Critique : Le Ruban blanc

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Le Ruban blanc

Allemagne, 2009
Titre original : Das weisse Band
Réalisateur : Michael Haneke
Scénario : Michael Haneke
Acteurs : Christian Friedel, Leonie Benesch, Ulrich Tukur
Distribution : Les Films du Losange
Durée : 2h24
Genre : Drame
Date de sortie : 21 octobre 2009

Note : 3,5/5

Personne ne sait mieux évoquer le malaise inhérent à la condition humaine que Michael Haneke. Le genre de nihilisme qu’il pratique de film en film et sans le moindre état d’âme vous glace le sang, mais il fait simultanément preuve d’une grande lucidité, voire de la sagesse désabusée propre à l’homme qui ne se fait plus d’illusions sur la bonté et l’altruisme de ses semblables. Le réalisateur est un observateur majeur des dysfonctionnements de notre civilisation occidentale, peu importe l’époque et le contexte social. Le raisonnement du premier de ses films à avoir obtenu la Palme d’or au Festival de Cannes résonne encore plus gravement aujourd’hui qu’au moment de sa sortie, il y a sept ans, à cause du retour – tant redouté mais en fin de compte inévitable – de l’idéologie d’extrême droite un peu partout en Europe. Or, Le Ruban blanc n’est pas un simple pamphlet alarmiste à l’égard d’une radicalisation grandissante des mentalités. Le propos de Haneke est bien trop subtil pour pareille mise en garde tendancieuse. Non, toute la qualité du film repose sur l’élément du doute, que la narration cultive avec une malice passionnante. Le trouble si cher au réalisateur n’est donc pas celui qu’il montre à l’écran, ni l’indignation que les actes cruels des personnages seraient en mesure de provoquer chez nous, mais au contraire ce fameux malaise existentiel qui nous laisse en proie à une perte des repères hautement inquiétante.

Synopsis : En 1913 dans un petit village dans le Nord de l’Allemagne, le médecin se blesse grièvement suite à la chute de son cheval. L’accident aurait été provoqué par un fil tendu entre deux arbres. Alors que ni la police, ni les notables du village ne réussissent à désigner les auteurs coupables de ce piège machiavélique, d’autres incidents violents se multiplient dans les alentours. Le jeune professeur de l’école locale est le témoin impuissant de ces faits d’origine criminelle, jusqu’à ce que le comportement étrange de certains de ses élèves fasse naître en lui un soupçon préoccupant. Après une accalmie relative pendant l’hiver, les attaques contre les membres les plus faibles de la communauté reprennent au printemps leur rythme de la terreur.

L’œuvre de Dieu

La conscience collective de l’Allemagne, à la fois au présent et dans le passé, ne recherche rien de plus que l’ordre et la tranquillité. Le statu quo doit y être préservé coûte que coûte, quitte à subir une lenteur de l’évolution des mœurs qui est le prix élevé à payer pour une stabilité à première vue rassurante. Ainsi, les Allemands rêvent encore de l’idéal d’un monde bon et juste, alors que le changement perpétuel autour d’eux, parfois pour le mieux, souvent pour le pire, se conforme à une sorte de réalisme plus pragmatique. Il ne s’agit a priori pas d’un phénomène nouveau puisque, il y a environ un siècle, l’aveuglement des adultes avait permis aux enfants de saper les fondements d’un ordre moral aux valeurs archaïques. Nous sommes ici certes face à la fiction, qui s’est pourtant laissée inspirer par des faits divers ayant accompagné la montée du nazisme entre dix et vingt ans plus tard. De toute façon, ce n’est pas l’exactitude historique qui intéresse Michael Haneke en premier lieu, mais le regard sans fard sur l’écroulement de l’édifice social, autrefois bâti sur la passation des responsabilités d’une génération à l’autre. Ce processus s’est grippé depuis longtemps, comme le démontre avec une subtilité joliment malsaine le récit du déclin de ce village nullement idyllique.

La part du diable

L’exploit magistral et chaque fois plus fascinant du Ruban blanc consiste à semer le doute à maintes reprises, sans jamais offrir au spectateur la récompense conventionnelle de la confirmation des suspicions. Le mal à l’état pur fait par conséquent partie intégrante de l’intrigue, mais sans jamais montrer ouvertement ses intentions. Pire encore, en chargeant les enfants de la tâche antipathique de la sécession d’une bienséance érigée en idéal universel, la narration mine davantage notre perception de ce microcosme qui n’a strictement rien d’une carte postale nostalgique, malgré l’exquise photographie en noir et blanc de Christian Berger. En plus, l’absence d’un coupable clairement identifié accroît imperceptiblement la sensation d’une menace omniprésente, comme si la déroute n’allait plus jamais s’arrêter, ce qui fut indirectement le cas avec le début de la guerre, à peine évoqué à l’écran. Or, la gangrène mortelle a d’ores et déjà affectée le corps social, comme l’indiquent par exemple les rapports avilissants entre le médecin et la sage-femme, interprétée avec une fragilité remarquable par Susanne Lothar, ou bien l’attachement rigide du pasteur, Burghart Klaussner lui aussi impressionnant, aux punitions symboliques dépourvues de quelque résultat bénéfique que ce soit.

Conclusion

L’esthétique très soignée, presque austère, de ce film doucement imposant ne diminue en rien son impact moral, proche de l’anéantissement. Le mal rôde dans la société, mais il y procède d’une manière si subversive et protégé par la hiérarchie en place à l’insu de celle-ci, que les dégâts sont irréversibles avant même que l’indignation populaire ne puisse se manifester. En somme, Le Ruban blanc constitue un merveilleux avertissement, que nous avons hélas trop souvent l’habitude d’ignorer, par lâcheté, par paresse, par ignorance ou bien – sans doute le pire des défauts selon le nihiliste convaincu Michael Haneke – par l’optimisme aux yeux bleus qui veut nous faire croire que le bien saura triompher in extremis.

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