Critique : Le Saint (Satyajit Ray)

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Le Saint

Inde, 1965
Titre original : Mahapurush
Réalisateur : Satyajit Ray
Scénario : Satyajit Ray, d’après une histoire de Rajshekhar Basu
Acteurs : Charuprakash Ghosh, Rabi Ghosh, Prasad Mukherjee
Distribution : Les Acacias
Durée : 1h07
Genre : Comédie dramatique
Date de sortie : 3 décembre 2014 (Reprise)

Note : 3/5

En dépit de sa bonne santé commerciale, qui se traduit depuis longtemps par la production de centaines, voire de milliers de films par an, le cinéma indien peine sérieusement à intéresser le public international, en dehors de sa communauté culturelle disséminée aux quatre coins du monde. Il n’y a jusqu’à présent eu qu’un seul réalisateur capable de se faire un nom à l’étranger, quitte à passer pour le plus occidental des cinéastes indiens et à courir ainsi le risque de diluer l’essence du cinéma de son pays : Satyajit Ray. Le Saint n’est sans doute pas le film le plus emblématique de son œuvre en particulier et encore moins du cinéma indien en général. Contrairement aux attentes contemporaines, il ne s’agit ni d’une comédie musicale, ni d’une épopée à la durée conséquente. Ces deux préjugés nullement respectés renvoient cependant au style subtilement irrévérencieux du réalisateur, à qui il ne faut guère plus qu’une heure pour tourner en dérision les superstitions de la classe moyenne indienne et pour rendre indirectement hommage aux comédies espiègles à l’italienne.

Synopsis : Un riche veuf rencontre dans le train un gourou et son assistant. Il tombe sous le charme de ses supposés pouvoirs spirituels et invite l’homme saint à loger chez lui. La fille de l’hôte est en âge de se marier, mais sous l’influence du gourou, elle risque d’être consacrée à une vie pieuse dans l’abstinence. Son fiancé fait alors tout son possible pour démasquer la supercherie de l’invité et récupérer sa promise.

Le passé et l’avenir au bout des doigts

Le Saint est loin d’avoir marqué l’Histoire du cinéma. Il dispose néanmoins d’un geste, répété à de nombreuses reprises au fil du récit, qui aurait pu devenir un phénomène de société passager, en guise de publicité éphémère pour ce film à vocation commerciale limitée. Afin d’évoquer la complexité du temps pour ses auditeurs les plus intellectuellement éveillés ou bien d’impressionner les autres par son don de coordination extraordinaire, le gourou fait tourner ses doigts dans des sens opposés. En plus de susciter jusqu’à ce jour un réflexe de mimétisme primaire auprès du public – vous verrez comment c’est difficile de le faire, tout en continuant de suivre la progression de l’intrigue –, ce mouvement est un formidable symbole pour la vacuité énigmatique de toute démarche spirituelle. Ce mécanisme d’un impossible cycle perpétuel, puisqu’il s’enraye dès que la concentration baisse, exerce un incroyable pouvoir d’hypnose, qui ouvre l’esprit à toutes sortes de doctrines farfelues. La faiblesse du contenu métaphysique que le faux homme de Dieu, prétendument vieux comme le monde et en contact avec l’au-delà, cherche alors à faire passer auprès de ses disciples trop crédules fait figure de commentaire à peine voilé de la part de Satyajit Ray sur le mensonge intéressé, inhérent à la plupart des activités religieuses.

Ciao ragazzi, a dopo

Le simulacre de l’inspiration foudroyante n’est pas pour autant au cœur du film. La structure narrative du Saint peut davantage être considérée comme chorale, avec plusieurs personnages mis successivement en avant pour plaider leur cause. L’objectif des uns et des autres a alors beau varier, du profit mercantile à l’absolu romantique, en passant par l’enjeu sportif du pari, le ton du film n’est à aucun moment dupe de la duplicité des intervenants. Sur un air de satire bienveillante, le récit s’emploie à mettre à nu l’hypocrisie d’une société, qui croit facilement aux idoles les plus improbables tout en ayant conscience que tout ce cirque ne sert, en fin de compte, qu’à renflouer les caisses des charlatans les plus astucieux. Une fois que le temple improvisé du gourou de pacotille a été anéanti par un stratagème qui avait, lui aussi, dû faire appel à la ruse pour aboutir, l’imposteur et son acolyte s’en sauvent ironiquement avec les honneurs. Ils ont certes laissé quelques plumes dans cette aventure malicieuse, mais, à l’image de ces comédies italiennes des années 1950 et ’60 qui célébraient le culot des laissés-pour-compte dans un monde profondément injuste, la mise en scène a toujours gardé de la sympathie pour ces profiteurs éhontés de la stupidité des autres.

Conclusion

Ce sont parfois les films mineurs qui cimentent la réputation des grands réalisateurs. Nous ne sommes pas du tout des experts de la filmographie de Satyajit Ray. Mais rien qu’un film aussi joliment caustique que Le Saint confirme notre impression vague que le regard de Ray sur le monde qui l’entoure, en l’occurrence l’Inde du XXème siècle, se distingue par une capacité accrue d’interroger sans gêne ses rites et ses traditions les plus anciens et donc a priori les plus intouchables. C’est avant tout le rôle du chroniqueur un brin sarcastique qu’il y adopte et pas tellement celui du trublion, qui chercherait à tout casser pour repartir sur de nouvelles bases, pas nécessairement meilleures.

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