Critique : Les Estivants

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Les Estivants

France, 2018

Titre original : –

Réalisatrice : Valeria Bruni Tedeschi

Scénario : Valeria Bruni Tedeschi, Agnès De Sacy, Noémie Lvovsky & Caroline Deruas

Acteurs : Valeria Bruni Tedeschi, Pierre Arditi, Valeria Golino, Noémie Lvovsky

Distribution : Ad Vitam Distribution

Durée : 2h08

Genre : Comédie dramatique

Date de sortie : 30 janvier 2019

3,5 / 5

Hystérique, névrosée, prétentieuse et narcissique : les invectives ne manquaient pas dans notre vocabulaire pour faire état de notre dédain à l’égard du travail de Valeria Bruni Tedeschi, à la fois devant et derrière la caméra, qui nous avait provoqué dans le passé autant d’ennui que d’agacement. Avec son nouveau film, son quatrième long-métrage de fiction en quinze ans, elle a néanmoins franchi un cap important, lui permettant désormais de ricaner de ses lubies tout en nous amusant considérablement. Les Estivants est en effet une œuvre imprégnée d’une ironie sublime, capable de nous faire adhérer au tohu-bohu stérile dans une villa de haute bourgeoisie décadente, tout en préservant une distance salutaire envers ces personnages principalement obnubilés par eux-mêmes. La réalisatrice y réussit une formidable mise en abîme de l’image qu’elle renvoie, un retournement sur soi qui ne débouche guère sur un accroissement des poses tragiques, mais au contraire sur une prise de conscience de la vanité qui a pu régner et qui règne toujours sur l’univers qu’elle explore de film en film. Au détail près que, dès lors, tout n’est que farce vaudevillesque, qu’agitation passablement morbide à partir de laquelle naît pourtant un portrait social des plus révélateurs sur les impasses existentielles dans lesquelles l’humanité aime se fourvoyer plus que jamais aujourd’hui. Porté de surcroît par une distribution sans faille, le récit nous réconcilie contre toute attente avec une cinéaste qu’on ne savait pas si narquoise et lucide dans la dissection des démons qu’elle trimbale avec elle depuis des années.

© Ad Vitam Distribution Tous droits réservés

Synopsis : La réalisatrice Anna est sur le point de partir en vacances dans la résidence familiale sur la Côte d’Azur, quand son compagnon Luca lui annonce qu’il la quitte. Effondrée, elle ne sait pas comment gérer cette séparation inattendue. Elle préfère donc la cacher aux autres convives : sa sœur Elena et son mari Jean, encore aux prises avec la polémique autour des méthodes peu sociales de cet ancien grand patron, et sa mère Louisa qui ne s’est pas non plus remise de la mort de son fils Marcello. Dans tout ce malaise ambiant débarque Nathalie, l’amie scénariste de Anna, qui est censée l’assister dans la finalisation de la trame de son nouveau film.

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Un paradis infernal ou l’inverse

La gravité dans laquelle Valeria Bruni Tedeschi semble vouloir envelopper son film n’est que de pacotille dans Les Estivants. Une citation en exergue sur l’impact affectif incommensurable du divorce et un épilogue plongé dans une brume épaisse artificielle constituent les extrémités hautement malicieuses d’un récit bien plus intelligent que cette introduction et cette conclusion à forte valeur symbolique ne le laisseraient supposer. La finesse du ton est en effet inouïe au fil d’une histoire, qui affiche sans gêne une tendance marquée à se moquer des tracas nombrilistes de ses personnages, tout en leur préservant à tous, sans exception, une certaine fragilité attachante. Ce n’est alors pas tant la narration qui ne sait pas sur quel pied danser, mais le projet commun des vacances dans un cadre préservé, où l’intimité vole en éclats au profit d’un isolement accru, paradoxal seulement en apparence. Les vieilles habitudes et les états d’âme présents ne font ainsi pas forcément bon ménage dans le contexte d’un séjour au cours duquel personne ne se repose réellement, à force d’affronter seul, sans vigueur intérieure, ni compréhension venue de l’extérieur, des préoccupations personnelles plus ou moins caricaturales. Bref, la haute bourgeoisie provençale et la sphère de ses subalternes nullement prête à prendre la relève meurent une mort longue et laide ici, prises au piège d’une agonie aride, sauvées exclusivement par la grâce du regard espiègle de la réalisatrice.

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Pas envie d’être là

Bien que personne ne se sente à sa place dans cet environnement luxueux, les options de fuite paraissent particulièrement limitées ou en tout cas peu efficaces. Le cocon familial a ainsi beau se décomposer au fur et à mesure que les reproches des uns envers les autres refont surface, personne n’ira nécessairement mieux en dehors de ce microcosme malsain. L’inertie impose alors en quelque sorte sa loi, à moins que ce ne soit plus précisément la sagesse désabusée de celui qui sait d’emblée que tout action est futile. Attention toutefois à ne pas déduire de cette description peu reluisante des enjeux dramatiques de l’histoire que la mise en scène se conforme docilement à ce climat délétère. Elle s’emploie plutôt à rendre cette oisiveté morale et sociale au début de l’été incroyablement savoureuse. Ses meilleurs alliés dans cette entreprise magistrale de tragédie comique, d’ailleurs pas sans point en commun dans le constat de l’imperméabilité entre les classes sociales avec la philosophie de l’humaniste par excellence Jean Renoir et son film qui l’illustre le mieux La Règle du jeu, sont des acteurs aux talents parfaitement employés. Car à l’image du jeu astucieux sur sa propre représentation d’une femme intrinsèquement mal dans sa peau, la réalisatrice tire des interprétations étonnantes de comédiens pas toujours investis dans des films au propos aussi nuancé que celui des Estivants, comme Pierre Arditi, Valeria Golino et Riccardo Scamarcio.

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Conclusion

La séquence sur le passage devant le jury de l’avance sur recettes, pratiquement au début des Estivants, nous révèle d’ores et déjà tout ce qu’il faut savoir sur ce film passionnant. Fraîchement plaqué, le personnage principal essaie en vain d’y retenir ses larmes, pendant que les décideurs de l’argent public tentent de lui faire comprendre que son scénario est fragile et que, de toute façon, il raconte toujours un peu la même chose, le tout devant le regard joliment ébahi de Frederick Wiseman, en guise de cerise sur le gâteau. Le degré de moquerie d’un système, voire d’une civilisation toute entière, y est d’emblée à son comble, avec en prime une dose importante d’autodérision, en mesure de nous faire adhérer quasiment corps et âme à cette plaisanterie cinématographique de haut vol.

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