Critique : Les Deux amis

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Les Deux amis

France, 2015
Titre original : –
Réalisateur : Louis Garrel
Scénario : Louis Garrel et Christophe Honoré
Acteurs : Golshifteh Farahani, Vincent Macaigne, Louis Garrel
Distribution : Ad Vitam
Durée : 1h42
Genre : Drame
Date de sortie : 23 septembre 2015

Note : 3/5

Le premier film est toujours le plus personnel, celui qui révèle le plus cruellement les aspirations et les limitations du réalisateur débutant. Il est en quelque sorte le reflet de l’âme de son créateur, qui nous donne envie soit d’en apprendre davantage sur lui ou elle, soit de fuir ce nouveau monde filmique qui ne nous apporte rien. Ce dispositif d’attente se complique, lorsque nous connaissons déjà la personne qui se glisse pour la première fois derrière la caméra. Dans le cas de Louis Garrel, nous ne le connaissons certes pas personnellement, mais nous suivons son parcours d’acteur depuis assez longtemps pour nous faire une idée assez précise du type d’homme qu’il pourrait être ou au moins du type de rôle qu’il affectionne particulièrement. Bordélique et attachant, beau et narcissique, Garrel fils a de nombreuses cordes à son arc, tout en cultivant une sensibilité et un goût pour l’imperfection humaine qui auraient de quoi rendre ses films futurs au moins aussi vifs et imprévisibles que ceux de son père Philippe Garrel. Son premier long-métrage, après trois courts, nous donne en tout cas l’espoir qu’il saura persévérer sur sa voie de cinéaste intimiste, capable de souligner presque joyeusement la noblesse délicate des écorchés vifs.

Synopsis : Emprisonnée en banlieue parisienne, Mona se rend tous les matins en permission à la Gare du Nord, où elle travaille dans une sandwicherie. Elle y a fait la connaissance de Clément. Alors qu’ils ne se voient que depuis quelques jours, Clément précipite les choses et déclare son amour à Mona. Celle-ci ne se sent pas prête pour une relation, vue sa situation compliquée, et repousse fermement les avances de Clément. Complètement atterré, l’amoureux éconduit se confie à son seul ami Abel. Le conseil de ce dernier, de ne pas se laisser faire et d’obliger Mona à donner sa chance à Clément, déclenche une suite d’événements sérieux.

Raison et sentiments

Un étrange effet de purification parcourt Les Deux amis. Cette remarque ne fait pas seulement référence au premier plan du film, situé dans des douches collectives, qui s’avèrent être celles d’une maison de correction, mais plus largement à son ton global, qui n’a pas peur des coups de tonnerre pour alimenter la catharsis à la fois auprès des spectateurs et des personnages. A la dureté du point de vue social, avec la routine de la course matinale au fil des différents moyens de transport en commun afin d’arriver à l’heure à un travail peu glorieux, succède ainsi le prochain coup de poing sentimental, à travers le rejet sans appel de Clément par Mona. Rien que dans ces quelques minutes d’introduction, la mise en scène de Louis Garrel se montre tout à fait redoutable par l’assurance avec laquelle elle condense un éventail de sentiments douloureux dans des plans saisissants. Le régime de hauts et de bas d’humeur se poursuit alors sans relâche, enrichi de surcroît par une forme d’humour cinglante orchestrée spécifiquement autour du personnage interprété par Vincent Macaigne. Celui-ci est sans doute le membre le plus attachant dans ce trio de fortune, voire le seul à s’investir pleinement dans un traquenard romantique que les deux autres appréhendent avec plus de recul et d’a priori. Car si aucune des relations potentielles ne fonctionne au cours de ce récit haut en couleur, ni les amoureuses, ni les amicales, c’est parce que personne ne réussit à s’affranchir réellement de l’étau psychologique ou physique qui l’étreint.

On ne choisit pas ses amis

Cette sensation d’emprisonnement se prolonge indirectement à travers les stéréotypes que les personnages principaux véhiculent à première vue. Macaigne le perdant touchant, Garrel le séducteur ténébreux, Golshifteh Farahani la femme fatale passablement cinglée : ces acteurs dans l’air du temps ne paraissent endosser ici que leurs rôles habituels. Or, le scénario cosigné par Christophe Honoré trouve une sincérité étonnante dans les échanges de ces représentants d’un microcosme mi-bohémien, mi-marginal. Ils traversent leur aventure commune avec une désinvolture désarmante, qui ne tire jamais vers la farce méchante, mais qui tient au contraire compte de l’état d’esprit à vif de chacun d’entre eux. Le seul et unique réconfort à tirer de cette histoire douce-amère est par conséquent que la vie est pleine de surprises et qu’elle vaut la peine d’être vécue dans toutes ses contradictions, quitte à le faire par le biais de films aussi intenses et poétiques que celui-ci. Enfin, la beauté du verbe cinématographique – que Louis Garrel maîtrise d’ores et déjà – se trouve prolongée par la partition de Philippe Sarde, parcimonieuse mais animée par la même vivacité à fleur de peau que ce premier film plus que prometteur dans son ensemble.

Conclusion

L’acteur Louis Garrel a désormais un double au moins aussi passionnant derrière la caméra. Présenté en mai dernier à la Semaine de la Critique à Cannes, son premier film est à la fois fidèle au genre d’histoire dans lequel on s’attendait à retrouver le comédien et suffisamment téméraire pour explorer librement les abîmes de l’âme humaine dans ce qu’ils ont de plus laid et de plus beau.

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