The Artist vient de triompher à Hollywood. Cela suffit-il pour crier « Cocorico » à s’en faire péter la glotte ? Pas si sûr… Retour sur une love story finalement plutôt pâlichonne entre notre cinéma hexagonal et sa place aux États-Unis.
On ne piétine pas comme ça les plates-bandes des Américains surtout dès qu’il s’agit de leur en conter en matière de cinéma, l’art qu’ils sont persuadés d’avoir inventé. Ce n’est probablement d’ailleurs qu’à cette intime conviction que l’on doit l’accueil triomphal et historique réservé au film cinq fois récompensé de Michel Hazavanicius. Car au fond, ce superbe hommage au cinéma (et, disons-le tout net, excellent film) a été le plus beau miroir qu’a tendu le cinéaste à Hollywood. Ça a payé, ne boudons pas notre plaisir car non seulement cette victoire est aussi historique qu’inattendue et méritée. Mais si on faisait taire notre emblème et lui apprenions à voler, juste pour ne plus le voir claironner avec les deux pieds dans le purin ?
Car au fond, le triomphe des Français à Hollywood a-t-il vraiment un sens ? Signifie-t-il comme le plastronne aujourd’hui toute la classe politique, que le cinéma français va mieux, voire qu’il pète la forme ? Certes, boosté par près de 20 millions de spectateurs pour un seul film, le box office 2011 a redonné au cinéma hexagonal un vrai coup de sang. Mais un film qui réalise une belle quinte de récompenses lors de la plus prestigieuse foire du cinéma du monde doit-il faire oublier qu’il n’est qu’un bel arbre qui dissimule une catastrophique déforestation ?
Car enfin, si l’on y regarde de plus près, il y a toujours autant de précarité dans le métier, les films ne se montent qu’à partir d’un « oui » de quelques grosses pointures « bankables » qui assurent la manne nécessaire à sa réalisation (The Artist en est d’ailleurs une illustration). Et le reste ? Toujours le même marasme, toujours peu d’élus pour des centaines, voire des milliers de talents qui restent sur le carreau. Il est vrai que vus sous cet angle, les Oscars perdent de leur glamour.
Le biopic, film à Oscars par définition
Les Français aux Oscars sont-ils si omniprésents, du reste ? Il y a trois ans, La Môme Cotillard réalisait une première. Bruel, qui présentait la soirée et ne manque jamais de dire une connerie plus grosse que son égo, compara l’exploit à la victoire des Bleus en 98. De quel exploit parlait-on ? D’un biopic, genre adulé des Américains qui les récompensent à tour de bras notamment chez les comédiens (Nicole Kidman en Virginia Woolf, Cate Blanchet en Katharine Hepburn, Philip Seymour Hoffman en Truman Capote, Meryl Streep en Margareth Thatcher, Forest Whitaker en Amin Dada, Helen Mirren en Elisabeth 2, Colin Firth en George VI, Jamie Foxx en Ray Charles, Robert de Niro en Jake la Motta…) et par ailleurs du portrait d’une des rares personnalités françaises qui évoquent vaguement quelque chose au public US. Pour tous les autres lauréats, toutes catégories confondues (film étranger mis à part, bien sûr), leur participation étaient neuf fois sur dix sur des films anglo-saxons (le chef op Philippe Rousselot, les compositeurs Maurice Jarre et Michel Legrand, Simone Signoret et Juliette Binoche pour ne citer qu’eux).
Si aujourd’hui le film de Michel Hazavanicius récolte tous ces prix, c’est bien, outre l’énorme campagne de pub, véritable marathon médiatique auquel doivent se soumettre sans tiquer tous les nommés, parce que, sans le vouloir, il a offert à l’Amérique le constat rassurant qu’on lui doit le cinéma que nous faisons aujourd’hui. Aurait-elle, cette Amérique, offert la même chance à des sujets plus français, voire gaullois, tels que nous en ont offerts Claude Sautet ou Claude Chabrol, Jacques Rivette ou Eric Rohmer, Agnès Varda ou Jean-Paul Rappeneau ? La liste des Français nommés aux Oscars mais repartis bredouilles (cf http://fr.wikipedia.org/wiki/France_aux_Oscars) nous apportent la plus éclatante des réponses…
