Les Médiateurs du Pacifique
France : 1996
Titre original : –
Réalisateur : Charles Belmont
Scénario : Charles Belmont
Intervenants : Michel Rocard, Christian Blanc,
Distribution : MKL Distribution
Durée : 1h55
Genre : Documentaire
Date de sortie : 21 mai 1997
Note : 5/5
Si L’Ordre et la Morale de Mathieu Kassovitz était la première fiction à parler de la prise d’otages puis du massacre dans la grotte d’Ouvea, il est bon de rappeler qu’un documentaire a des années plus tôt abordé ce sujet de façon frontale. La question de la décolonisation de la Nouvelle-Calédonie, la fin de la guerre civile qui avait bel et bien commencé (ce qui a parfois été minimisé) et la paix obtenue difficilement ont été analysés dans un documentaire qui est toujours une référence aujourd’hui dans la question de la médiation des conflits : Les Médiateurs du Pacifique de Charles Belmont, qui date déjà de près de quinze ans..
Synopsis : Huit ans après les Accords de Matignon, le réalisateur Charles Belmont réunissait cinq des sept membres de la mission envoyée en Nouvelle-Calédonie pour mettre fin aux affrontements qui frappaient alors ce vestige de la grande époque coloniale de la France.
Une mission de paix
Le documentaire revient dans une première partie sur ce qui a mené au massacre de la grotte d’Ouvea. Philippe Legorjus, le capitaine du GIGN à l’époque, interprété par Kassovitz dans son film, revient en détail sur ce qui a conduit à ce désastre humain. Comment les canaques ont été trahis à plusieurs reprises, comment les négociations ont souffert de l’élection présidentielle et de la bipolarité politique du pouvoir en pleine cohabitation, la gauche à la présidence et la droite au gouvernement. En un peu plus d’une vingtaine de minutes, le réalisateur nous fait comprendre les enjeux et pénétrer les arcanes des instances de décision de ce qui a mené à un massacre. La parole de Legorjus fait ressentir le gâchis humain et sa déception est patente.
Après cette introduction indispensable pour comprendre ce qui va suivre, on entre dans le coeur du sujet en rencontrant les membres de la mission. Chacun revient sur la raison de sa présence et se remémore ses actions. Voulue par Michel Rocard, qui en fait la priorité dès sa prise de fonction en 1988, cette action pour la paix est indépendante de la présidence et du reste du gouvernement et ne rend de comptes qu’à lui. L’enjeu est grave : empêcher la guerre civile en Nouvelle Calédonie, et l’affrontement qui ne peut qu’être sanglant entre les deux communautés voisines : les canaques et les Caldoches, les noirs et les blancs pour faire un résumé rapide mais qui a le mérite de la clarté. Violences et morts se multiplient et la question de mettre fin à cette crise se pose urgemment.
La démarche de ces médiateurs était simple, loin des pressions du gouvernement français. Pendant trois semaines, ils ont multiplié les rencontres et recueilli la parole de la population, afin de comprendre leurs aspirations et leurs conditions de vie. Les sept hommes qui sont réunis viennent d’horizons différents et complémentaires. Proche de Michel Rocard et préfet de Seine-et-Marne, Christian Blanc connaît bien le terrain et supervise l’action de ce groupe. Avec lui, trois représentants des grandes familles spirituelles de l’île : Monseigneur Paul Guiberteau, recteur de l’Institut Catholique ; Jacques Stewart, président de la Fédération Protestante de France et plus étonnant, un franc-maçon, Roger Leray, ancien Grand-Maître du Grand Orient de France ( déjà décédé au moment de ce tournage ), ainsi que trois représentants de l’état : Christian Kozar, Commissaire Délégué au Gouvernement des Iles Loyauté et porte-parole de la mission, Jean-Claude Perier représentant de la magistrature et enfin Pierre Steinmetz, qui représente l’opposition mais qui n’a pas témoigné sur ce retour vers un passé récent.
Leur sélection fait penser au recrutement à l’oeuvre dans des films tels que Les 7 Samouraïs avec cette idée que chacun a son rôle, sa fonction, aussi bien auprès de ceux qu’ils vont rencontrer sur l’île qu’en tant que témoins. Ainsi, si la construction de ce documentaire passionnant est pédagogique et didactique, elle est également cinématographique. Le rythme est enlevé, sans fioriture inutile. Chaque image compte, chaque prise de paroles également. Toujours sous le contrôle du réalisateur qui reconstitue parfois des séquences de transition qui n’ont pas été captées à l’époque. La qualité des images est proche, même s’il prend soin de les différencier discrètement, sans distraire de sa dramaturgie, mais sans cacher cette prise de liberté avec la réalité.
Devoir de mémoire
Il s’agit de faire comprendre ce qui s’est passé à l’époque avant, pendant et après cette mission pour la paix. Le rythme du film repose sur une mise en scène invisible mais complexe de Charles Belmont. Il a réuni les membres de la mission et leur a imposé son canevas, les a fait revenir sur les propos qu’il a retranscrit sous forme de scénario. Il a ainsi évité toute digression et leur a imposé une parole claire, dense et compréhensible de tous, sans pour autant leur faire apprendre leurs textes par coeur. Ils revivent ce qu’ils ont vécu, contraints à la vérité par le travail de préparation du cinéaste et les oreilles de leurs anciens complices qui ont vécu la même chose. Réunis dans une pièce le temps de quelques week-ends, ils se remémorent cette expérience historique. Dans le ton qu’ils emploient, dans leur émotion grandissante, on les ressent revivre ces instants qui les ont marqué. Ils ont été prudents et discrets, à l’écoute de chacun, faisant attention aux paroles prononcées et à chacun des gestes publics du groupe. Leur démarche souligne que les solutions ne pouvaient venir que des habitants de ce territoire. Ils se sont également recueillis auprès des victimes de la grotte d’Ouvéa et à la gendarmerie de Fayaoué où quatre officiers avaient trouvé la mort. Les séquences sont émouvantes, et cette démarche sincère a facilité les échanges.
Parmi les interlocuteurs du réalisateurs, les plus difficiles à convaincre ont probablement été les canaques eux-mêmes. Pour la réussite de ce film et participer au travail de deuil, leur implication était pourtant indispensable. Il a su les convaincre de l’honnêteté de sa démarche et ainsi la tribu de Gossanah a accepté de participer à ce tournage et ont rejoué les événements sur les lieux-mêmes où ils les avaient vécus, les actes de violence contre eux, les interrogatoires, la peur ressentie alors. Au coeur du conflit, ils ne sont pas oubliés comme cela a trop souvent été le cas. Deux d’entre eux échangent quelques mots à l’entrée de la grotte : Benoît Tangopi, l’un des preneurs d’otages et son père Joseph, leur premier échange de paroles depuis les événements près de dix ans plus tôt.
Beaucoup d’humour également, dans les rapports compliqués de Michel Rocard (euphémisme !) avec François Mitterrand, lorsque le Premier Ministre s’étonne d’avoir un ami commun avec le président de la République, le franc-maçon Roger Leray ( » le cas était rare ! » souligne-t-il avec malice) ou dans ses reconstitutions avec Jean-Paul Huchon. Christian Blanc, moteur principal de ce groupe ne quitte pas son cigare et sa détermination à imposer la paix en fait un interlocuteur redoutable. S’il fait du refus du préalable des uns à réclamer l’indépendance et des autres à la refuser, il est à l’écoute et attentif à la parole de chacun, ne cédant sur rien d’essentiel. Le montage inclut les témoignages des indépendantistes Jean-Marie Tjibaou et Yéweiné Yéweiné, assasinés quelques mois après ces négociations, considérés comme des traîtres à leur cause. Le long-métrage rappelle que leurs interventions sont plus complexes que ce raccourci terriblement injuste.
Le film devrait faire oeuvre de mémoire, pour éviter de nouveaux troubles et permettre que la prochaine étape vers le processus de décolonisation se passe dans de bonnes conditions. Il est étonnant que ce film soit désormais quasiment invisible. Il n’est pas édité en DVD et n’a pas fait l’objet de nouvelles projections lors de la sortie de L’Ordre et la Morale de Mathieu Kassovitz le 16 novembre 2011. Il ne fut même quasiment pas évoqué à cette occasion alors qu’il avait connu un réel succès à la télévision, en particulier en Nouvelle-Calédonie et avait même réussi à attirer près de 10 000 spectateurs en salles en 1997, ce qui était très rare pour un documentaire à cette période.
Résumé
Un travail pédagogique enregistré de façon brillante et accessible au grand public par le cinéaste Charles Belmont. Il est temps de redécouvrir celui qui est l’auteur d’oeuvres qui questionnent la place de l’être humain dans la société, sa fragilité et la force qu’il peut avoir, comme le montrent encore L’Ecume des Jours d’après Boris Vian, Rak ou Histoires d’A…