Les membres du Syndicat de la Critique de cinéma et de télévision ont voté en majorité cette année pour deux films présentés en compétition au Festival de Cannes et qui furent hélas ignorés dans le palmarès du jury de George Miller malgré leur excellente réception, largement méritée.
Elle de Paul Verhoeven et Aquarius de Kleber Mendonça Filho sont deux longs-métrages produits par Saïd Ben Saïd, bien présent au début de la cérémonie mais qui dans l’heure et demi qui a suivi (c’était en effet une soirée un peu longue) s’est tout simplement envolé alors qu’il SAVAIT que ses productions allaient recevoir les titres du meilleur film français et du film étranger ! Dommage… Peut-être s’est-il empressé de rejoindre les cérémonies des Lumières ou des Globes de Cristal (une aberration ce dernier truc) où Elle était également en lice ?
Restent deux œuvres très différentes avec à leur tête deux femmes fortes – et radicalement différentes – qui luttent, chacune à leur manière, contre la violence des hommes et pour imposer leur liberté, de corps et d’esprit, dans des sociétés qui leur donnent des leçons sur la bonne manière de vivre leur vie de femme indépendante. Fières d’être ce qu’elles sont, consciente de leurs failles, elles se battent et affirment leur force de caractère sans pour autant perdre une once d’humanité ou prétendre à la perfection. L’on retrouve cette générosité, cette honnêteté dans la façon de dépeindre des personnages féminins chez les auteurs d’autres magnifiques longs-métrages de l’année 2016, ne citons que Charlotte Rampling chez Andrew Haigh (45 ans) ou Valérie Dréville chez Pascale Breton (Suite Armoricaine).
«Elle» chez Verhoeven (Isabelle Huppert, magistrale) et Clara (Sonia Braga, magique et sensuelle) chez Filho sont ancrées dans leur lieu de vie, leur cocon heurté par l’extérieur, par une menace terriblement masculine. Elles résistent malgré les pressions des «ennemis» mais aussi celles des proches, des amis, des enfants. Elles apparaissent glaciales alors qu’elles sont portées par des certitudes pour survivre et refusent de se voir comme des victimes. Elles ne flanchent pas mais leur combat n’est jamais facile. En résumé, elles ont quelque chose d’exemplaire sans pour autant être dépeintes comme des modèles parfaits ou sans défaut. Elles font ce qu’elles peuvent, mais expriment un courage qui a séduit de nombreux spectateurs. Ce courage est magnifié par des visions complexes d’auteurs et/ou de réalisateurs avec une acuité de regard qui évite les lieux communs mais peut déranger, Elle en particulier soulevant de nombreuses questions forcément troublantes.
Ces deux très grands films ont marqué l’année 2016 et sont d’ailleurs nommés aux César, Elle dans onze catégories, Aquarius dans celle du film étranger, une belle surprise, la catégorie du film étranger occasionnant souvent quelques bonnes surprises de ce type. On y croit… Go, Sonia Braga, go !
D’autres films cannois ont été honorés : le film noir roumain Dogs et le film d’animation La Tortue Rouge de Michael Dudok de Wit (Un Certain Regard) ainsi que La Forêt de Quinconces de Grégoire Leprince-Ringuet (sélection officielle, séance spéciale), trois films originaux et très différents, marqués chacun par une vision très personnelle de leur art. L’on espère que le film noir Diamant Noir séduise autant l’Académie des César que celle du jury des premiers films du Syndicat qui, en plus de saluer la qualité de l’oeuvre sombre d’Arthur Harari, a mis en lumière un intérêt pour les premiers longs-métrages d’animation de cette année (Ma vie de Courgette, Tout en haut du monde, La Jeune Fille sans mains...) ainsi que Mercenaire de Sacha Wolff (Quinzaine des Réalisateurs 2016). Dans son discours, Arthur Harari a salué le travail de la critique, même lorsqu’elle est négative : «S’il n’y avait pas des gens pour nous taper dessus, on pouurait avoir l’impression d’être ce que l’on n’est pas».
Malgré la tentation de classer cette série hors-compétition, le jury TV a néanmoins primé pour la deuxième année consécutive Le Bureau des Légendes dont la deuxième saison est en effet considérée par beaucoup comme étant la meilleure série française du moment et bien supérieure à la première déjà admirée. Son créateur Éric Rochant précise avoir reçu les plus beaux compliments des critiques depuis Un Monde sans pitié qui le révéla au début des années 90. Signalons encore que les éditeurs de DVD/bluray (Wild Side) et de livres de cinéma (Capricci) sont chacun récompensés à deux reprises et la présence de Frederick Wiseman sur scène pour recevoir son trophée. Le lauréat du prix du court français a été salué avec enthousiasme par Yves Alion de L’Avant-Scène Cinéma.
Isabelle Danel, présidente du Syndicat, a une nouvelle fois souligné la précarité du métier de journaliste en général, de critique de cinéma (et de télévision) en particulier et regretté que le barème des piges ne soit pas aligné sur celui d’une certaine Pénélope pour son «travail» à la Revue des Deux Mondes. Une présidente dont les discours, marqués par un esprit mêlant humour, constats pour le moins sérieux de la profession ou du monde dans lequel nous vivons ainsi qu’une sensibilité évidente (l’an dernier, l’hommage à Jean-Jacques Bernard par exemple) sont toujours plaisants à entendre et jamais creux.
Le prix du meilleur film français remis par la critique est attribué depuis 1946, celui du film étranger depuis 1967. Nouveauté cette année, le CNC attribue une somme de 3000 euros aux auteurs du meilleur livre français.
À l’exception des catégories du meilleur film français et du meilleur film étranger, remis par l’ensemble des adhérents du Syndicat de la Critique, les prix sont décidés par des jurys de cinq journalistes, l’un pour les premiers films (français et étrangers), un autre pour les courts-métrages, un troisième pour le Prix Singulier, un quatrième pour la télévision, un cinquième pour les documentaires et un dernier pour les livres.
Palmarès des prix 2017
Cinéma
Meilleur film français : Elle de Paul Verhoeven
Meilleur film étranger : Aquarius de Kleber Mendonça Filho (Brésil)
Meilleur premier film français : Diamant Noir de Arthur Harari
Meilleur premier film étranger : Dogs de Bogdan Mirică (Roumanie)
Film Singulier francophone : La Forêt de Quinconces de Grégoire Leprince-Ringuet
Meilleur court-métrage français : L’Âge des sirènes de Héloïse Pelloquet
Télévision
Meilleure fiction française : Le Passe-Muraille de Dante Desarthe (Arte)
Meilleure série française : Le Bureau des Légendes, saison 2 de Éric Rochant (Canal+)
Meilleur documentaire français : Nous, Ouvriers de Claire Feinstein et Gilles Perez (France 3)
DVD – Blu-Ray
Meilleur DVD/Blu-ray récent : La Tortue Rouge de Michael Dudok de Wit (Wild Side)
Meilleur coffret DVD/Blu-ray : Frederick Wiseman, volume 3 (Blaq Out)
Meilleur DVD/Blu-ray Patrimoine : Le Grand Chantage de Alexander Mackendrick (Wild Side)
Prix Curiosité : La Vie est à nous, Le Temps des cerises et autres films du front populaire (Ciné-Archives)
Prix Litteraires
Meilleur livre français sur le cinéma : Alain Resnais, les coulisses de la création de François Thomas (Éditions Armand Colin) ex-aequo avec Prodiges d’Arnold Schwarzenegger de Jérôme Momcilovic (Éditions Capricci)
Meilleur livre étranger sur le cinéma : Faire un film de Sidney Lumet (Éditions Capricci)
Meilleur album sur le cinéma : Sport & Cinéma de Julien Camy et Gérard Camy (Éditions du Bailli de Suffren)