La Roche-sur-Yon 2018 : Les Trois soeurs

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Les Trois sœurs

France, 2015
Titre original : –
Réalisateur : Valeria Bruni Tedeschi
Scénario : Valeria Bruni Tedeschi, Noémie Lvovsky & Caroline Deruas, d’après la pièce de Anton Tchekhov
Acteurs : Eric Ruf, Bruno Raffaelli, Florence Viala, Coraly Zahonero
Distribution : –
Durée : 1h50
Genre : Comédie dramatique
Date de sortie : –

Note : 3/5

Les apparences sont trompeuses chez Valeria Bruni Tedeschi, une actrice abonnée aux personnages de femmes névrosées, dont la filmographie en tant que réalisatrice dévoile pourtant un regard plus nuancé sur les joies et les peines de la bourgeoisie. Citons comme preuve cette adaptation libre de la pièce de Tchekhov, produite pour être diffusée sur arte et programmée dans le cadre du focus sur Bruni Tedeschi au Festival de La Roche-sur-Yon. Les Trois sœurs constitue un cocktail doucement enivrant entre l’inertie et la frivolité au sein d’un microcosme russe au tournant du siècle dernier. Rien de vraiment majeur ne s’y passe à première vue, puisque les trois personnages principaux sont au mieux marqués par le passage du temps, tout comme leurs prétendants, des officiers plus ou moins âgés et plus ou moins déterminés à transformer leurs rencontres fortuites en des relations plus stables. Car à la campagne russe, quoique l’on fasse, les choses ont tendance à prendre leur mal provincial en patience et évoluent à leur rythme, éventuellement. Sans jamais trahir cet immobilisme des mœurs et des cœurs, la mise en scène parvient à lui arracher une certaine légèreté, grâce au ton joliment blasé, qui nous paraît malgré tout être la marque de fabrique de la réalisatrice.

Synopsis : A la fin du XIXe siècle, un an jour pour jour après la mort de leur père, trois sœurs s’apprêtent à célébrer l’anniversaire de la plus jeune d’entre elles dans leur demeure à la campagne russe. Leurs invités sont principalement des officiers de l’armée, ravis de pouvoir goûter au calme et à l’oisiveté de province, tandis que la professeur Olga et ses deux sœurs ne rêvent que de rentrer à Moscou. L’arrivée de Alexandre, un ami ancien de la famille, ne fait que raviver cette nostalgie citadine.

Smalltown Blues

L’un des aspects cruciaux dans le dépoussiérage de la pièce de Anton Tchekhov entrepris par Valeria Bruni Tedeschi réside dans ses choix musicaux pour le moins éclectiques. Faire appel à Lou Reed pour évoquer l’agonie existentielle de ces femmes, d’autant plus empressées de rejoindre la cité lointaine que les hommes dans leur entourage sont largement réfractaires à pareil élan nomade, compte ainsi parmi les idées probantes de la réalisation. Comme le dit si bien le chanteur le plus désabusé du monde anglophone dans « Smalltown », le seul avantage de grandir dans une petite ville est d’y puiser la volonté de la quitter à tout prix. Sauf que les conditions ne paraissent à aucun moment réunies ici, notamment faute d’égalité sociale entre les hommes et les femmes, pour fêter sereinement un réel départ vers des projets constructifs, au lieu de toutes sortes d’occasions familiales ou culturelles. A ce sujet, le fait de ponctuer le récit de ces retrouvailles festives – simultanément et cruellement l’expression du lien social et de l’incapacité de ce dernier à valoriser l’individu – permet au film de s’affranchir de la sécheresse potentielle, propre aux adaptations théâtrales trop consciencieuses, qui le guetterait sinon.

La surdité de l’amour

Ce qui ne signifie point que la réalisatrice et sa fidèle co-scénariste Noémie Lvovsky négligent la verve de la plume qu’elles adaptent. Tout le dilemme philosophique à la Tchekhov reste intact dans Les Trois sœurs, ne serait-ce que grâce à sa sensibilité aiguë à l’égard de l’état d’esprit d’une époque révolue, sur fond de considérations qui préservent souverainement leur valeur universelle. Les divagations romantiques du personnage interprété brillamment par Michel Vuillermoz, ce séducteur aussi vieillissant que ridicule qui tombe paradoxalement sous le charme de la sœur la plus extravagante, prêtent certes à sourire. Mais elles sont en même temps l’indicateur indubitable de l’impossibilité d’exprimer par des mots l’exaltation et la frustration provoquées par l’amour. Aucun des couples qui se composent et se défont au fil du temps ne correspond ainsi véritablement à l’idéal amoureux classique. Qu’à cela ne tienne, Valeria Bruni Tedeschi réserve un regard plein de tendresse à ces femmes guère soumises et à leur pendant masculin, d’ores et déjà dépassé par la simple nécessité de travailler et encore plus par celle, vague et fugace, d’aimer.

Conclusion

Le Festival de La Roche-sur-Yon n’a même pas encore été officiellement ouvert, que nous y avons déjà découvert une première bonne surprise, assez rare de surcroît ! Plutôt que d’être classé hâtivement sous l’étiquette au prestige discutable d’une production pour la télévision, Les Trois sœurs aurait eu de quoi sortir au cinéma, comme cela peut arriver parfois pour des films diffusés d’abord sur arte, puis peu de temps après distribués en salles. Sa poésie plastique, lumineuse et belle, et sa liberté de ton en font en tout cas une porte d’accès des plus ludiques à l’univers pas toujours très joyeux des pièces de Tchekhov.

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