Critique : Les Petites Fugues

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aff_ petites fuguesLes Petites Fugues

Suisse, 1979
Titre original : –
Réalisateur : Yves Yersin
Scénario : Claude Muret, Yves Yersin
Acteurs : Michel Robin, Fabienne Barraud, Fred Personne
Distribution : Splendor Films
Durée : 2h25
Genre : Comédie dramatique
Date de sortie : 10 décembre 2014 (reprise)

Note : 4,5/5

Réédition le mercredi 10 décembre d’un film rare avec Michel Robin en garçon de ferme en quête de liberté sur son vélomoteur. Une ode délicate au bonheur avec un acteur bouleversant.

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Synopsis : Pipe, garçon de ferme depuis plus de trente ans, est symbole de fidélité et de travail bien fait, décide de s’acheter un vélomoteur avec sa rente vieillesse. Cet achat, totalement incompréhensible pour les propriétaires de la ferme, aura pour conséquence de changer brusquement le cours de la vie de Pipe qui commence à négliger son travail à la ferme. Au cours de l’une de ses randonnées, il fait la connaissance d’un groupe de jeunes motards qu’il suivra dans un spectacle de motocross.

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Easy Rider… à vélomoteur

Les petites fugues du titre sont celles de Monsieur Pipe, un employé de ferme qui travaille depuis trente ans pour la même famille. Il a sa chambre mais aucune réelle intimité, mange avec la famille mais ne possède rien à lui. Lorsqu’il se paye un vélomoteur, un Batavus Go-Go, c’est un peu de liberté qu’il cherche. Un héritier des hippies de Easy Rider en somme. Son premier contact avec l’objet sont comme des préliminaires sensuels : il en hume le parfum, en épouse les contours avec ses mains, tâte la selle avec attention.

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D’ailleurs, dans un premier temps, le vélomoteur reste confiné à sa chambre : il ne sait pas monter dessus, comme un triste symbole de son absence d’intimité sexuelle. C’est Luigi, un jeune saisonnier italien qui travaille à la ferme qui va tenter de lui apprendre à s’en servir. Il lui donne même des cours d’anatomie de son bicycle, une leçon de choses mécaniques en quelque sorte. En quelques heures d’apprentissage sur le tas, il commence à dominer son outil et se sent soudain moins seul, s’envole, loin de la pesanteur qui pèse sur lui. Son quotidien et le regard porté sur lui changent alors. Le semblant de bonheur du vieux garçon que personne ne regardait vraiment crée soudain des tensions et force la famille de la ferme à confronter leur propre désarroi.

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Le patriarche de la maisonnée lui fait remarquer sèchement : ça fait trente ans que tu travailles sans problèmes, on peut compter sur toi, et trois fois en deux semaines, on ne sait plus où tu es. Sa première fugue sur son vélo : il suit un biplan qui s’en va au loin, et laisse perler quelques larmes quand il ne peut plus le suivre. Sa dernière : un moto-cross auquel il assiste et où il va gagner un appareil photo qui deviendra sa nouvelle marotte et lui permettra de faire de très belles photos, dont une série sur fond de chants de pygmées de Bibayak.

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Michel Robin, émouvant et drôle

Michel Robin prête ses traits usés et bonhommes à Monsieur Pipe, avec une démarche claudiquante qui résume bien la difficulté pour lui à s’inscrire dans le monde. Il est bouleversant, émouvant et drôle, évitant à son Monsieur Pipe d’être un ermite glauque mais n’élude pas la réalité de sa triste vie. Le film est poétique, grâce à l’écriture et à la mise en scène de Yves Yersin qui colle au plus près de ce petit groupe et à la très belle image de Robert Alazraki. Mais ce n’est pourtant pas un one-man-show. Dans la distribution on reconnaît Fred Personne dans le rôle du père de famille bourru, usé par une vie de labeur et injuste, Roland Amstutz en conseiller en gestion et dans plusieurs figurations discrètes non créditées au générique (parmi les ouvrières, ou perdue dans la buvette où l’on voit Pipe ivre) la comédienne Christine Pascal, alors simple assistante, attendant de passer à la réalisation après des débuts remarqués chez Bertrand Tavernier dans Que la fête commence.

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La révolution du monde paysan

Le réalisateur suisse fait aussi le portrait d’une transition compliquée du monde paysan, en observant la difficulté grandissante à vivre dignement malgré les soucis financiers. Le père est fatigué, ne ménage pas ses employés, leur reproche les rares moments où ils ne travaillent pas et la mère a des problèmes de santé dû au stress et fait de terribles cauchemars. Alain, leur fils, cherche à moderniser le mode de gestion de l’entreprise familiale, menaçant de partir si son père n’accepte pas. Sa soeur, mère célibataire d’un petit garçon qu’elle délaisse ne rêve elle aussi que de fuir. Comme M.Pipe, elle se sent seule, contrainte à un métier pénible ( emballer des chocolats en usine, à la chaîne ). Elle se rapproche de Luigi et leur attirance est réciproque. Leur relation est joliment esquissée. Lors d’une journée buissonnière, incapable moralement de se rendre à son travail ingrat, elle se prélasse au soleil en maillot de bain et écoute sur un tourne-disques les succès du moment (la fin des années 70) : L’Avventura de Stone & Charden ; Le Lac Majeur de Mort Shuman ou Night in White Satin des The Moody Blue. C’est alors que Luigi s’approche, attrape un caillou et s’apprête à lui lancer, pour la taquiner et réalise soudain l’ampleur de son désarroi et se refusant à lui gâcher ce moment de paix jette le caillou et s’efface discrètement. Jolie scène, parmi de multiples exemples tout aussi délicats d’une relation naissante, qui donne un peu d’espoir à cette histoire pleine de noirceur. Quelques moments de répit illustrent que tout n’est pas perdu, mais que le bonheur ne sera pas facilement atteint.

Dore De Derosa et Fabienne Barraud
Dore De Derosa et Fabienne Barraud

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Résumé

Un très beau conte poétique mais aussi un témoignage social d’une campagne en crise, chacun de ses aspects n’écrasant pas l’autre. Une oeuvre rare, adorable et grave, avec une remarquable distribution dominée par le bonhomme Michel Robin dans l’un de ses plus beaux rôles avec celui qu’il tenait dans L’Invitation de Claude Goretta.

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