délit !

Des moyens rudimentaires, un résultat passionnant

L’accueil des migrants dans la vallée de la Roya était bien sûr très chaleureux mais les infrastructures proposées par les « recevants » pour les loger étaient forcément sommaires. Dans ces conditions, il n’aurait pas été de bon goût d’utiliser un matériel hyper perfectionné et cher pour procéder au filmage. En fait,  c’est avec des moyens presque rudimentaires que Michel Toesca a tourné des heures et des heures d’images : une vieille caméra DV Cam, matériel en phase d’obsolescence mais présentant l’avantage d’être léger et permettant ainsi au caméraman, Michel en personne, d’être à la fois filmeur et acteur. Face à l’avalanche d’images (plus de 200 heures de rushes), le réalisateur s’est fait aider par Catherine Libert, une monteuse réputée, le résultat étant un film de 100 minutes très intenses, un film avec ses moments à la fois tragiques et comiques, un film dont le comportement des uns pousse à la révolte et le comportement des autres fait chaud au cœur. Quant à la musique, elle est l’œuvre de Magic Malik et elle colle parfaitement au sujet.

 

Conclusion

Michel Toesca a raison d’affirmer que Libre n’est pas un film militant, mais un film politique, un acte de résistance. Son film montre la réponse qu’on peut, qu’on doit apporter à une question importante : que doit faire le citoyen face à la violence d’un état qui ne respecte pas sa propre légalité ?

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